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(L)ARMES d'errance , habiter la rue au féminin - Mauro Almeida Cabral - Document - Éditions Academia-L'Harmattan - Lu en mars/avril 2021.

Un mot sur l'auteur tout d'abord, éducateur spécialisé et travailleur de rue au Grand-Duché de Luxembourg, s'occupe des adultes qui vivent "dans les interstices urbains" et est activement engagé auprès des Yanomami en Amazonie brésilienne pour en savoir un peu plus sur ces populations indigènes, voici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Yanomami

Je n'ai pas l'habitude de faire une chronique sur un livre qui n'est pas un roman, mais plutôt un document, une étude, une réflexion sur un travail
plus spécifiquement orientés sur la problématique des femmes dans la rue.

Accessible à tous au niveau de la lecture, cet ouvrage met en lumière les difficultés de la "vie" dans la rue au féminin. une réflexion qui devrait nous interpeller, tant il est vrai que cela n'arrive pas qu'aux autres, il ne faut jamais se croire à l'abri d'une telle situation.

L'auteur dont le métier est au coeur de la rue va à la rencontre de ces femmes en difficultés, psychiques et physique. L'approche de ces personnes ne se fait pas si simplement qu'on pourrait l'imaginer. Il faut faire preuve de beaucoup de psychologie et gagner la confiance de ces femmes afin qu'elles s'expriment sans crainte, en étant sûres de ne pas être trahies. en un mot, comme l'écrit l'auteur "en toute discrétion", ne pas juger non plus.

L'auteur nous explique aussi qu'il ne faut pas catégoriser les femmes : telle est toxico, telle autre prostituée etc...

Mauro Almeida Cabral nous décrit aussi les dangers que courent les femmes dans la rue, leurs stratégies pour se protéger de la violence, masculine principalement, mais également entre femmes.

Il soulève aussi l'hygiène intime des femmes et les difficultés à accéder à des lieux prévus pour elles, du matériel adéquat, les structures d'accueil et leur fonctionnement.

L'auteur nous parle aussi de sa trajectoire sociale et de ses expériences professionnelles qui l'ont poussé à "cette mise en réflexion". Un séjour en Amazonie brésilienne auprès des Yanomami (qui signifie "êtres humains").

Il choisit de mettre en place ce qu'il nomme "LE PACTE de rue" "acronyme qui désigne plusieurs concepts en toile de fond de l'intervention d'un éducateur de rue, représentant des balises potentielles : la posture de Proximité, l'idée d'Altérité, le processus de Co-errance et la question de la Temporalité et de l'Espace, en constituent l'épine dorsale".

Cette lecture m'a beaucoup appris sur la vie que mènent les femmes vivant dans la rue, je n'imaginais pas non plus que le travail d'éducateur de rue était aussi pointu, aussi difficile, aussi prenant. Je les salue tous et toutes pour leur dévouement et leur écoute de la misère psychologique et physique des "gens de la rue", ceux et celles que nos regards ont tendance à fuir sans doute parce qu'ils/elles nous montrent que nous sommes extrêmement vulnérables et seul-es avec nous-même.

Que ceux et celles qui se sentent interpellés par cette problématique lisent ce livre, ainsi que ceux et celles qui projettent de se lancer dans ce métier ô combien difficile mais sans doute bien enrichissant au coeur de l'humain dans ce qu'il a de plus fragile.

Merci Mauro Almeida Cabral de m'avoir permis de lire votre livre et de me l'avoir envoyé.




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"Les femmes sans domicile ont à répondre à une double domination: en tant que pauvres...et en tant que femmes." Carole Amistani.
Hier, le 08/03/21, c'était la journée des droits de la femme. Hier, ces femmes avaient un enfant, un homme peut-être et surtout un...domicile!
Merci à Babelio, Masse critique et aux Éditions Academia.


Contrairement aux idées reçues, les violences faites aux femmes à la rue ne sont pas seulement le fait des hommes, les femmes SDF sont agressées par d'autres femmes, dans la misère, comme elles.
Pour l'argent de la mendicité, pour une bouteille de vin, pour un peu d'héroïne, ou pour un bout de macadam...


