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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Une pièce efficace, tant dans sa construction, que par ses personnages et ses dialogues.

Au début des années soixante, Martha et Georges forment un couple vieillissant, leur mariage datant d'une vingtaine d'années. Elle, fille du doyen de l'Université du coin, personnage qu'on ne verra pas mais qui semble aussi influent qu'odieux. Lui, enseignant d'Histoire à la même université, ayant déçu les attentes du père et, apparemment, de la fille. Un couple qui se déchire depuis plus de vingt ans, rejouant la même scène bien rodée depuis des lustres, de préférence devant un public vaguement innocent. le spectacle qui nous est donné à voir se déroule après un dîner chez le père de Martha, avec lequel elle entretient visiblement une relation malsaine, car lui vouant une admiration sans bornes, ce qui n'est pas sans conséquences sur son couple. Georges, lui, ressemble à un être désabusé, n'ayant aucune ambition, professionnelle ou autre, avec une piètre estime de lui-même, habitué à vivre avec une alcoolique qui lui fait subir des humiliations répétées - sauf que ce n'est pas tout à fait aussi simple, que les humiliations ne sont pas uniquement le fait de Martha et que Georges n'est pas le seul à cultiver un manque complet d'amour-propre. Les voilà donc revenus du dîner obligatoire chez le père de Martha, où ils ont rencontré un jeune couple : Nick, enseignant en Biologie dans la même université que Georges, et sa femme Honey - les femmes, évidemment, ne travaillent pas et une seule aspiration leur est autorisée : l'envie de faire des enfants. Ils sont invités à pendre un verre chez Georges et Martha par cette dernière après le dîner "officiel". Devant Honey et Nick, Georges et Martha vont se déchirer, s'humilier l'un l'autre, jouer avec leurs invités de façon plutôt cruelle, révélant chez ces derniers, du même coup, des fêlures qui se dissimulaient bien proprement. Car Martha et Georges, eux, sont plutôt du genre à afficher leurs propres fêlures. Encore que...

Je parlais d'efficacité de la pièce : elle est palpable, car l'atmosphère délétère qui se dégage de cette relation de couple et de cette mascarade est tout aussi palpable. Au point que je déconseillerais d'aller voir la pièce en couple, tellement elle peut, même si vous pensez n'avoir rien de commun avec Martha et Georges, ou encore avec Nick et Honey, remuer de vieillies rancoeurs, mettre le doigt sur de vieilles plaies, dire tout haut ce qui ne se dit jamais. Une pièce qui met en scène les petites vacheries des couples au quotidien, en montre les aspects les moins reluisants, va loin dans le spectacle des souffrances occultées, et met mal à l'aise, donc . Et c'est là toute sa réussite. Elle est construite en trois actes, les trois portant des intitulés tels que "L'échauffement", "La nuit de Walpurgis" et 'L'exorcisme", dans un mouvement qu'on pense d'abord aller crescendo, mais qui trouvera une sorte d'apaisement et de résolution - même si le mot me semble un peu fort, car rien ne dit que tout ne va pas recommencer. Mais, ne le cachons pas, Albee sait manier l'humour autant que la cruauté, et il en résulte un mélange assez savoureux.

Là où je me sentie un peu flouée, c'est sur la fin. Pendant quasiment toute la pièce, on ne sait pas pourquoi Martha et Georges se déchirent ainsi, bien que l'on sente - et il existe un indice qui fait office de leitmotiv - qu'une blessure particulière est à l'origine de tout. Est-ce qu'on avait réellement besoin de savoir ce qui se cachait sous cette rancoeur, pourtant encore entachée d'amour, de souvenirs heureux, d'attachement sincère et pas toujours malsain ? Toujours est-il que les masques tombent pour Nick et Honey avant la fin de la pièce (et exit le petit couple qui servait de public et d'exutoire tout à la fois), et que ceux de Martha et Georges suivront le même chemin dans les dernières pages, lorsqu'ils seront seuls. J'ai mentionné la place des femmes plus haut, et cette pièce s'avère, entre autres, une critique sociale sur ce point (et sur d'autres). Or, lorsque j'ai appris, dans les dernières pages, la cause première du drame que vivent Georges et Martha, quelle déception ! Autant j'ai trouvé qu'Albee allait loin, dans cette pièce de 1962, en obligeant notamment le personnage de Honey à certaines révélations, autant j'ai eu la sensation qu'il faisait marche arrière en modelant Martha - et, dans une moindre mesure, Georges (attention, divulgâchage en vue!!!) - comme un être humain incapable de vivre sans pouvoir engendrer la vie. Je me suis dit : "Voilà, finalement, on en est quand même encore là, malgré la volonté d'être rentre-dedans, malgré la volonté de dénoncer le statut des femmes dans les années soixante aux États-Unis". Martha n'est finalement qu'une mère en mal d'enfants... Et ça, je trouve que ça a très mal vieilli et que ça dessert la pièce.


