« La discipline du yoga a été instrumentalisée »
Que ce soit au sein de la culture mainstream ou au sein de ces contre-cultures critiques du capitalisme, les idées véhiculées par le new age et leur vision de l'individu présentent des affinités avec l'idéologie néolibérale, faisant souvent de leurs adeptes, volontairement ou involontairement, des ambassadeurs de certains pans de cette idéologie. Du new age à la Silicon Valley, c'est l'histoire de cette mutation qu'il reste à expliciter, pour comprendre comment le yoga contemporain mondialisé est devenu une caisse de résonance de discours néolibéraux. (89)
[…] j’ai été interpellé par les idées et représentations véhiculées dans ce milieu, au nom d’une philosophie ancienne : responsabilité extrême conférée à l’individu sur son bonheur, son destin, et sa santé ; apologie de la résilience, de l’adaptabilité et de l’acceptation ; exigence d’un travail permanent de perfectionnement personnel pour accéder à l’épanouissement. Ces impératifs de bien-être, de bonheur et de perfectionnement de soi érigés en nouvelle morale m’ont semblé étonnamment en phase avec certaines idées au cœur de l’idéologie néolibérale, qui laissent penser que le bien-être, le bonheur ou la réussite sont une affaire de stratégies individuelles et non des questions politiques ; qui encourage l’individu à se concevoir comme une petite entreprise à gérer selon une logique de compétitivité et de performance…
Ainsi , sous un discours en apparence libérateur, le développement personnel promeut une vision de l’individu conforme au sujet idéal du capitalisme néolibéral : totalement autonome et affranchi des conditionnements sociaux, volontaire, optimiste, résilient, adaptable, positif, performant dans tous des domaines. Sous couvert de réalisation personnelle et d’accomplissement de soi, il étend au domaine de la vie personnelle les logiques d’optimisation et d’efficacité initialement circonscrites au milieu de l’entreprise.
Cette généralisation de la biomorale permet commodément de faire reposer la responsabilité de sa santé et de son bien-être uniquement sur les efforts de l’individu, et de se détourner des dimensions politiques de la santé et du bien-être : démantèlement des services publics hospitaliers, multiplication des déserts médicaux, problèmes de santé liée à l’environnement (pollution, perturbateurs endocriniens, substance cancérigènes…), scandales sanitaires (amiante, chlordércone).
Pour reprendre les mots d’Iva Illouz et d’Edgar Cabanes, «la tyrannie de la pensée positive nous incite à croire au meilleur des mondes possibles tout en nous décourageant de concevoir le meilleur des mondes imaginables».