Maintenir un coin dans un état volontairement délabré, avec des déchets partout (seringues ou...pire!) écarte de potentiels agresseurs.


L'auteur est éducateur spécialisé et travailleur de rue et intervient auprès d'adultes " en marge de la société"...


"- Nous, les femmes, on doit faire attention tout le temps. Et puis, ça me stresse pas possible de pas savoir où dormir ce soir." Raconte Amel.


Environ 150 000 personnes SDF (sans compter "les invisibles"), 2 personnes sur 5 sont des femmes. Les solutions ne sont pas adaptées, car il n'y a pas assez de place. le 115 est rapidement saturé, et interdiction de se présenter à un centre d'hébergement... directement! Avec l'obligation de vider les lieux au petit matin, si on a eu la chance d'avoir un lit, sans parler des risques d'agression et de vol...


- Pourquoi vider les lieux, de bon matin ?
- C'est la DDASS qui veut ça comme ça. Or, c'est la DDASS qui nous finance...
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Éducateur spécialisé au Grand-Duché de Luxembourg, anthropologue en devenir (ou accompli au moment où je rédige mon billet) praticien-chercheur comme il se définit, Mauro Almeida Cabral pose un regard le plus objectif possible sur les femmes qui habitent dans la rue, regard réfléchi, professionnel, mais pas seulement : bienveillant et engagé, avec une incroyable honnêteté, et qui interroge sur des pistes d'amélioration de l'aide sociale. Preuve en est ce livre extrêmement documenté, étayé d'exemples vécus, qui est à la fois un état des lieux, un guide mais aussi une invitation à réfléchir au prisme à travers lequel on pose notre regard sur les habitants des rues.

Ces femmes peuvent être belles, sont vivantes, peuvent rire et rayonner, mais plus souvent pleurer à en crever. Comme il l'exprime si bien, la société, l'imaginaire collectif (archaïque ?) attend plutôt des femmes qu'elles se trouvent dans un foyer, élevant des enfants et non dans une ruelle à s'injecter une dose de drogue dans une veine du pubis, pour se donner du courage ; courage de se prostituer par exemple, pour pouvoir acheter ensuite une dose pour lutter contre le manque, puis pour se donner le courage de dormir dans des lieux improbables où l'insalubrité côtoie l'insécurité.

L'armes d'errance m'alarment de tant d'air rance.
La rue, ruelle, rue Elle, cruelle, crue elle, elle rue et n'en peut plus.

Temporalité autre, jour et nuit en mélange
Corps sales et puants, comme autant d'armes contre les viols
Femmes cachées, femmes invisibles, femmes prostituées, faméliques
Marcher pour ne pas tomber (plus bas)
S'asseoir pour travailler (faire la manche)
Se droguer pour ne pas souffrir (du manque)
S'alcooliser pour ne pas penser (à cette vie)
En oublier de se faire panser (abcès)
Trouver un gars qui protège…ou cogne…

Des données tangibles rapportées par l'auteur, appuyées de photos de lieux douloureuses à regarder ; Luxembourg où le luxe n'est pas accessible à tous, la luxure beaucoup plus. Il ne cesse de prendre du recul afin d'être au plus proche de la réalité.
Une réalité de la rue très dure à envisager pour qui dort bien tranquillement dans sa literie douillette à l'abri du froid, voire des rats et des excréments. Si l'auteur, en tant qu'homme, confie ne pas pouvoir absolument tout appréhender des difficultés de ces femmes, notamment corporelles, la lectrice femme que je suis, au contraire, par simple empathie miroir ressent dans ses tripes toute l'aberration de certaines situations, et surtout l'angoisse omniprésente, la quête de la sécurité.

Femmes qui repoussent les limites de leur corps et de leur mental, au point de sembler être à la fois ici et ailleurs, comme décorporées, leur esprit en cloisonnement.

J'ai mal à ces femmes, ici et maintenant.

