Interview de William Brodrick, lauréat du Gold Dagger du Meilleur roman en 2009 pour La Sixième Lamentation. (en anglais)
L'homme qui mène une quête cherche quelque chose, et tant qu'il ne l'a pas trouvé, il attend.
Je refuse d’utiliser les mots pour provoquer une autre mort… alors que les mots étaient tout ce que nous possédions pour tenter de rester en vie.
Et chaque jour, à l’heure du bouclage – quand on verrouillait les portes –, Benson regardait la porte se fermer, l’entendait claquer, entendait tourner la clé. Et il vivait en se cramponnant à la limite de la raison, guettant le moment où la clé tournerait de nouveau dans la serrure et où la porte s’ouvrirait. Les vingt-trois heures d’intervalle étaient devenues un véritable enfer. La panique était montée comme une rivière en crue, jour après jour, et il finit par lâcher un cri frénétique, seulement Needles était intervenu rapidement, avant que le cri n’attire l’attention du gardien. « Il est temps que tu m’écoutes, fiston. Parce que t’es fragile pour l’instant. Tu risques de commettre un tas d’erreurs. C’est le moment d’apprendre ce que tu dois faire si tu veux survivre. » Needles lui apporta une tasse d’eau. « Bois ça. » Benson ne se calma pas. Il demeurait en proie à la panique. Mais son corps commença à se détendre, coupé de son esprit. « OK, maintenant dis oui si t’as compris ce que je t’explique. » Benson inclina la tête, et Needles commença. « Ne parle de toi à personne. Occupe-toi de tes fesses. OK ? — Oui. — Si quelqu’un te demande comment ça va, réponds : “Très bien.” D’accord ? — Oui. — Ne joue pas les mendigots. OK ? — OK. — Ne te fais pas remarquer. N’attire pas l’attention. D’accord ? — Oui. — Ne te fais pas d’amis. Pas pour une longue période. Et si tu t’en fais, ne t’en fais pas trop. Prends ton temps. T’as tout ton temps. Pas vrai ? — Oui. — Et enfin, ne fais jamais, mais jamais confiance à un maton. Pigé ? — Oui. Je dois sortir d’ici, Needles. Je ne supporte pas le bouclage. Ils peuvent bien m’enfermer dans un camp, mais je n’arrive pas à accepter le fait d’être ici, dans une cellule. Je n’arrive pas… — Il n’y a qu’une seule issue, fiston. » Benson leva les yeux et vit Needles se tapoter la tête. Que voulait-il dire ? L’esprit l’emportant sur la matière ? Ou quelque chose d’encore plus radical ? Se détacher de toute relation, de l’espoir, de la colère, de la douleur, du désir et de l’amour ? De sa condition d’être humain ordinaire ? Et Benson comprit avec effroi qu’il s’agissait de cette dernière hypothèse et non de la première.
On est toujours plus que son passé.
« Sarah Collingstone était innocente, dit-elle. Malheureusement sa vie était noyée dans les mensonges, ceux fabriqués par les autres et les siens propres. Il a fallu un meurtre pour la sortir du gouffre. Mais Benson n’est pas une Sarah. Il ne s’est pas laissé piéger par quelqu’un d’autre. C’est un Ralph. Un Ralph qui est allé en prison et qui voudrait être une Sarah. Il exploite le fait qu’il a écopé pour une bagarre. Qu’il a été condamné à la suite d’un verdict à la majorité. Ce qui signifie qu’au moins une ou peut-être même deux personnes ont cru à son innocence.
Tess ne pouvait pas s’empêcher de penser au pouvoir de la peur. C’est pour ça que les tortionnaires torturent. Bien sûr, il se peut que les gens vous disent simplement ce que vous voulez entendre ; mais il est possible aussi qu’ils vous disent ce qu’ils savent. Il en va de même pour les menaces de mort. Menacez de tuer quelqu’un, et des portes fermées s’ouvriront tout d’un coup.
Trouver le bon traitement était une tâche très délicate. Son médecin avait dû tout essayer, passer de ceci à cela, changer les doses, chercher le bon équilibre… et elle était à présent relativement stable, sauf que son traitement ne l’avait pas empêchée d’inventer un roman afin d’échapper à la terrible vérité que son mari avait peut-être été malheureux avec elle.
« Vous vendez, Debbie ? » demanda Tess sur le ton de la conversation.
Elle avait vu l’enseigne de prestige affichant « À vendre » à l’entrée de la propriété. Copse Hill était un quartier recherché. Pas d’usine de traitement des eaux usées dans le voisinage. La maison et le vaste parc ne resteraient pas longtemps sur le marché.
« Oui, je ne peux pas continuer à habiter ici. Pas sans Andrew. Et pas si les gens se mettent à cancaner à propos d’une liaison. »
Ce qui ne manquerait pas d’arriver. C’était la position du ministère public. La souillure s’étalerait à la une de tous les journaux.
Les prisons de Sa Majesté, où qu’elles se trouvent, étaient des pépinières de graves problèmes humains, sans les ressources adéquates pour les traiter ; un univers clos d’ennui, d’amour-propre dévasté, de remords, de dépression, de toxicomanie, d’analphabétisme, de maladie mentale, d’abandon, de chagrin, d’automutilation et de suicide. En tout cas, cela avait été l’expérience de Benson. Quand ses parents venaient lui rendre visite sur cette planète lointaine, ils quittaient le parloir en miettes, bouleversés par les gamins criant à tue-tête et les mères en sanglots, affligés par la conversation qui n’avait pas eu lieu car Benson s’était retiré en lui-même par instinct de survie. Il continuait d’être quelque part à l’intérieur. Il n’avait jamais pu revenir dans le monde normal.
Elle était – Benson devait l’admettre – particulièrement attirante. Ce n’était pas tant les lèvres charnues, les cheveux châtains luisants ou les os minces comme un trait de crayon. C’était la transparence de l’expression. La vulnérabilité sans protection. Elle avait trente-quatre ans, avec la beauté fragile de la vieillesse. Andrew Bealing n’avait pas pu ne pas le remarquer.
« J’ai oublié de demander si Daniel aime la musique », dit Benson après que Ralph eut apporté le café et quitté la pièce sur la pointe des pieds.
Le son et le rythme avaient été importants pour le rétablissement d’Eddie, si l’on pouvait parler de rétablissement.
« Oh oui, répondit Sarah, s’animant soudain. Nous l’avons arrêtée quand vous êtes arrivés. Il aime beaucoup les sons, les rythmes et…
S’il a proféré un gros mensonge au procès parce qu’il n’arrivait pas à assumer ses actes, alors il lui faut mentir jusqu’à la fin de ses jours. Il est impossible de revenir en arrière. Nous avons vu ça tous les deux dans les tribunaux, Tess. Un témoin se retrouve enlisé dans quelque chose qu’il a dit sous la pression, une déclaration sous serment qu’il a faite, et, quelques années plus tard, on le met en pièces parce qu’on a découvert des preuves qui montrent qu’il a été on ne peut moins honnête. Benson ne fait pas exception. À moins d’avoir dit la vérité dès le départ, il est obligé de mentir sans cesse. Chaque jour, tout comme tu te brosses les dents. Cela a beau lui laisser un goût amer, il ne peut rien faire d’autre que continuer le brossage. Il est piégé. »