Pour moi, "
Pocahontas" a d'abord été l'un de mes Disney préférés, une histoire d'une beauté farouche et absolue dont l'issue que je trouvais alors (et que je trouve toujours) si triste me brisait le coeur.
En 1995, j'avais sept ans et je ne savais pas encore que les histoires d'amour pouvaient mal se finir, même dans la fiction. Surtout dans la fiction. Et chez l'oncle Walt encore moins.
Une histoire plus grave, plus profonde que ce dont j'avais l'habitude avec mes châteaux et mes princesses, mes princes ensorcelés et mes méchants gavés de magie jusqu'au sang mais servie par juste ce qu'il faut de féérie et de chansons, de personnages attachants et charismatiques pour me faire rêver.
Et puis, puisque
Peter Pan n'est jamais venu me chercher et me demander de remplacer Wendy au poste de conteuse du Pays Imaginaire, j'ai grandi et j'ai appris ce que fut l'arrivée des colons au Nouveau Monde pour les amérindiens et dans le lots de ce savoir, j'ai bien dû me faire à l'idée que "
Pocahontas" sauce Disney n'était qu'un joli conte, un récit édulcoré, un rêve, un fantasme fragile et coloré, que personne n'avais su peindre en mille couleurs l'air du vent et qu'il y avait eu plus de sang versé que d'amour dans les colonies d'alors.
C'est Terrence Malick qui s'est substitué à
Walt Disney dans mon coeur et, adolescente, j'ai adoré "Le Nouveau Monde" visionné un certain nombre de fois... Devant la caméra contemplative mais pourtant extrêmement lyrique du réalisateur, la véritable
Pocahontas semblait reprendre vie et son véritable destin lui était enfin partiellement rendu, triste à pleurer.
C'est grâce à ces deux films que je me suis prise d'affection pour cette histoire dans
L Histoire, pour la figure de
Pocahontas.
Ne pas avoir brûlé d'amour pour
John Smith ne la rend pas moins fascinante, au contraire et son départ pour l'Angleterre confère à cette figure historique la force d'un personnage de roman.
Quand j'ai vu "
Pocahontas" de
Patrick Prugne trôner en tête de gondole de ma librairie, j'ai su que je le lirais et puis, j'ai la chance d'avoir un amoureux qui sait exactement ce que je voudrais lire quoiqu'il en dise et qui a déposé pour moi "
Pocahontas" au pied du sapin de Noël encore tout enluminé de lumières et de décorations. Oui, il est parfait, je sais.
J'avais déjà été happée par la couverture de l'ouvrage à la librairie, par ce paysage enneigé, ces couleurs lumineuses, ces traits à la fois doux et très précis... Lorsque j'ai pu enfin ouvrir le livre, j'en ai eu le souffle coupé tant l'esthétisme qui s'y déploie se démarque par sa beauté, son souffle grandiose, sa délicatesse... On se croirait dans cette Amérique encore sauvage et inexplorée que raconte si bien
Emmanuelle Pirotte dans "
Loup et les Hommes", que ressuscite avec talent Terrence Malick... Ce ne sont pas illustrations qui s'offrent à nous au gré de la lecture: ce sont des tableaux et ils subjuguent indubitablement.
Patrick Prugne use de l'aquarelle, de ses couleurs et de la lumière surtout en virtuose...
"
Pocahontas" est immersif, dépaysant, réaliste et beau surtout. Cela fait du bien!
Après l'émerveillement vient la lecture, l'histoire. C'est là que le bât blesse (un peu, rien qu'un peu) et si la forme de l'ouvrage est une réussite pleine et entière qui flirte avec l'oeuvre d'art, l'intrigue, elle, est un peu plus faible, sans que cela ne nuise toutefois au plaisir de la lecture.
Patrick Prugne nous livre donc "sa" version du mythe de
Pocahontas et si on peut lire en couverture "inspiré de la véritable histoire", force est de constater qu'elle sacrifie à la légende en vieillissant
Pocahontas de quelques années par rapport à son modèle historique et en lui prêtant une idylle avec
John Smith. Pourquoi pas..? Après tout, je l'aime cette histoire...
Ce qui est peut-être légèrement plus décevant, c'est l'aspect trompeur que peut revêtir l'ouvrage dont le titre laisse à penser qu'il se concentrera exclusivement sur
Pocahontas alors qu'il traite plus des relations entre les colons et les Powhatans, l'histoire de la jeune fille en constituant un des arcs narratifs. Cela m'a surprise au début mais je me suis ensuite laissée happée par le projet de
Patrick Prugne qui mêle dans son ouvrage un cadre historique très documenté, très réaliste, une dimension sociologique et la fiction. C'est prenant, c'est passionnant et cela se dévore.
Ainsi l'intrigue se concentre sur la rencontre de deux peuples plutôt que sur celle de deux êtres et j'ai aimé l'âpreté de ce contexte allié à la rudesse de la nature. J'ai -encore une fois- aimé cette facette immersive et puissante de "
Pocahontas" qui m'a permis de m'évader, de sentir le vent et la morsure du froid en hiver, l'odeur de la terre mouillée au printemps et celle des feux de camp.
Bien sûr certains pourront arguer que la vision présentée est un peu facile, manichéenne avec les "bons sauvages" s'opposant aux "méchants colons" mais la littérature, c'est aussi un parti pris et puis, cela nourrit et renforce les personnages de
Pocahontas et
John Smith, les seuls qui tentent de dépasser les différences et les incompréhensions, dans un idéal de concorde... qui ne sera jamais atteint.
Finalement, c'est aussi ça, ce beau "
Pocahontas" en plus de tout le reste: le récit de l'échec de deux idéalistes qui y ont cru autant qu'ils ont pu... et qui avaient sans doute raison d'y croire, malgré tout. Une belle parabole à appliquer en temps de désenchantement.