Dare Me
Traduction :
Jean Esch
ISBN : 9782709643856
Les romans de
Megan Abbott ont, tous, quelque chose de vénéneux. Mais "
Vilaines Filles" remporte pour moi - jusqu'ici en tous cas - la médaille du venin, avec une plongée hallucinante dans le monde des cheerleaders (ou pom-pom-girls), des relations qu'elles entretiennent entre elles bien sûr mais aussi avec leur coach et aussi, tout bêtement, des relations de pouvoir au sein de la gent féminine. Au sujet d'Abbott, certains n'hésitent pas à évoquer
Ellroy et plus j'avance dans la connaissance de son oeuvre, plus je me dis qu'ils n'ont pas tort.
Ellroy est certes plus brutal - en tous cas en apparence. Mais Abbott l'est tout autant - sans avoir l'air d'y toucher.
Quel est le pire ? Ou plutôt le meilleur ? Cela n'a pas d'importance : on adore les deux ou, à mon avis, on les déteste complètement - mais il ne peut pas y avoir de milieu.
Tout commence ici avec une équipe de pom-pom-girls qui change d'entraîneur - ou plutôt d'entraîneuse. La capitaine, Beth, amie intime depuis la maternelle de la narratrice, Addy, voit l'arrivante d'un mauvais oeil. de fait, elle perd bientôt son titre de capitaine. Et c'est son petit "toutou", qui aimerait tant qu'elle la remarque, Tacy, qui devient voltigeuse en titre. A bien y regarder, cette activité, tout à fait banale dans les high schools américaines, est un véritable casse-gueule. le travail accompli par ces filles relève à la fois de la gymnastique professionnelle et du numéro de cirque : la perfection, une concentration absolue, un esprit d'équipe (ou plutôt de pyramide, devrait-on dire), y sont exigés. Sinon, cela peut se révéler très grave - si ce n'est mortel ...
Les rivalités sont nombreuses au sein du groupe. Surtout que la Coach - avec une majuscule, comme la désignent les filles - se prend d'amitié pour Addy. Or Beth n'est pas de celles qui partagent leurs amis ou amies. Et puis, la Coach, pourtant mariée et mère d'une petite fille, a une liaison avec un policier local, un "beau mâle", veuf de surcroît, que Beth et RiRi, les deux filles les plus fêtardes du lycée, se sont juré de séduire.
Là-dessus - il fallait s'y attendre - Will, le policier, est retrouvé mort, chez lui, une balle en plein visage. Cela, nous le savons depuis longtemps, nous, lecteurs, car c'est là-dessus que s'ouvre le roman, sur l'arrivée d'Addy, appelée par une Coach paniquée, dans l'appartement de Will. Pourtant tellement responsable quand il est question de sauts, de pyramides et de flips arrière ou avant, la Coach n'a pas hésité à entraîner dans cette aventure sinistre l'élève que, en apparence en tous cas, elle préfère.
Par la suite,
Megan Abbott nous fait revenir quatre mois en arrière, nous détaillant par le menu la situation qui s'installe avec l'arrivée de la nouvelle Coach. Et comme toujours avec cet auteur, il faut lire lentement - et souvent entre les lignes - s'appesantir sur telle ou telle phrase, sur telle ou telle scène ... Dès le début, l'auteur parvient à ce que nous nous fassions une idée de la situation qui, en fait, on va mettre tout le roman pour nous en apercevoir, est intégralement fausse - ou plutôt faussée. Par un détail que nous ignorons et qui ne nous est livré qu'à la dernière minute, ou presque. Mais c'est accompli de manière supérieurement habile, nous suivons comme des moutons hypnotisés, nous soupçonnons même Colette French - la Coach - d'avoir voulu impliquer Addy alors que seule la peur l'a fait agir et bien sûr, nous soupçonnons tout le monde d'être le coupable ... sauf la seule personne qui avait bien des raisons pour devenir très méchante, le soir où Will a été assassiné.
Mais le pire reste à venir. Car cet assassinat a été pour ainsi dire téléguidé par un esprit jeune mais singulièrement tordu, une jeune fille qui, en fournissant certaine photo à l'assassin, a poussé celui-ci au crime alors que la photo ne représentait en rien Will et la Coach dans les bras l'un de l'autre.
Ah ! oui, c'est écrit de main de maître. Un petit tour par-ci, un petit tour par-là, une queue de cheval qui tremblote sur la pyramide, les ordres secs de la Coach pour "le Grand Match", des chutes, certaines très dangereuses, sans être fatales, des mots doux ou cruels qui volent et s'envolent, d'invraisemblables régimes pour avoir le poids qu'il faut, et un climat général d'homosexualité féminine latent - ce qui apparaît d'ailleurs très souvent en filigrane chez Abbott. Dans ce roman cependant, peut-être parce que les héroïnes sont de jeunes adultes, cela se perçoit de manière beaucoup plus intense et les rivalités autour de la Coach rappellent aussi bien celles de filles voulant attirer l'attention de la Mère que d'une amante potentielle. Oui, je sais, je vais en choquer certaines et certains mais la préférence sexuelle n'est pas affirmée à l'adolescence. de même, "
La Fin de l'Innocence", du même auteur, évoque à la fois la pédophilie et l'inceste. Mais nous en reparlerons.
En tous cas, je ne saurais trop vous engager à lire "
Vilaines Filles" : les romans noirs écrits par des femmes sont rares mais ils sont souvent d'une redoutable efficacité. Et c'est le cas pour ceux de
Megan Abbott même si, on ne le répétera jamais assez, son écriture est extrêmement subtile, à un point tel que certains lecteurs n'y verront que du bleu et ne comprendront pas l'intérêt que soulèvent ses intrigues. ;o)