Les Bons Garçons

Elle pensa que c'était drôle de passer devant un lieu de rendez vous sans s'arrêter. C'était comme si les lieux vous attendaient déjà, et s'impatientent en regardant leur montre.

La masse sombre se dessinait dans le contre-jour, mystérieuse, envoûtante. Elle portait cette attraction si particulière que confèrent les reliefs inexpliqués au-dessus des pays plats. Il n’y avait plus qu’eux et la colline. Là-bas, racontait-on, les bateaux d’Ulysse et de ses compagnons avaient débarqué non loin du palais de Circé. Au cours d’un banquet de fête, la magicienne avait ensorcelé les marins. Et les hommes s’étaient transformés en porcs.

Dans ce silence inouï, avec la mer pour seul repère, Maria et Raffaella avaient atteint le point de non-retour. Elles ne l’admettaient pas encore mais elles étaient allées trop loin. Sur ce rocher, elles se sentaient guettées par le sentiment troublant que quelque chose se refermait derrière elles. Comme un piège tendu en évidence et dans lequel elles se laissaient jeter. Désormais, elles étaient aux mains de ces garçons car elles étaient aux mains du Circeo. Là, quelque part, entourée de ses nymphes, la sorcière les était.

Le Circeo semblait se détacher du rivage. Il aurait pu être une île. Devant lui, on ne pouvait plus reculer. C’était une colline qu’il fallait atteindre.

Sa tête semblait trop grosse dans son corps hystérique. Matteo gloussait au-dessus de la portière. Au soleil, on lui voyait un peu de bave séchée à la commissure des lèvres, une écume indéfinissable.

Même avec ça, il gardait une gueule d’ange. Entamé par les excès de la veille, il était toujours beau. La beauté du mauvais garçon de bonne famille.

Dans la bande, Matteo prenait toute la place mais Gabriele était le vrai meneur. Son corps robuste et ses silences affirmaient déjà un charisme que Matteo n’aurait jamais. Mais Gabriele était devenu trop politique. Ça dérangeait Luca. Pas ses idées, il s’en foutait bien de ses idées, mais son attitude roide, exagérée. Il était le genre de fasciste qui prend votre joint pour l’écraser sur la semelle de ses pompes en vous sortant que toutes les dépendances sont mauvaises. Que le haschisch est un plaisir de nègre.

« C’en était fini de la grande Italie. « Aujourd’hui, même les Noirs veulent un frigidaire », se lamentait un ami de la famille.

Il nageait sans un regard vers la plage, grouillante et plate à en mourir. Le soleil l’éclaboussait. Un geste maladroit lui faisait boire la tasse, et sa bouche vomissait ce sel liquide. Mais il progressait avec le sentiment de nager au-dessus du vide. Il était libre. Une crampe pourtant, un mauvais courant, et la mer le noierait. Gabriele avait besoin de la proximité de la peur pour exister.

L’information partageait les gros titres avec la victoire du « non » au référendum. À 59,1 %, les Italiens avaient voté contre l’abolition du divorce. « Une grande victoire de la liberté », annonçait L’Unita. La Stampa titrait simplement : « L’Italie est un pays moderne. »