Challenge Théâtre 2018-2019
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On imagine mal Virginia Woolf en grand loup croque-mitaine, effrayant les enfants dans leurs chaumières. Et pourtant, c'est notre Virginia Woolf bien connue qui sert de rengaine à George et Martha. Eux-mêmes sont de beaux prototypes d'un monde bourgeois et intellectuel névrosé. Secs et taris jusqu'à l'os, il ne leur reste plus que le sens de l'humour et l'imagination tordue pour se détruire jusqu'au bout. Mais ce vieux couple qui affiche des décennies de vie conjugale au compteur, n'entend pas régler ses petits problèmes en tête-à-tête -on imagine que cela a déjà dû être tenté des milliers de fois. Il serait plus drôle et peut-être plus cruel d'inviter un jeune couple encore bercé d'illusions pour les inclure dans des jeux où la folie et le sérieux alternent au-delà de toute démarcation nette.


Cette pièce d'Edward Albee, représentée pour la première fois en 1962, commence avec la même fougue qu'un Ubu Roi. « Ha ! Saloperie de saloperie ! » s'écriera Martha, avant de passer ses nerfs éprouvés sur son faiblard de George. La femme n'est plus une vicieuse qui cache son jeu derrière une allure de petite chose fragile : elle est ouvertement rageuse, et sa vulgarité ne s'encombre pas de colifichets trompeurs. La perfidie est passée du côté de George, pas aussi soumis qu'il n'y paraît. Et lorsque Nick et Honey font leur apparition, croyant passer un bon moment à siroter des cocktails avec George et Martha, ces derniers mènent une valse effroyable qui semble devoir lier la réconciliation avec l'acharnement sur une tierce personne -ici le couple frais et naïf formé par les invités. Les querelles se construisent sur fond de rancoeur et de jalousie. Tous professeurs en université, enfants ou parents proches de ce milieu, les altercations qui les réunissent sont des luttes de pouvoir primitives malgré leur fond de sophistication intellectuelle. Il semble qu'après s'être contenus de longues années à donner une bonne image d'eux-mêmes, Martha et Georges aient besoin de relâcher un peu de pression. Dans les chaumières, les instincts refoulés se déchaînent plus violemment que jamais. On s'insulte, on se frappe, on dévore, on frôle le coma éthylique et on copule. Des fantômes d'enfants morts-nés ou écrasés par des voitures surplombent cette scène sur laquelle pulsion de vie et pulsion de mort ne se sont jamais si bien affrontées.


Edward Albee possède un sens de la répartie acéré (« Si tu existais, je divorcerais »), qui semble jailli du milieu universitaire, sans jamais avoir pu en remonter à la source. En chantonnant Qui a peur de Virginia Woolf?, il donne un exutoire à sa colère contre l'hypocrisie d'un milieu qui s'enferme dans son intellectualisme au détriment de tout humanisme. Rien d'étonnant à ce que la mort et les penchants destructeurs soient les derniers vestiges des relations humaines. Et si, pour dénoncer ce milieu, Edward Albee utilise ses codes et rivalise de talent littéraire, il se laisse enfermer dans son propre piège. Où se termine la dénonciation, et où commence la collaboration ?


« MARTHA
[…] Je pleure tout le temps. Et Jojo aussi pleure tout le temps. Nous pleurons tout le temps, tous les deux et après… Nous recueillons nos larmes et nous les mettons dans le frigidaire jusqu'à ce qu'elles soient toutes gelées… (Elle rit plus haut.) et… après… nous les mettons dans… nos… verres. »


La cruauté transfigurée par Edward Albee semble bien plus intéressante que les bons sentiments ou l'amour plan-plan. Votre couple bat de l'aile ? Flanquez-vous sur la gueule, comme George et Martha ! Cela semble terriblement plus excitant...
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Soirée arrosée et violente où George et Martha s'invectivent, s'humilient, se torturent mutuellement, sous les yeux effarés d'un jeune couple d'invités.

Chacun à leur manière : brutale, grossière , frontale pour Martha, sournoise, soumise, insidieuse pour George.

On sent que le scénario de leur querelle est une musique bien rodée, qu'elle obéit à un rituel convenu de mise à mort.

Ils convoquent le papa-gâteau de Martha, directeur de l'université brillant, si proche de sa fille, si supérieur à ce gendre informe et sans ambition qui se traîne encore, vingt ans après son diplôme, dans le département d'Histoire. Ils convoquent aussi des crimes imaginaires, des fantasmes cruels qui les divisent et les dévorent...

Depuis le temps qu'ils vivent ensemble et partagent une sorte d'amour-haine inassouvi et inextinguible, il n'y a presque plus de surprises. Juste des menaces délicieusement inquiétantes, quelques limites à ne pas franchir - et c'est si excitant alors de le faire, l'alcool aidant!

