Citations de Zéno Bianu (356)
QUATRE SABLIERS POUR VENISE
respire ne respire plus écoute la ville qui parle en
[désordre
sous une lueur translucide écoute c'est une conversation
sacrée mille salves de mots étreinte ferveur résonance
acquiescer plénitude rebours grâce incantation
naissance marcher dévasté engouffrement
une conversation mélancolique
imprévisible et rutilante
Venise
cela fait bien longtemps
qu'elle chuchote et profère indemne
au bord de l'univers respire ne respire
plus ressens la cadence de l'espace la tendresse
de cette onde de choc la danse embuée de la pensée
la chute au ralenti des jeunes astres aux traînées sombres
qui glissent et s'abandonnent enfin dans nos minutes de [vie
p.155
SEPT MÉTAMORPHOSES
5
je m'appelle diamant
je ne suis qu'un écho
le souvenir d'indicibles pressions
de si longue aimantations
diamant aimant
amant
je me conjugue
à l'infini présent
je ne connais pas l'obsolescence
je dure
je donne toute sa longueur au jour
mais je ne sais rien
p.69
SEPT MÉTAMORPHOSES
4
pour Peter Matthiessen
je m'appelle panthère des neiges
je cherche toujours
midi à quatorze heures
sous les plaines célestes
je sinue dans l'immaculé
je joue
avec les inconciliables
en quête d'un seul mot de passe
pour vraiment passer outre
je foisonne
je skie en silence
je surprends
le sommeil des avalanches
autour de moi
les esprits flottent
je me laisse porter
sciemment
par le hasard
au feu des plus longues patiences
où sont les voix
où sont les proies
je feule vers
l'infiniment autre
je feule pour quitter la terre
calligraphier la neige
pour dévorer mon énigme
qui dira
toutes ces coulées de lave
qui brunissent sous ma
toison
p.66-67-68
AURÉLIA, FACE B
Sous ses pieds
c'était comme un ouvrage de saphir transparent
comme la substance du ciel.
Zohar
Je chantais en marchant un hymne mystérieux…
Gérard de Nerval
À CHAQUE POÈME SA RESPIRATION
Chutes
Épiphanies
Plongées noires
Échappées lumineuses
C'est le nectar de la nuit
J'en reviens tous sens ouverts
Plus bouleversé encore
Ce qui s'ouvre en cet instant
M'électrise le fond de l'âme
Laisse en moi une empreinte scintillante
Une fluidité rauque
Un swing lunaire
p.137-139
À PERTE DE CŒUR
pour Joë Bousquet
Rien que l'ombre
Pour sécher les larmes
Que la lumière
Tiraient de mes yeux
Mes ténèbres ne sont jamais entièrement dissipées
elles se sont étoilées
tu vas d'emblée
au centre de la nuit
pour mieux prêter l'oreille
ne pas dormir pour ne pas mourir
ne plus dormir
pour ne plus mourir
pour t'iriser les nerfs
écouter
la nuit battre son plein
libérer les étincelles
rencontrer l'énergie pure
atteindre la source de la résonance
Mes ténèbres ne sont jamais entièrement dissipées
elles se sont étoilées
p.32-33
SEPT MÉTAMORPHOSES
3
je m'appelle brume
je descends m'irise et m'insinue
je tournoie lentement
si lentement
l'eau est mon alpha
l'air mon oméga
je ne connais que l'intuition
j'enseigne
aux apprentis brouillards
je passe mon temps
à m'évanouir
j'ennuage
p.62
CREDO
Je crois
à la vie à la mort
à la grande amour donnée
ou traversée
je crois
à la vraie gravité
à la tendresse impitoyable
je crois
au cœur de la nuit
au cœur de la pluie
je crois qu'il faut mourir
puis vivre
mourir avant de mourir
pour ne plus aimer mourir
p.117
VIGNETTES ÉBLOUIES
LE CORPS DE CHAQUE SOUFFLE
(sur les fusains arborescents de Marc Feld)
Au battement de ton sang –
j'abandonne
mes souvenirs
*
Le noir troue mon cœur –
c'est
le seigneur du temps
*
Le silence me prend –
