Alors, au moment où nous ne sommes plus chiens et pas encore loups, nous humons l’odeur de l'autre monde. Celui qui s'éveille au vrombissement des grosses voitures dans lesquelles on s'engouffre, des sonos à fond, des rires à n'en plus finir, du bruit des glaçons qui s'entrechoquent dans les verres. Celui où les serveuses deviennent biches, les barmaids panthères, les hôtesses girafes. Celui où toutes les femmes sont belles et où tous les laids sont drôles. Le monde des regards complices échangés au travers des bouteilles qui scintillent, celui des billets CFA qui filent si vite sans qu'on en ait peine. Monde, enfin, des filles aux dents étincelantes, aux œillades assassines, aux roulés de hanches torrides, aux frôlements faussement innocents et aux caresses incandescentes.
Je les regarde ces jeunes femmes nues, l'une après l'autre. Mon univers policé a disparu en un instant. Je scrute leurs seins, leurs fesses, je cherche à voir leur sexe. Hébété, dépassé, éberlué, envahi, je ne me maîtrise plus : je les regarde ou plutôt je les mate. Je mate, je mate, de peur qu'une d'entre elles échappe à ma vision concupiscente.
Silué me sort de l'hypnose lubrique dans laquelle je tombe ; "Alors tu as vu ? On a de jolies filles en Côte d'Ivoire. Pas aussi belles que Claudia Schiffer, mais quand même !
Je ne sais que lui répondre, pas même une banalité de circonstance, tant la fille lascive qui ondule devant moi captive mon regard. Mes yeux sont rivés à ses seins, plantureux, lourds, fermes, que j'ai envie de caresser.
Elle m'a traumatisé. Voilà, c'est ça qui est la vérité ! Je viens de subir un traumatisme érotique.
Tard dans la nuit, un soir de semaine. Bien que le couvre-feu ait été levé, peu de gens traînent encore dehors. A la recherche d'un endroit pour un dernier verre, je passe devant 'La Nécessité', un bar bien grave. J'y pénètre pour m'y trouver être le seul client.
Et les hôtesses ? Elles dorment toutes. Affalées dans des canapés, pelotonnées dans les fauteuils, cela les rend émouvantes. La plus angélique dans son sommeil se révèle l'hôtesse qui d'habitude aborde d'entrée tout nouveau client en lui déclarant, droit dans les yeux : "C'est moi la meilleure pipeuse de la boîte."
Les bras entre les cuisses pour se garder du froid, les jeunes endormies laissent deviner par un sourire ténu qu'elles rêvent à celui qui va les emmener loin de cet établissement où elles gaspillent leur jeunesse, perdent leur innocence, fanent leurs rêves d'adolescentes.
A 'La Folie', fuyant "le salon", espace de toutes les tentations et de tous les dangers, on s'est agrippés au bar. René en est à son huitième pastis. Silué a bu un tonneau de bière. Gilbert cabote entre gin tonic et mojitos. J'ai commandé un "rhum -coca glacé sans glace, sans coca et avec beaucoup de rhum" pendant que Adou n'arrive plus à tenir sur son tabouret.
Nous regardons se trémousser sur la scène une belle pervenche qui perd ses pétales les uns après les autres. Oh les bras fins ! Oh les belles jambes ! Mmm, mais quelles cuisses superbes ! Woua, les seins ! Aaah le joli... Tiens, elle est entièrement épilée. Enthousiasmé par son Strip, quand elle rejoint la salle après s'être changée, ou plutôt rhabillée, je prends la belle fleur par la taille,et l'attire à moi.
Moi ?
- N'aie pas peur, petit blanc ! Je vais bien te faire l'amour.
René-Georges avait calmé son style "neuf semaines et demie" et opté pour une approche plus classique : il me faisait livrer des fleurs, m'offrait des chocolats de Bernard Duproux, m'adressait des cartes postales illustrées des différentes villes qu'il traversait, mentionnant sur chacune le nombre de cartons de Noilly Prat qu'il avait réussi à vendre.
Sur la dernière, il avait écrit : "Tu es avec moi, ma nuit s'étoile, tu es sans moi, ma nuit s'étiole." Ce n'était pas encore du Lamartine, comme aurait dit M. Rouvestre, mon professeur de français en première qui animait aussi la troupe de théâtre amateur du lycée. Mais pour un représentant en anisette, c'était pas mal quand même ; ça autorisait que René-Georges s'essaie à me voler un baiser.
Après ma cinquième bière, je me sens ragaillardi. A la neuvième, rassasié comme un poulet grillé et pimenté servi dans du papier journal puis d'une sole braisée dépiautée de mes mains, ça va mieux. A la douze ou treizième, je me mets à rire quand une averse soudaine nous chicote tous et qu'on se retrouve serrés sous un auvent.
A la je ne sais plus combientième, je me trouve en discussion avec une serveuse en short. Elle s'appelle Pascaline et ses seins débordent de partout. Son nombril et ses hanches ne sont pas mal non plus.
A trois heures et demie du matin, après avoir bu et rebu, Silué siffle la fin de la récréation et décide de me rapatrier en Zone 4.
René-Georges, je l'avais rencontré au Chiquito le bar-tabac jeux situé en face de la gare de Bois-d'Oingt-Légny. Il était en train de faire l'article à Albert, le patron, lorsqu'il m'avait repérée. Il avait vachement reluqué ma poitrine.
De corps, Philomène est "plus plus" : grande, elle a des jambes qui n'en finissent pas, mises en valeur par des jupes archi-mini et des bottines lacées. Peu d'hommes y restent insensibles, surtout quand Philomène ondule devant une glace sur laquelle elle appuie ses mains pour mieux se cambrer. De figure, elle est "moins plus" : les années passées dans les bars, les nuits sans fin, les alcools, le tabac, la drogue peut-être, ont laissé des traces sur son visage. Philomène a la peau des filles qui ont tout fait en trop. Le maquillage masque mal ses traits tirés, fatigués, Philomène étant déjà une 'vieille' : elle doit approcher les trente ans, limite fatidique pour les filles qui veulent rester dans le circuit de la Zone 4.