Je souhaite une belle poursuite de son parcours atypique à l'auteur, investi également auprès des Yanomami en Amazonie brésilienne, et le remercie, ainsi que les éditions Academia L'Harmattan, pour l'envoi de ce livre instructif.
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Quand il marche à travers les cités à la recherche " d'habitantes de la rue " , il remarque alors combien leurs droits à la douleur , au mépris et à l'horreur , surpassent de loin ceux des hommes qu'elles côtoient , et , qui hantent à leurs côtés ces lieux miteux , léprosés .

Quel privilège !

" Bruno partage l'idée suivante : la rue est dangereuse pour une femme et il a peur qu'il puisse arriver " quelque chose " à sa compagne . En tant qu'homme , il estime avoir plus de facilités à se débrouiller .
De quels dangers voulait-il parler exactement ? " P. 31

Mauro Almeida Cabral , engagé auprès des Yanomani en Amazonie brésilienne , est plus qu'un éducateur de rue , il est aussi chercheur .
Son rôle , bien défini , lui permet de communiquer avec les personnes qu'il rencontre , en pensant l'altérité , il les considère et les accepte comme l' Autre , différent de lui .
Il mène ses enquêtes au Grand Duché de Luxembourg où , bien sûr , comme dans les autre pays sont établies des associations qui viennent en aide aux plus démunis .

En Belgique , nous ne sommes pas en reste , une floppée d'organismes sont au devant de la scène , notamment , la Croix-Rouge , SPPIntegration sociale , infosdf.be , etc , etc .
Sur les sites que j'ai consultés , les slogans sont écrits en lettres majuscules , du style :
SELON LA LOI ,
CHACUN A DROIT A UNE ALIMENTATION SAINE , A DES SOINS ET A UN TOIT ( infosdf.be )

Je m'arrêterai là dans l'absurdité .

Qui , parmi les sans-abri , a la possibilité de se renseigner via un ordinateur , une tablette ,un téléphone portable ?
" Assises à même le sol , parfois avec un simple carton qui fait lien entre le béton et le corps , ces femmes saluent les passants en attendant que le don d'une pièce fasse office de reconnaissance des bons gueux . ( terme qui désigne les bénéficiaires qui sont " manipulateurs " et qui vivent de la mendicité , de " la bonne volonté " de ceux qui travaillent . ) " P. 71

Heureusement , des oreilles se tendent , des mains s'ouvrent et des coeurs souffrent avec ces êtres qu'ils essaient de comprendre .
Comme l'auteur qui , dans une composition de termes très pointus , nécessaires à l'explication de son étude , et des confidences '" des habitantes de la rue " , nous emmène dans le monde sordide du sexe , de la drogue et de l'indicible , leur quotidien .

Ce livre ne comporte que 160 pages qui représentent le vécu d'un homme plein d'empathie et de courage pour des êtres faibles , victimes de leurs gènes , de leur famille et de la société .

Trop de mots me restent sur le coeur tant les situations sont douloureuses .
Je vous parlerai de quelques-unes dont ces fameux cartons , utilisés pour couper du froid , qui sont de véritables nids à rats car souvent de la nourriture y reste collée et à peine visible . le rat de fait pas de différence !
Ou encore de ces femmes qui se donnent à n'importe quel demeuré pour une petite part de butin : la came qui les rend fortes , audacieuses mais qui , pourtant , les envoie piane-piane- vers le néant , la mort .
D'autres veulent vivre , invisibles avec un minimum d'hygiène et de dignité , celles-là mêmes qui dorment dans les gares ou les salles d'attente des hôpitaux .
Et qui , à mon avis , peuvent retrouver une vie " normale" en société .

La question majeure que l'on est en droit de se poser est : "mais où sont ... les associations benoîtes qui sont souvent bien rémunérées et comment se font-elles connaître si ce n'est par internet ?
Pourquoi des avis , des informations ne sont-ils pas placardés , mis en évidence partout , sans oublier que certaines personnes à la rue sont analphabètes ?
Pourquoi un service de produits d'hygiène n'est pas à leur portée et sous contrôle d'assistants sociaux ?
Pourquoi ces pauvres femmes femmes doivent-elles utiliser du papier journal quand elles sont réglées ?

Tant de pourquoi !
On approuverait presque la prise de drogue !