insurgé
aux solitudes transparentes
*
La nuit glisse –
démangée
par le sel de la lumière
p.125-126
REPRENDRE HALEINE
Écouter enfin
écouter autrement
écouter toute la palette
de mon radar intime
m'ouvrir
à tous les confins
vivre sept ou neuf vies
en vigueur folle
en vibrant retour de présence
faire jongler la création
ne pas cesser
d'apprendre à naître
jouer en tous lieux et en tous temps
de mon clavier d'apesanteur
comme d'un absolu trait d'union
dernier souffle premier souffle
p.8
ÉTATS D'UNE MÊME PASSION
LOINTAIN SOUFFERT
la souffrance
ne sait penser
qu'en angles morts
glisser
jusqu'à l'extrême étoile
pour perdre tous les angles
éprouver d'un coup
la mesure de son gouffre
penser à la vitesse du vide
ce qui jamais ne fut
plus haut
où nul ne se connaît
où tremble l'inattendu
p.47
LE PAYSAGE EXALTÉ
VIRGULES DU VIDE
au crâne
du monde
la mousson
crépite
plaines
d'éboulis
gestuaire
en cendres
l'écorce
éclatée
paroles
particules
coulées
de dieux
un baptême
de blanc
un souffle
d'érosion
Tibet
pour naître
p.32-33
LE PAYSAGE EXALTÉ/SANS LIEU
sans lieu
sans mémoire
les stèles du vide
le suaire du ciel
ce qui s'abat
sur le corps du monde
sans lieu
sans pourquoi
les hautes nuées
de sang sombre
l'abandon recroquevillé
dans la lumière
sans lieu
sans voix
par coulée
au plus bas
la nuit sortie du jour
sans lieu
sans nom
le géomètre des éclipses
parcourt l'horizon
sans lieu
sans boussole
l'abîme d'en-haut
la poudre d'ombre
la pulpe de l'oubli
sans lieu
sans cesse
rompre la mort
avec ceux qui transparaissent
vers les lunées brûlées
p.34-35
DANS LA BOUCHE D'UNE ÉTOILE
dans la bouche d'une étoile
laisse frémir l'innocence
jusqu'à la fin des mondes
jusqu'au bleu de l'esprit
la forêt des poumons
traversée par le vent
p.106
LE PRÉNOM DU VISAGE
avec
le plus sombre de mon temps
torche noyée
dans l'instant tremblant
nuit des voix
à tomber sous la vie
nuit de vies
pour écouter
les lèvres de la plaie
les lèvres de la pluie
pour écouter
ce qui ne se possède pas
p.42
ÉTATS D'UNE MÊME PASSION
Si nue l'évidence qu'elle troue tous les pourquoi.
Au fond du charnier, une étoile ivre.
Des empreintes imprimées par le cœur.
Quelques arcs-en-ciel terrassés.
On laisse le bleu creuser son ombre.
Une seule goutte de feu suffit.
Ébloui, obstinément.
p.53
DANS LA BOUCHE
D'UNE ÉTOILE
dans la bouche d'une étoile
je me suis égaré
là où les morts n'ont plus prise
j'ai trouvé la pierre d'angle
pour avancer parmi les grands vivants
pour avancer parmi les grands gisants
p.99
DANS LA BOUCHE
D'UNE ÉTOILE
dans la bouche d'une étoile
entre l'ébloui et l'englouti
la vie veut sa rosée de nuit
une porte ouverte sur le ciel
où je reviens sans être allé
où je reviens sans être né
p.100
LE PAYSAGE EXALTÉ
FÉERIE
Derrière l'horizon que psalmodient les ossuaires, l'œil perd
la forme du soleil. Nuit plus bleue que ciel ou promesse
d'accablement ?
Ce précipité de vide, où la lumière tombe en cendres,
appelle le guetteur aux plus grands effondrements. Il faut
ici oublier qu'on porte un corps, descendre au fond du
ciel comme on monte en soi-même. Se tenir pour captif.
p.25
j'ai voulu abolir
les frontières de la peau
de minuit à l'aurore
je chancelle dans l'éternité
thank you god
je veux rendre sensible
l'inouï l'inouï l'inouï
thank you god
l'écho de notre sang
notre mer intérieure
thank you god
j'emporte au loin les sanglots
je désensevelis les âmes
thank you god
de minuit à l'aurore
je suis un monarque
au coeur émerveillé
thank you god