Éva Dequard

La végétation s’étendait à perte de vue derrière la maison. Le sol était tapi d’herbes hautes et, plus loin, là où commençaient les arbres, de fougères. Il n’y avait pas un souffle de vent. Et pourtant… Quelque chose n’allait pas. Il regarda à nouveau les arbres, puis l’herbe, et les fougères. Il comprit alors ce qui clochait. Les fougères. Elles bougeaient. Alors qu’il n’y avait pas un souffle de vent. Et elles ne bougeaient pas toutes dans la même direction. Leurs feuilles semblaient se dérouler, tâter le sol, puis finalement se replier sur elles-mêmes. Il ferma les yeux. Il était en train de perdre la tête. Mila n’avait-elle pas dit quelque chose au sujet des fougères ? Une histoire de carburant ? Ça n’avait aucun sens. Il s’arracha à sa contemplation, ferma la porte vitrée et regagna la salle de bain.

— Ah 2063 ! J’étais encore tout gamin à l’époque. Les choses étaient différentes. Sa réflexion donna un peu le vertige à Adrian. Il avait été cryogénisé quand l’homme était un enfant et s’était réveillé alors qu’il était un vieillard. Mais surtout, c’était quelqu’un à qui il pouvait parler, une personne qui avait vécu dans le monde d’avant. Dans son monde. La seule personne qui pourrait peut-être le comprendre. — Je ne sais pas quoi faire. Les mots étaient sortis de sa bouche sans préméditation. Il se rendit alors compte qu’il avait envie de pleurer.

Je me rappelais alors la sensation de chaud quand j'avais touché le cou du mort pour la première fois. Je sentis une bouffée de chaleur me monter au visage. Je voulais lutter. Quelque chose n'allait pas. Pourquoi je parlais à ces types ? Je n'avais aucune envie de leur parler. Une chose enfouie au fond de moi se révolta. Comme un fauve enfermé dans une cage trop petite, qui se jetterait sur les barreaux d'acier dans l'espoir de les voir céder et de retrouver enfin la liberté. Un étau de douleur commença à serrer mes tempes.

Lutte !

- Tu aurais dû me dire tout à l'heure que tu allais à un rendez-vous galant.
- Je l'ai croisé par hasard, Marie-Louise. Personne n'organise de rendez-vous galant au milieu de la forêt.
À part les tueurs en série et les fétichistes des orties, bien sûr. À choisir, je préfèrerais que Damien se classe dans la seconde catégorie.

Je me couchais vers sept heures trente, et je me réveillais quelques heures plus tard, avec l'impression d'être passée sous un camion. Un trente-huit tonnes avec un chargement de parpaings qui m'aurait traînée sur deux kilomètres d'autoroute. Bon, j'exagérais un peu, mais tout mon corps me faisait souffrir.

C'est bien. Plus vite, vous admettrez l'existence de toutes ces choses, mieux vous vous adapterez.

Mila poussa un soupir exaspéré, rabattit la capuche de son manteau sur sa tête, puis remonta son foulard rouge sur le bas de son visage. Sans poser de question, il passa l’écharpe autour de son cou et fit de même. Elle poussa une dernière porte.

Le "pauvre Damien" ? Mais j'espérais bien qu'il ne se repointerait jamais ici. Le "pauvre Damien" qui m'avait demandé ce que j'étais. Pas qui j'étais, mais ce que j'étais. Une question étrange, mais qui en soulevait une autre. Lui qu'était-il ?

Des visions et des créatures surnaturelles, de mieux en mieux. J'étais moitié effrayée, moitié sceptique, moitié curieuse (oui, ça fait trois moitiés, mais les maths, ça n'a jamais été mon truc).

Je commençais à avoir des tâches noires devant les yeux. Je les fermai pour ne plus voir la bête. Si j'avais eu de l'air dans les poumons, j'aurais hurlé. J'aurais poussé un cri inhumain, un son qui ne peut sortir d'une bouche que quand l'horreur a tant saturé les sens que toute raison a quitté l'esprit.