" La vie est quelque chose de si abominable qu'il faut la déguiser pour l'avaler . Si on ne la sucre pas avec une drogue extraordinaire , le coeur vous manque ! " ( Flaubert , Correspondance )

Je remercie sincèrement l'auteur et les Editions Academia pour l'envoi de ce livre interpellant , grave et instructif .


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Mauro Almeida Cabral est un éducateur spécialisé, travailleur de rue, apprenti chercheur qui sillonne les rues du Duché du Luxembourg pour aller à la rencontre des habitantes de la rue sous anonymat, en toute discrétion il s'approche, scrute, prend la température, incommodé par les odeurs, les déjections humaines, les seringues, refuge des toxicomanes, des prostituées, éloignées des leurs et de leur descendance.

Ces femmes vulnérables sont invisibles dans la rue, alors de jour comme à la tombée de la nuit, Mauro, se glisse dans les interstices urbains avec une posture discrète et professionnelle pour les approcher, donner des produits d'hygiène, des préservatifs, échanger quelques paroles, comprendre leurs effrois, les orienter vers un dispensaire. Ce qui n'est pas aisé pour ce public éloigné des organisations sociales qui ne veut pas toujours décliner son identité de peur d'être rattrapé par son passé en dépit de sa grande précarité.

Certains quartiers ne sont pas pacifiés et les femmes en sont les premières victimes, en proie à la drogue, au viol, menacées quotidiennement dans leur intégrité physique et morale.

Cette étude est le fruit de ses rencontres et du soutien de la part de professionnels du social. Les contours de son action sont balisés, l'auteur nous apprend jusqu'où il peut aller d'un point de vue éthique. Il s'appuie sur des exemples pour illustrer ces maux de la rue.

A travers ces propos, j'ai eu le sentiment que Mauro redonne une forme de dignité à ces femmes qui sont dans des entraves douloureuses, excluantes, liberticides.

Au cours de cette lecture, malgré l'âpreté du sujet, l'auteur dégage de la sérénité, de la solidité, une profonde humanité.

Merci Mauro pour cette brillante étude et ces (L) armes d'errance.
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La place des femmes dans l'espace public a toujours été problématique d'un point de vue sécuritaire. Laquelle d'entre nous n'a jamais changé de trottoir pour éviter un groupe d'hommes « énervé » ? Essuyé des insultes, des remarques déplacées ? Changé de chemin pour éviter une rue un peu risquée ? Et je ne parle même pas des mains aux fesses et des frotteurs du métro. Même si c'est complètement inadmissible et révoltant pour la grande majorité d'entre nous un foyer sécurisant nous attend.
Mais que se passe -t-il quand en tant que femme l'espace public est notre maison ? Quand notre féminité se résume à un danger pour notre intégrité physique ? En y réfléchissant bien des femmes qui vivent dans la rue vous en croisez beaucoup dans votre ville ? Moi non. Pourtant elles représenteraient 40 % de la population des sans abris. Claire Lajeunie dans son documentaire les qualifie « d'invisibles ». Cette idée est aussi reprise par Mauro ALMEIDA CABRAL qui nous explique qu'être une femme dans la rue c'est être en danger, alors ces femmes disparaissent. Elles rusent et deviennent invisibles : en se masculinisant, en choisissant soigneusement leurs fréquentations, les lieux et les heures où elles décident de se montrer, en devenant repoussantes… Il leur faut éviter les agressions physiques, les maltraitances, apprendre à vivre dans la peur toujours sur le qui-vive. Pas étonnant que ces femmes en ressortent épuisées physiquement et psychologiquement. Parfois même à force de se nier la conscience de leur propre corps les abandonne comme si leur corps n'existait plus. La rue les tue à petit feu à coup de drogues, d'humiliations, de honte et de mépris.

