Citations de Xavier Bordes (21)
PASSE SIMPLE
On s'est aimés peut-être
Sans se connaître
Peut-être on ne s'aimera plus
Sans s'être jamais connus
Cela viendra comme à bord des branches du cerisier
Lorsqu'on grimpe parmi les fleurs s'installer au coeur de la lumière
Où n'existe point d'ombre
Oh le murmure sucré des abeilles du temps...
Cela reviendra comme une enfance rejointe pour toujours
En ses jeux de marelle et ses contrées de nostalgie
Comme l'enfance au sourire infiniment triste
Dont le regard est tout agrandi de questions
( extrait de " L'amoureux")
CHANSON DU PÊCHEUR
Ainsi que le sphynx du mirage
L'amour quand j'avance s'enfuit
Est-il donc possible à mon âge
D'être aussi con que je le suis?
J'avance pour ferrer la rose
Elle s'efface dans le vent
Ainsi vais-je parmi les choses
Comme un somnambule, rêvant.
Par crainte de perdre ma trace
Comme un somnambule en rêvant
Je sème au travers de l'espace
Petit Poucet mes cailloux blancs.
Au matin je parcours la grève
Cherchant aux épaves du soir
Celle que j'ai vue dans mon rêve
En arpentant mon désespoir.
Limpide comme une bouteille
Et le col d'un blason scellé
Elle court aux vagues vermeille
Avec son génie esseulé.
JE L'AIMAIS…
Je l'aimais comme à travers
Une vitre embuée
qu'éclaire seulement le sillage des larmes
*
Au-delà d'elle c'était l'aube verte
Ses yeux pailletés d'or, la terre brune
Et les rosiers mal coupés où le vent avait accroché
Comme dans mes vers toutes sortes de choses légères
Mais étrangères
*
Cette voix
Cette voix bleue
Construisant avec le fil de fer
De nos nerfs des rêves ajourés comme des crinolines
Profonds comme des cloches où, tôt le matin par les rosées
Brillantes, sous le bronze les battants s'agitent
Dans l'impatience de Pâques
Comme jambes de ressuscités…
Cette voix azurée
Comme celle du muezzin sur sa tour blanche
*
Cette voix traversée d'anges
D'archanges de Trône de Châteaux
En Espagne et de Dominations !
p.62-63
AÏLENN
Elle balance sur la mer comme la rose du couchant
à bord de son propre vertige
Elle parle de toutes choses comme si les mots étaient chants
et les choses vestiges
On lui chercherait vainement le miroir d'une pensée
Dans l'or le cuivre et le vermeil
Elle balance sur votre visage comme le souvenir d'un autre
qui aurait habité notre peau il y a très longtemps
Elle s'accroche à chacun comme la roche au coquillage
par ce byssus doré par ce byssus brillant
qu'on n'a jamais fini d'explorer
p.64
V. INTERMITTENCES
TROUVÉE, PERDUE
Et pourtant la lumière était là, dans l'égarement
Elle gisait telle une flaque au creux pierreux du jour
Avec son doux visage où le vent moissonne des lys
Je l'ai prise comme un miroir et j'ai regardé
Le monde par-dessus mon épaule
La mer abandonnée
Et pleurant comme un gamin j'ai poursuivi ma route
Ne sachant même plus faire autre chose que de bredouiller
son nom
Gluant sur les syllabes
Comme un agonisant qui parle dans son sang
p.180-181
ELLE ET MOI, À CONTRE-TEMPS
Du néant mon désir a formé des choses réelles
Des hommes réels parmi lesquels marcher et rire et disputer
Un sol réel à l'image du ciel
Avec ses galaxies de sable et ses plages obstinées
Ses lessives fraîches suspendues au vent
Et les mains douces de l'amour
Pétrissant lentement dans l'eau bleuie du ciel
Les aubes vaporeuses des anges mêlées
Aux linceuls humoreux des morts innombrables que
nous fûmes !
p.240-241
ELLE ET MOI, À CONTRE-TEMPS
À force de parler de moi j'ai connu le vrai goût des mots
J'ai su qu'ils étaient les auteurs de cette chevelure
De la couleur de ces yeux vifs comme l'hirondelle
Qui sans cesse vont et reviennent
Du passé au présent
Rapportant des étincelles de vie au nid qu'elle a bâti
Contre le mur tiède du temps.
