Citations sur Et les vivants autour (159)
Dans le lit, Jeanne ne bouge pas. Jeanne ne bouge plus depuis quatre ans. Jeanne n'est plus qu'un corps inerte et allongé. Elle, la vraie Jeanne, celle qui animait cet organisme léthargique, celle qui donnait vie à ce corps désormais passif, s'est perdue quelque part dans les méandres de sa conscience. On ne sait pas très bien où. Loin en tout cas. Si loin qu'elle est incapable de retrouver le chemin. Son esprit erre dans une autre dimension, une perspective inconnue, un monde inexploré d'où elle ne peut pas communiquer. Certains disent qu'il est hors service, d'autres en sommeil.
Jeanne disait souvent que son cœur n’avait commencé à battre que le jour où elle avait rencontré Jérôme. Jérôme disait toujours que le jour où il avait vu Jeanne pour la première fois, son cœur s’était arrêté. Entre eux, ce fut le coup de foudre, le vrai, celui qui n’existe que dans les romans. Celui que les mots ne peuvent décrire. Celui qui ne se raconte ni ne s’explique. Celui qui se vit.
Jeanne disait souvent que son cœur n'avait commencé à battre que le jour où elle avait rencontré Jérôme. Jérôme disait toujours que le jour où il avait vu Jeanne pour la première fois, son cœur s'était arrêté.
“La vie est une rose dont chaque pétale est une illusion et chaque épine une réalité.”
Alfred de Musset
Lire l’apaise, ça lui permet d’alimenter le lien verbal, capital selon les médecins pour garder le contact avec les gens en état d’« éveil non répondant » – c’est ainsi que, aujourd’hui, on désigne les personnes plongées dans le coma ou dans un état végétatif – sans pour autant devoir faire la conversation
Après le départ des filles, Micheline a réalisé que le monde lui-même avait tellement changé qu'elle ne le reconnaissait plus. Il lui semblait être une naufragée sur une terre inconnue dont elle ne possédait plus les codes.
Et puis Jeanne est tombée dans le coma.
Gilbert s'éloigne de la fenêtre et revient près du li Il regarde Jeanne, ouvre une nouvelle fois la bouche, s'apprête à lui parler, quelques mots seulement, juste
lui dire qu'il est désolé et qu'il l'aime…...
Le silence qui règne dans la chambre se fait dense presque compact. Assourdissant, en fait. Tellement envahissant qu'il ne laisse aucune place au mots, pas même aux soupirs. Gilbert serre les dents. En vérité, la seule chose qu'il a envie de faire, là, maintenant, hurler un bon coup, pousser un cri a réveiller les morts, empoigner sa fille, la secouer dans tous les sens pour qu'elle bouge enfin, qu'elle cesse de jouer les belles endormies, qu'elle arrête de les faire culpabiliser parce qu'ils veulent qu'elle vive, ils veulent qu'elle meure, parce qu'ils viennent la voir, parce qu'ils ne viennent pas la voir...
Le cœur en miettes, Gilbert regarde Jeanne sans bouger, les bras ballants, muet comme une carpe.
Elle dort.
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Parce qu'il en a toujours été ainsi. Jeanne la cadette, la petite, celle que l'on protège, celle que l'on chérit. Celle qui, soudain, s'est posée là comme une fleur en prenant toute la place, pousse-toi de là que je m'y mette. Celle que l'on admire, celle à qui l'on pardonne tout, celle qui a toujours raison, Charlotte laisse ta sœur tranquille, oui mais c'est elle qui m'ennuie, ne discute pas s'il te plaît, c'est toi la grande, tu dois donner l'exemple et Jeanne qui la regarde avec son sourire d'ange, narquoise, si forte, tellement présente. Jeanne. Celle qui transforme l'amour en haine, la haine en passion, le bonheur en rancœur, les larmes en sourire, les mensonges en vérité, les illusions en promesses, les cadeaux en chantage. Celle qui ne fait pas de bêtises, c'est pas moi c'est elle, celle qui est si jolie qu'on lui donnerait le bon Dieu sans confession, celle qui fait tout bien, et même quand elle fait mal, c'est tellement mignon.
... Jeanne, sa sœur, sa douceur.
... Jeanne, sa douleur.
(...)
Si Dieu vient mettre son grain de sel là-dedans, on n’a pas fini d’en chier !
Jérôme s’empare de sa brochure, qu’il ouvre à la bonne page. Il balance sa première réplique, Marie lui renvoie la sienne, à laquelle succède la suivante, Jérôme, Marie, Jérôme, et ainsi de suite. Ils se la font à l’italienne, sans intonation, sans émotion, juste le texte. C’est une scène d’amour, le moment où les deux personnages, vaincus par leurs émois, et après avoir lutté durant tout le premier acte, tombent dans les bras l’un de l’autre, et tant pis pour le désastre que leurs phéromones affolées sont sur le point de provoquer. Après tout, les gens heureux n’ont pas d’histoire.