L'auteur s'appuie sur ses connaissances d'éducateur de rue dans le Grand Duché du Luxembourg mais aussi sur son savoir en ethnologie pour nous exposer de manière construite et structurée à quel point ce monde est à part. Tout ce qui nous paraît évident, que nous faisons par automatisme et convention sociale est complètement déconstruit dans ce monde de la rue. La temporalité, les priorités, le rapport au corps, à l'intimité, au sexe, à l'autre, absolument tout s'en trouve bouleversé. Jusqu'à devenir deux mondes qui se côtoient sans se comprendre. A tel point que les structures sociales mises en place pour aider les gens vivant à la rue ratent parfois complètement leur objectif par manque d'adaptation et de pertinence. Elles ne sont pas toutes adaptées à la réalité. Pire que tout l'aide apportée est parfois infantilisante et moralisante. Il faut se soumettre aux conditions ou partir mais parfois les structures ne se rendent pas compte que les conditions ne sont pas tenables pour qui vit à la rue. Un peu comme les parents autoritaire fermés au dialogue et le fameux « tant que tu vivras sous mon toit... »

Je ne rentre pas dans le détail de cette vie de rue au féminin car Mauro ALMEIDA CABRAL le fait très bien de manière claire, complète et cohérente et je ne voudrais pas gâcher la lecture de ceux qui voudraient se lancer. Cet essai ou documentaire (je ne sais pas trop comment le qualifier) alterne confidences, tranches de vie, informations, références et nous donne une vision complète de ce monde, de ces femmes qui pour une fois sont le centre d'intérêt de quelqu'un.

Ce livre nous rappelle que faire semblant que le problème n'existe pas ne le fera pas disparaître. Il y a des gens dont c'est le métier, des structures aussi, mais nous oublions trop souvent que le regard que nous portons sur ceux qui vivent dehors les impacte et qu'ils n'ont pas besoin de voir dans nos yeux le dégoût qu'ils ressentent déjà pour eux mêmes. Les regarder sans les juger c'est les traiter en égal et en être humain. Un minimum auquel nous devrions tous avoir droit.

Je remercie beaucoup Mauro ALMEIDA CABRAL pour m'avoir si gentiment proposé la lecture de son livre et pour nos échanges ainsi que les éditions L'Harmattan (academia) pour cet envoi dont nous avons bien cru qu'il n'arriverait jamais à destination.
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Avant toute chose, je souhaite remercier l'auteur, Mauro Almeida Cabral, de m'avoir envoyé son livre suite à quelques échanges par mail, ainsi que Christine (Babounette) qui m'a mise en contact avec lui.
Une lecture difficile, bien loin des fictions qui constituent mes lectures habituelles, et que j'ai du fractionner, reposer puis reprendre avec des retours en arrière parfois. Et quand je parle de lecture difficile, ce n'est pas au vocabulaire, certes pointu et pas toujours accessible au novice en matière d'ethnographie, que je me réfère, mais au contenu de cet essai, qui nous met le nez dans une réalité dont les fragrances ne pas toujours agréables à nos nez délicats, au propre comme au figuré. En compagnie de Mauro nous allons à la rencontre des femmes qui vivent dans les rues du Luxembourg, ce grand-duché qui pour la plupart d'entre nous est synonyme de richesse et de salaires élevés.
Mauro a une double casquette : en même temps éducateur spécialisé (travailleur de rue) et chercheur en ethnographie. Dans la première partie il nous explique de façon très détaillée comment son travail de chercheur se nourrit de son activité de travailleur de rue, mais aussi combien il est important que les deux fonctions demeurent distinctes, afin de les mener correctement. Il choisit donc pour gagner la confiance des femmes qu'il approche de ne pas dévoiler son statut de chercheur, ni son but d'écrire sur cette expérience. Il prend donc des notes dans un carnet suite à chacune de ses "co-errances" comme il qualifie ses rencontres avec les femmes qui habitent les "interstices urbains", ces lieux souvent très discrets où elles tentent de préserver leur sécurité face aux multiples difficultés de leur quotidien. Ce sont ces lieux, et surtout leurs habitantes que nous découvrons en accompagnant Mauro.
Dans la seconde partie, plus concrète et donc plus accessible au non-professionnel, il partage avec nous les récits recueillis auprès de deux femmes au parcours et au profil très différent : Amel, qu'il surnomme la Rose du bitume, et Jessica, l'essence de l'asphalte. Et nous prenons conscience qu'il y a mille façons de se retrouver en situation de précarité, à tout âge, et quel que soit notre profil. de quoi nous donner matière à réflexion sur notre propre situation, peut-être pas toujours idéale, mais certainement bien loin des contingences quotidiennes qu'elles affrontent. Comment échapper à la violence à laquelle elles doivent faire face constamment, violence des hommes (clients lorsqu'elles ont recours à la prostitution, conjoints en crise, dealers...), violence des autres femmes pour la possession d'un bout de trottoir, violence des remarques ou du mépris des "gens normaux" ? Et parfois, violence par maladresse ou méconnaissance de leurs besoins réels de ceux qui sont censés les aider, associations ou lieux d'accueil qui ne captent pas toujours leur singularité, leur altérité et voudraient les fondre dans un moule. Une scène me vient particulièrement à l'esprit, celle de la douche imposée à une de ces femmes, et dont la conséquence directe a été un viol...
Violence faite à soi-même aussi, notamment par l'usage intensif de substances destinées à supporter les douleurs, le désespoir, à "partager" un moment de convivialité avec d'autres aussi mal lotis que soi. Ou par la difficulté de l'accès au soin quand le corps ne suit plus...
On ressent toute l'empathie de Mauro envers ces femmes, qui sont certainement bien loin de représenter de simples sujets d'étude pour lui, même si cet ouvrage concrétise effectivement son travail de chercheur. Il a sans doute été bien difficile parfois de maintenir la distance nécessaire tout en cherchant à gagner la confiance et à aider quand cela était possible (et souhaité, on découvre que ce n'est pas toujours le cas). J'éprouve une grande admiration pour les éducateurs en général et particulièrement ceux qui travaillent auprès des plus précaires. Mais j'ai aussi découvert les failles de nos institutions, les manques de moyens et les difficultés pour certains publics à avoir accès aux aides. Une approche transversale et pluridisciplinaire serait nécessaire, plutôt que des structures ne traitant qu'un aspect des nombreux problèmes des habitants de la rue, c'est le but de la collection "Transitions sociales & résistances", qui a publié ce document et s'adresse principalement aux professionnels de l'action sociale et aux acteurs académiques (j'ajouterais : et politiques).