Mes mains s'en allaient puis revenaient vers son corps
Le seul ciment que m'ait offert la vie
Tantôt blanc et tantôt doré selon ses rapports avec le soleil
Ce que j'en pouvais toucher ne me venait que de moi
Aussi ne sais-je encor aujourd'hui
Parler d'autre chose
Mais j'en parle comme on parle de l'ombre
D'une chance
Et tout ce que je dis ne parle pas pour moi, même
Si tout parle - à ma place !
Du néant mon désir a formé des choses réelles
Des hommes réels parmi lesquels marcher et rire et disputer
Un sol réel à l'image du ciel
Avec ses galaxies de sable et ses plages obstinées
Ses lessives fraîches suspendues au vent
Et les mains douces de l'amour
Pétrissant lentement dans l'eau bleuie du ciel
Les aubes vaporeuses des anges mêlées
Aux linceuls humoreux des morts innombrables que
nous fûmes !
Pp.240.241
V. INTERMITTENCES
TROUVÉE, PERDUE
Les amis sont venus en chantant les rengaines de jadis
Je ne les ai pas reconnus Mais je n'ai rien dit
J'ai tenté de chanter comme eux mais il faisait trop sombre
Comment accepter d'ajouter une fausse nuit
À celle de mon chagrin
Et tous se désolaient et l'amour même se désolait
Perdu dans son immensité comme une mouette qui
cherche la mer
Dans les ondulations brillantes du mirage
p.180
FIGURE DE PROUE
Elle met sa main sur ses yeux et sourit à d'étranges arcanes
Elle change d'île Elle change de cap
réglisse à travers les rouleaux des galaxies rousses
Chaque bougie lui est un phare
Chaque fleur un soleil
p.97
IV. AMOURS
ACHILLÉES I
Vol hésitant au-dessus des abîmes
Le soir encor empli de soucis intérieurs
Arbre que vent tracasse jour et nuit
Tandis que sur l'autre rive les amis voyagent
Toi vêtu de sève blanche et noir de rêves
Tu arpentes en chantant les royaumes interdits
p.58
ÉPEIRE DIADÈME
Seul
au cœur des lacis, au cœur des rets
de ce visage qui promet
sans efforts sa moisson
de désirs et d'écumes et de baisers blonds,
sur cette nuque tendre, auprès du coquillage
d'une oreille au lobe tel un caillou blanc
sucé indéfiniment – dragée pour le souvenir
d'un torrent de fraîcheur,
glacé de transparences
contre les dents, à la langue étrangère
ainsi qu'à l'huître bavochante
sa perle :
neige polaire dont l'orient aux longues ombres
ne connaît pas la nuit – seul
devant ces yeux absents aux prunelles trop grandes
qui dominent la rose adorable du péché
comme en l'autre crépuscule
l'arbre rose
où l'air dilate sans le voir
ce foyer double d'une étrange lune noire ;
Seul
Je brûle de frissons – de cet enfer du gel
qui est l'amour
épris de sa propre radiance
p.95-96
À LA BEAUTÉ
BEAUTÉ, mon beau désir
De qui l'âme incertaine
Refuse indolemment de se laisser saisir
Et, comme un voilier sur la plaine
Instable de la mer, propose à chaque amant
Des chemins de reflets de vents et de tourments
Prêts à l'anéantir,
Sirène naufrageant
Dans les hauts ciel d'automne
Mes regards aimantés vers le soleil couchant
Quand les blanches L d'oies félonnes
Et les Salve criards des halbrans de l'été
Éteignent l'alphabet de l'étang déserté
Mélancoliquement,
Salamandre Beauté
Quand ta foudre m'enlace
En ses chênes de feu malgré ma volonté
Je sens bien que mon cœur se glace
Et pourtant je te rêve et pourtant je te veux :
Que, Poète, aux Enfers je puisse dire aux Dieux
J'ai vu la mort en face.
(extrait de "Intermittences") - p.213
NOCES
Je suis entré en elle comme au désert
Et les étoiles se sont mises à briller plus fort qu'ailleurs
Au-dessus de moi
Plus vives et plus vite comme à la fin d'un wayno
Les lettres de la nébuleuse étourdissante
Désert j'épurai l'homme j'épurai la race
Au milieu de mes pierres et de mes rares fruits
J'ai tendu des roses de pierre et des nuées de sable
Comme un pont de cristal
Entre le concevable et l'inconcevable
Comme au désert j'entrai en elle
Juste un gémissement derrière le vitrail de la rosée
D'où les anciens me regardaient du haut de leurs paroles
Comme s'ils habitaient le souvenir de celle
Qui n'est que jaillissement
J'ai pavé le chemin du matin de dalles de clair de lune
Et d'obsidienne
Joué des chaconnes de silence aux orgues de mes
hamadas
Juste un gémissement avant la grande marche nuptiale
Et une pointe de sang sur le linge de l'infini
Pp.119-120
IV. AMOURS
Plus loin que les vents
ciel
ciel
Par les hublots du ciel
« O. . . O. . . Ô. . . Ô. . . Oh. . . Ô. . . Ô. . . Ô. . . Ô. . . Oh. . . »
‒ les anges regardent,
gardent
ardent
. . .
