Citations sur D'amour et de haine, tome 1 : Quand tout bascule (13)
Deux minutes s’écoulèrent, puis l’horreur s’imprégna dans son esprit. Le charbonnier venait de sortir de la brume, tel un ange vengeur, les feux de tête du mât leur faisaient face. Ce qui signifiait qu’il fonçait sur eux… Le capitaine eut une dernière pensée pour tous ses passagers. La plupart d’entre eux ne survivraient pas à une collision de cette envergure. Il tenta une ultime manœuvre désespérée afin d’amoindrir les avaries.
Saisi d’effroi, le second aperçut l’immense navire se rapprocher d’eux à une vitesse fulgurante. Il fit un bref signe de croix pour conjurer le mauvais sort, se préparant à ce qui allait suivre.
Lorsque le brouillard se forma sans prévenir sur l’eau, un sentiment d’inquiétude prit naissance dans son esprit. Il envoya un matelot réveiller le capitaine. Il n’aimait pas ce qui se préparait sur les flots. Le capitaine Anderson le rejoignit aussitôt, une chemise passée négligemment sur son pantalon. Celui-ci détailla les environs à son tour avec appréhension. Le phare de Pointe-au-Père n’était plus visible de leur position.
À son arrivée sur le pont inférieur, Adélaïde fut happée par l’ambiance enjouée qui y régnait. L’orchestre de l’Armée du Salut jouait divinement bien. Plusieurs passagers s’étaient même regroupés au centre de la pièce pour danser et chanter. Sur sa droite, Louis Gosselin, un avocat talentueux dont elle avait fait la connaissance sur le quai d’embarquement, l’invita à se mêler à eux.
Consciente de leur condamnation silencieuse, elle se garda bien de croiser leurs regards inquisiteurs.
Elle ne comprenait pas ce qui motivait la décision de ses parents de la faire revenir si tôt étant donné les circonstances. Le faisaient-ils dans un but précis, ou s’ennuyaient-ils d’elle ? Avec eux, tout était possible. Peut-être avaient-ils finalement trouvé une âme charitable encline à l’épouser en dépit de son déshonneur ? Quelqu’un qui ne souffrirait pas de l’opinion de ses pairs, qui lui pardonnerait cette erreur de jeunesse en échange d’une somme colossale.
Le 29 mai 1914, lorsque l’Empress of Ireland, un paquebot de l’envergure du Titanic, fit naufrage, 1057 passagers se trouvaient à son bord. Seules 465 personnes survécurent à cette nuit fatidique — passagers et équipage confondus ; les autres périrent de froid ou par noyade.
Il ne s’écoula que 14 minutes entre le moment où le charbonnier Storstad enfonça la coque du bateau — créant un trou béant — et celui où ce dernier sombra dans les flots glacials. Pourtant, cette magnifique structure avait été la fierté de ses propriétaires, tout comme son sosie, l’Express of Britain.
L’année 1914 se démarqua par deux événements majeurs : non seulement la Première Guerre mondiale venait d’éclater en Europe, mais en plus, une tragédie maritime survenait à la hauteur de Pointe-au-Père. Ce village situé dans la région du Bas-Saint-Laurent, au Québec, se trouvait tout près de Métis, une petite ville dont la renommée avait traversé l’océan.À l’époque, Métis était considérée comme une station balnéaire de prédilection durant la saison estivale. Ce coin de pays était prisé par la fine fleur de Montréal, de Toronto et des États-Unis, mais également par l’aristocratie anglaise. Les villégiateurs y occupaient plusieurs hôtels luxueux tels le Boule Rock, le Cascade ou encore le Seaside House, ainsi qu’un magnifique terrain de golf, des courts de tennis, des salles de bal et des réserves de pêche incomparables, sans parler des maisons imposantes de style victorien qui tenaient lieu de chalets.
- Un jour, Adelaïde, vous devrez trouver la force de m'expliquer ce qui vous est arrivé sur l'Empress... sans aucun faux-fuyant, déclara-t-il avec détermination.
Sur ces mots lourds de sens, il glissa ses doigts dans ses cheveux, puis sur sa joue afin de la réconforter. Dès lors, il perçut son souffle chaud dans son cou, son corps crispé contre le sien. Mû par une impulsion, il prit son visage en coupe et le tourna vers lui.
Il frôla tout d'abord ses lèvres des siennes, goûtant le plaisir simple de leur suavité. La respiration d'Adélaïde se précipita sous l'effet de cet effleurement léger. Aidan fut remué par la vulnérabilité qu'elle dégageait, mais aussi aiguillonné par sa chaleur. D'elles-mêmes, les mains d'Aidan descendirent avec lenteur jusqu'à ses hanches, suivirent chaque courbe avec délice avant de ramener sa compagne plus près de ui d'un mouvement rude. Ses doigts quittèrent sa taille, remontèrent vers le renflement de ses seins qu'il caressa avec sensualité comme s'il cherchait à éveiller sa passion. Adélaïde se réchauffa à son contact, puis écarta les pans de son manteau pour se presser davantage contre lui.
Au moment du naufrage, il avait perçu la volonté de vivre qui l'animait, lui donnant l'énergie nécessaire pour combattre la mort. Aujourd'hui, il avait la sensation de transporter une coquille vide. Combien de fois avait-il entraperçu cette lueur fragile dans son regard, celle qui la rendait si vulnérable à ses yeux? Lors de ces instants furtifs, il avait eu l'impression qu'elle portait toute la misère du monde sur ses épaules. Il comprit soudain qu'il lui avait sans nul doute donné le coup de grâce en l'attaquant avec autant de virulence. Si elle trépassait, il en serait responsable...