La vérité, forgeron, est fille de joie qui sans cesse maquille sa face et se complaît dans le lit des aveugles.
Pour son repas quotidien, le tigre Ulysse dévore à l’ordinaire une tête de mouton ou une panse de bœuf qu’il termine par deux tonnelets d’eau fraîche mais, depuis que Farah partage sa cage, il veille à laisser intacte la moitié de sa pitance. Bien qu’elle se nourrisse devant lui de salades et de lentilles, il lui réserve obstinément une part de son repas qu’il pousse vers elle du bout de sa patte. Soucieuse de ne pas attrister son compagnon, la femme-serpent plonge les crocs dans les lambeaux sanglants et feint de les grignoter avec plaisir. Elle doit aussi être la première à lapper l’eau des tonnelets, sans quoi Ulysse se laisserait mourir de soif.
Elle a quitté l'enceinte du camp et se dirige et marche vers la ligne verte de la mer. Ses pieds nus s'enfoncent dans le sable, et la forte haleine du vent fait danser ses cheveux. Des goélands la survolent en poussant d'âpres cris.
-Hé, ne vas pas te baigner ce joud'hui, la mer est démontée. Farah continue de marcher devant elle. Des touffes de varech poussées par l'écume lui caressent bientôt les orteils : elle s'allonge dans le sable telle une anguille, se met à ramper à la rencontre des flots.
Et puis, il y a Farah qui s'est enfermée dans la roulotte. Elle avait quinze quand il l'avait trouvée au bord de la route, errant pieds et orteils nus. Il avait arrêté sa carriole, lui avait donné un peu de pain et d'eau. Elle n'avait peur de rien. Elle était belle et racée, avec des cascades de cheveux noirs sur sa peau cuivrée.