Cette lecture ne me laisse pas indemne, moi qui ait déjà été confrontée aux difficultés de très jeunes adultes en situation de grande précarité, et dont certains risquaient de se retrouver "à la rue" dès le jour de leur majorité.
Mais ce genre d'ouvrage doit absolument être lu, quitte à bousculer notre zone de confort. Je suis prête à le faire circuler pour ma part.
Je ne mets pas de note, ça me semble un peu déplacé dans ce cas précis, je ne me sens pas légitime à juger ce remarquable travail.
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Ce livre qui m'a été recommandé par Christine (Babounette) bouleverse notre représentation de notre société au XXIème siècle

Ce livre que je croyais être un récit de vie écrit par un éducateur de rue au Grand Duché de Luxembourg est en fait un travail scientifique très fouillé, très bien construit , très bien écrit et est empreint de beaucoup d'humanité, d'empathie, d'écoute sans aucun voyeurisme même s'il dit les choses telles qu'elles sont. Et certaines choses ne sont pas belles ni à voir, ni à entendre.

Qui penserait qu'au Luxembourg, "place forte réputée" pour la grande finance, où l'on se targue de ne connaître qu'un taux de chômage peu élevé, il existe dans des rues hors de la vue des bureaucrates un tantinet (?) hypocrites, des femmes SDF . Elles sont une minorité. Beaucoup d'entre nous s'imaginent que le SDF est un homme, alcoolique, puant, vêtu de loques. Cependant ces femmes existent bel et bien. Elles se font discrètes car elles sont plus fragiles que les hommes dans le sens où elles sont le plus souvent victimes d'agressions, de violences ou même de viols. Certaines tentent de se trouver un homme, SDF comme elles, qui servira de protecteur face à un monde hostile.