Alors quand ce théâtre intime a la chance d'avoir des spectateurs, leur rituel malsain et aviné devient divertissement de choix. Une vraie "nuit de Walpurgis"! C'est bien connu, plus le public réagit, meilleure est la performance. D'autant que le jeune couple pris en otage, Nick et Honey, n'est pas si naïf que cela: Nick est un opportuniste sans scrupule, un arriviste aux dents longues, et même Honey, derrière ses airs de cruche, est une spécialiste de la grossesse- nerveuse -pour- attraper- le- mari et semble déjà avoir un sacré penchant pour le brandy!!

La mise en scène d'Alain Françon est parfaite: un décor simplissime - vrai "trou à rats" comme le dit Martha en première réplique -tout un programme!- : moquette pourrie et élimée, escalier vieillot qui monte vers les lieux- refuges - toilettes pour vomir, chambre pour gémir-, un pan de mur à forte charge alcoolisée derrière lequel se trouve le bar, invisible, un divan avachi où on a du mal à s'asseoir, on on s'échoue, plutôt, comme une baleine épuisée... La porte enfin, par laquelle on entre pour se faire dévorer et qui vous recrache, en charpie..

C'est tout.

Je redoutais un jeu hystérique - style Taylor- Burton- mais la direction d'acteurs est impeccable : la torture est distillée avec subtilité- une sorte d'humour vachard et tonique même, côté Martha- puis lentement, le jeu dérape et on touche au nerf : derrière le barnum de la scène de ménage, derrière la cuite monumentale, derrière la méchanceté féroce, il y a une vraie souffrance.... et même quelque chose qui ressemble encore un peu à de l'amour…

Dominique Valadié est époustouflante en Martha et Wladimir Yordanov très juste en George qui réserve ses coups …

On sort quand même un peu essorés par tant de violence verbale et un peu groggy d'avoir vu ingurgiter autant d'alcool..
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Ce livre m'a été prêté par un ami, et présenté comme faisant partie de ses livres préférés. J'avais vu la pièce jouée à paris avec Niels Arestrup et Myriam Boyer il y a une vingtaine d'années et il m'en restait le souvenir d'une névrose de couple hystérique et masochiste, monstrueuse confinant à la folie, une sensation de malaise m'avait habitée durant toute la représentation et après... je ressors de la lecture de cette pièce avec les mêmes sensations désagréables tout en saluant l'écriture de Albee, son imagination, ses effets mais également la traduction de Daniel Loayza qui me semble magistrale si tant est que je sois qualifiée pour en juger.
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George et Martha rentrent d'une sauterie bien arrosée chez le père de cette dernière, président de l'université où George exerce comme professeur au département d'Histoire. Il est deux heures du matin, mais la soirée n'est pas terminée : au grand dam de son époux, Martha a convié un couple dont elle vient de faire la connaissance à venir prendre un dernier verre. Nick, beau gosse, est un jeune loup aux dents longues, qui vient d'intégrer l'université où travaille George, en tant que professeur de biologie. Sa conjointe Honey donne d'emblée l'impression d'être un peu cruche, que son comportement ne démentira pas par la suite.
L'arrivée du couple n'interrompt pas -bien au contraire- le cinglant échange entamé par George et Martha depuis qu'ils ont passé le pas de leur porte…


Echauffés par l'alcool -surtout Martha, visiblement-, tous deux se livrent à une joute verbale multipliant les sarcasmes et les humiliations, trahissant l'aigreur et le ressentiment accumulés au fil d'années de vie commune. Chacun reproche à l'autre ses propres renoncements, le rend responsable de ses regrets et de ses manquements. Martha est la plus agressive, frôle l'hystérie, et se fait même parfois vulgaire dans la manière dont elle rabaisse son époux, remettant en cause sa virilité, insistant sur l'absence d'ambition qui l'a condamné à végéter à son poste de professeur. George, davantage dans la maîtrise de ses émotions mais néanmoins tout aussi féroce, lui oppose une ironie faussement débonnaire.


Témoins contraints, Nick et Honey réagissent de manière différente. Elle, bon public et d'une inaltérable bonne humeur, boit plus que de raison. Lui, d'abord circonspect et s'efforçant de rester courtois devant la fille de son nouvel employeur, finit par s'agacer du manque de retenue de son hôte, qui, entre méchanceté et bonhommie, se moque de son allure coincée. Vexé, il tente de rétorquer sur le même ton, mais en vieux briscard désabusé, George ne se laisse pas déstabiliser.

Il apparaît peu à peu que Martha et George s'affrontent dans un jeu certes brutal mais auquel ils sont rompus, la mécanique de leurs infatigables mais éreintants échanges traduisant même une certaine complicité et une forme de perversité dans leur volonté de se donner en spectacle.

Le lecteur est comme lui aussi pris en otage par la tension croissante qui l'attache à suivre avec autant de fascination que de répugnance la progression d'une violence qui semble sans cesse sur le point de basculer dans l'irréversible, en même temps qu'il peine à supporter le poids d'une atmosphère oscillant entre tragédie et humour noir, dérision et désespoir.

Intense.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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