p.57
ELLE ET MOI, À CONTRE-TEMPS
À force de parler de moi j'ai connu le vrai goût des mots
J'ai su qu'ils étaient les auteurs de cette chevelure
De la couleur de ces yeux vifs comme l'hirondelle
Qui sans cesse vont et reviennent
Du passé au présent
Rapportant des étincelles de vie au nid qu'elle a bâti
Contre le mur tiède du temps.
Mes mains s'en allaient puis revenaient sur son corps
Le seul ciment que m'ait offert la vie
Tantôt blanc et tantôt doré selon ses rapports avec le soleil
Ce que j'en pouvais toucher ne me venait que de moi
Aussi ne sais-je encor aujourd'hui
Parler d'autre chose
Mais j'en parle comme on parle de l'ombre
D'une chance
Et tout ce que je dis ne parle pas pour moi, même
Si tout parle – à ma place !
p.240
CHANSON DU PECHEUR
Ainsi que le sphynx du mirage
L'amour quand j'avance s'enfuit
Est-il donc possible à mon âge
D'être aussi con que le suis ?
J'avance pour ferrer la rose
Elle s'efface dans le vent
Ainsi vais-je parmi les choses
Comme un somnambule, rêvant.
Par crainte de perdre ma trace
Comme un somnambule en rêvant
Je sème au travers de l'espace
Petit Poucet mes cailloux blancs.
Au matin je parcours la grève
Cherchant aux épaves du soir
Celle que j'ai vue dans mon rêve
En arpentant mon désespoir.
Limpide comme une bouteille
Et le col d'un blason scellé
Elle court aux vagues vermeilles
Avec son génie esseulé.
p.49
OUROUBORODE
Les carpes rouillent
Lentement
Le soleil fouille
Dans l'étang
Son ongle d'or
Sous la vase
Déniche encor
Quelque phrase
Entends ce soir
L'eau profonde
Son piano noir
Ouvre un monde
L'âme sereine
Y descend
Pour être reine
Cent pour cent
Frêle sourire
Pauvre Asie
Céleste empire
Poésie
L'oiseau fidèle
Dans la nuit
Triste appelle
L'or qui fuit
La lune fouille
Sous l'étang
Les carpes rouillent
Lentement.
p.147-148
« […] c’est une dame précise qui vit avec moi, c’est la poésie elle-même, c’est "l’or" du silence et "l’argent de la parole", c’est l’aube et l’éveil lumineux aux choses que provoque sa rencontre et sa présence, c’est le monde tel qu’il m’apparaît : tout est étroitement interdépendant, tout est "le même", différent et contradictoire dans sa concrétude et diversité, donc déroutant comme l’est la femme que j’aime. Par son truchement, la manière dont je vois a été ressourcée, définitivement débanalisée, concrétisée, donnée comme un acte de tous mes sens par cette apparition et sa présence continue. Elle est la membrane osmotique à travers laquelle je parviens à correspondre avec ce qui est, même si dans un texte elle n’est pas nommément présente, peu importe : ce texte n’aurait pas existé sans elle, tout simplement »
Rosée vernale
Toujours, lorsque vient le printemps, je revois
cette larme sur ta joue à cause d'un chagrin
oublié, pareille à la goutte étincelant sur le
pétale d'une rose qui balance dans la brise.
Elle attire sur toi la lueur verte que tes yeux
allument dans la mer aux heures aurorales,
un éclat couleur d'Éden et d'îles exotiques,
de réconciliations et d'amours nus et roses
sur des littoraux blancs d'une poudre de nacre
douce au corps et soyeuse comme une fourrure...
Au dessus des palmes paresseuses les Gémeaux
veillent dissimulés par le dôme azuré du jour.
Tout ce qui fait signe est rassemblé pour que je rêve
à toi, et à poser mes lèvres sur le mouillé de ta joue...