La divine comédie, tome 1 : L'enfer

Fixe sur moi, dit-il, les yeux aigus
De l'intellect, et tu verras l'erreur
De ces aveugles-là qui veulent être guides.

(PURGATOIRE, Chant XVIII)

Mon frère,
Le monde est un aveugle : on voit que tu en viens.

(PURGATOIRE, Chant XVI)

« Un peuple neuf et des gains trop rapides
Ont engendré orgueil et démesure
En toi, Florence, et déjà tu t'en plains ! »

(ENFER, Chant XVI)

De sa nature, elle est si mauvaise cruelle
Que jamais son glouton désir n'est assouvi,
Et qu'après la curée elle a plus faim qu'avant.

d'étranges cris me transpercent
car ils avaient des dards tout ferrés de pitié;
et je couvris mes oreilles de mes mains.
Telle serait la douleur, si tous les hôpitaux
de Val di Chiana°, et de Maremme et de Sardaigne
rassemblaient leurs maux de juillet à septembre,
tous ensemble, dans une seule fosse,
telle elle était ici; une odeur en sortait
pareille à celle qui vient des membres pourris.



°Val di Chiana: Vallée entre Arezzo et Montepulciano,
rendue insalubre au temps de Dante - comme la Maremme et la Sardaigne - par la malaria.

"Nous voyons, comme ceux qui n'ont pas de bons yeux",
dit-il, "les choses qui sont lointaines;
c'est ainsi que Dieu nous donne sa lumière.
Notre intellect est vain pour tout ce qui est proche
ou présent; et si nul ne vient nous parler, nous ignorons tout de l'état humain.
Tu comprends ainsi que notre connaissance
sera toute morte à partir de l'instant
où sera fermée la porte du futur."

"A présent, sois fort et hardi.
Nous irons désormais par de telles échelles;
monte devant, je veux être au milieu,
pour que sa queue ne puisse te blesser."
Tel est celui qui sent le premier frison
de la fièvre quarte, qui a déjà les ongles blancs,
et tremble tout entier en regardant l'ombre,
tel je devins à ces paroles dites;
mais la honte me fit ses menaces,
elle qui rend le courage au valet d'un bon maître.
Je m'assis donc sur cette affreuse échine;
et voulus dire, mais la voix ne vint pas
comme je croyais: "Serre-moi dans tes bras."
Mais lui, qui d'autres fois m'avait tiré déjà
d'autres dangers, sitôt que je montai,
m'entoura de ses bras et me soutint.

Soudain sur un damné qui était près de nous
un serpent se jeta, qui le transperça
à l'endroit où le cou se rattache à l'épaule.
En moins de temps qu'on n'écrit O ou I
il s'alluma, et il brûla,
puis il tomba tout entier en cendres;
et quand il fut à terre ainsi détruit,
la poussière se rassembla d'elle-même
et recomposa la forme précédente.

”Or discendiam qua giù nel cieco mondo”,
comiciò il poeta tutto smorto.
”Io sarò primo, e tu sarai secondo.”
E io, che del color mi fui accorto,
dissi : ”Come verrò, se tu paventi
che suoli al mio dubbiare esser conforto?”
Ed elli a me : ”L’angoscia de le genti
che son qua giù, nel viso mi dipigne
quella pietà che tu per tema senti.
Andiam, ché la via lunga ne sospigne.”
Così si mise e così mi fé intrare
Nel primo cerchio che l'abisso cigne.
Canto IV

”Descendons à présent dans le monde aveugle”,
commença le poète en pâlissant,
”je serai le premier, toi le second.”
Et moi, qui avais remarqué sa pâleur,
je dis : ”Comment viendrai-je, si tu crains,
toi qui toujours réconfortes mes doutes ?”
Et lui : ”C'est la souffrance des ombres
qui sont ici, qui peint sur mon visage
cette pitié que tu prends pour de la peur.
Allons, le long chemin nous pousse.”
C'est ainsi qu'il entra et qu’il me fit entrer
dans le premier cercle qui entoure l'abîme.
Chant IV

trad. Jacqueline Risset

Quiconque aura trahi meurt éternellement.

Enfer XI