La vie les a laissées pour compte et leur corps en portent les stigmates : elles paraissent souvent plus vieilles. Pour survivre, elles font la manche ou se prostituent à bas prix. N'étant plus couvertes par la sécurité sociale, la drogue devient un médicament empêchant de souffrir physiquement ou psychiquement car se faire soigner en milieu médical coûte trop cher. Leur corps portent aussi les cicatrices de cette violence. Cette violence qu'elles craignent au point de se cacher la nuit dans des squats improbables tout en dormant très peu. le jour, elles essayent d'être invisibles, se promenant dans les grandes surfaces comme n'importe quelle autre femme.

Au fil du temps, les SDF perdent tous les repères temporels et spatiaux. Vivant selon un rythme basé sur les moments pour faire la manche, les moments pour trouver un dealer, les moments pour se prostituer.
Les associations qui devraient leur venir en aide n'ont pas une vision globale de leurs problèmes. Telle association s'occupe de femmes battues par leur conjoint, telle autre des problèmes de drogue ou de prostitution. Comme tout est saucissonné, les quelques aides reçues leur sont de peu d'utilité. Qui plus est, une femme SDF est mal considérée car notre culture continue à voir la femme au foyer, s'occupant de ses enfants. On ne cherche pas toujours à comprendre plus avant.

C'est ce qu' a fait l'auteur de ce livre, sans s'imposer , dans le respect de l'Autre en tant qu'humain tout simplement. Il les a écoutées, orientées le cas échéant, jamais il ne les a jugées. L'auteur est pourtant un homme, certaines femmes auraient pu se méfier, mais non, il a été présent tout simplement. Elles ont eu confiance et ont laissé venir les mots.

Mauro Almeida Cabral en remplissant des carnets de bord (qui ne permettent pas d'identifier qui que ce soit) après les rencontres, en a tiré un document scientifique qui peut faire référence dans le monde "social". C'est un sujet peu courant, me semble-t-il. Politique de l'autruche de la part de notre société ?

Merci à Mauro Almeida Cabral de m'avoir ouvert les yeux sur un sujet si peu connu du grand public - même si je pense que ce livre s'adresse d'abord et avant tout à un public de professionnels s'occupant de la précarité et des problèmes sociaux qui s'y rapportent. Car je déduis des témoignages lus, que beaucoup d'organismes ne savent pas comment s'y prendre avec ces femmes SDF ; ce livre leur permettrait de se remettre en question. C'est mon plus grand souhait, en tout cas.

Ce livre va trouver sa place dans la bibliothèque de l'association, là où je suis bénévole dans la ”branche” école de devoirs organisée pour les enfants en âge d'école primaire. L'association est une ASBL (association sans but lucratif en Belgique) qui agit dans les secteurs de la formation, du soutien moral, de l'accompagnement social, de l'animation, des questionnements éthiques qui touchent des publics multiculturels essentiellement adultes issus de tous les milieux socio-économiques

Merci Mauro Almeida Cabral d'être l'homme que vous êtes avec tant de qualité d'écoute et d'humanité.
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Un livre enrichissant qui pose un regard juste, authentique et sincère sur la condition des femmes en rue. Écrit avec beaucoup de soin. Je le recommande à tous les lecteurs, travailleurs sociaux ou non, ayant un quelconque intérêt pour le sujet. Merci pour cette découverte!
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J'ai reçu ce livre grâce à Babelio et Masse Critique. C'est un livre intéressant, riche en informations permettant de découvrir le quotidien des femmes dans la rue. Un peu trop technique pour moi dans sa première partie où l'auteur décrit le cadre de ses recherches. J'ai eu l'impression de lire une thèse. La deuxième partie, émaillée de tranches de vie de ces femmes qui vivent dans la rue, fait froid dans le dos. Je ne m'étais jamais posé la question des difficultés particulières des femmes de la rue et elles sont nombreuses. Quand les associations proposent une douche et des soins d'hygiène à une femme, et que cette action va mener à un viol, ça fait réfléchir. Parce qu'une femme dans la rue qui sent bon, ça attire les prédateurs. Alors elles ne se lavent pas, elles cachent leur féminité avec des vêtements amples, sales, elles coupent leurs cheveux, simplement pour survivre. Bouleversant. Clairement mon regard ne sera plus le même sur ces femmes démunies.
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