Paris, 1673. le jeune herboriste Sébastien de Noilat débarque de sa Sologne natale à Paris. Il rêve de devenir botaniste et pour cela, veut rencontrer le célèbre Denis Dodart pour lui parler des découvertes sur l'ergotisme et la gangrène qu'un ancêtre a présenté dans un manuscrit. A peine arrivé, il se retrouve sur une scène de crime, entraîné malgré lui à enquêter sur les traces d'un tueur en série.
Sébastien de Noilat est un personnage au départ quelque peu agaçant avec ses hésitations et son manque de confiance en lui. Mais c'est justement sa candeur et sa pusillanimité qui en font un enquêteur intéressant pour lequel on tremble volontiers, et surtout différent des enquêteurs bourgeois professionnels qu'on a l'habitude de rencontrer dans les polars historiques des XVII-XVIIIème siècle, type Nicolas le Floch qui lui a tous les codes, l'expérience et les capacités intellectuelles pour réussir. Il est souvent malmené, notamment par Parisot, l'ambigu et goguenard flic en charge de l'enquête officielle, mais se révèle posé, logique et capable de sang froid.
La difficulté pour un auteur de polar historique, c'est de trouver un équilibre entre l'action policière et la part dévolue au contexte historique choisi. Ici, le rythme de l'action n'est pas très soutenu, l'intrigue finalement assez simple dans ses ressorts, mais c'est tout de même suffisant pour maintenir l'intérêt du lecteur jusqu'à la révélation de l'identité du tueur que je n'ai absolument pas vu venir, ce qui est toujours bon signe.
Mais clairement, ce n'est pas la trame polar en elle-même qui m'a captivée, c'est la façon dont elle s'insère dans une reconstitution historique passionnante. On sent à quel point l'autrice s'est documentée par la multitude de détails réalistes qui font découvrir différents visages de Paris sous le règne de Louis XIV : le Paris populeux, crasseux des bas-fonds et des auberges malfamées, Sébastien n'est que peu fortuné et fréquente ce type de lieu ; et surtout le Paris universitaire avec au centre de l'intrigue la querelle des Anciens et des Modernes.
Le tueur reproduit les opérations présentées par le renommé chirurgien anatomiste Pierre Dionis dans ses séances publiques au Jardin du Roi ( actuellement Jardin des plantes ) avec dissection de cadavres. Chaque meurtre répond à un cours précis que
Noémie Adenis présente précisément, notamment par des extraits illustrés d'un manuel de Pierre Dionis.
La faculté de médecine réclame, en vain, à Louis XIV l'arrêt de ses leçons accessibles à tous, gratuites et en français plutôt qu'en latin, revendiquant le monopole de l'enseignement anatomique sur le prétexte que les chirurgiens ne seraient que seulement détenteurs d'un savoir-faire manuel et à ce titre, leur seraient inférieurs. L'autrice décrit parfaitement le bouillonnement intellectuel de cette période et la violence des idées tranchées entre ceux qui veulent s'affranchir du savoir antique afin de créer de nouveaux modèles ( comme la découverte de la circulation du sang par l'anglais
William Harvey ), et ceux qui prônent le respect de l'héritage de l'Antiquité.
J'aime beaucoup ce type de polars historiques aussi érudits qu'accessibles, divertissant qu'instructif. du coup, je compte bien lire le premier roman de
Noémie Adenis,
le Loup des ardents ( qui est relié par un fil au Jardin des anatomistes, si j'ai bien compris ).