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sur 2272 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Il ne joue pas du piano debout. Assis, c'est quand même plus confortable. Berger sans troupeau, le prodige pianote du Beethoven dans les aéroports et les gares. Pourquoi Joseph exprime son talent dans ces lieux de passage ? Ni pour orchestrer le roulis insupportable des valises, ni pour mettre en musique les voix autoritaires des hôtesses qui sifflent le rappel porte 8 pour embarquer le cheptel et notamment les égarés du duty free, ni pour masquer l'annonce habituelle du retard de tous les trains en provenance de partout, ni pour passer le temps qui trépasse. En fait, Joe cache un secret et le dernier roman de Jean-Baptiste Andrea va nous le révéler avec virtuosité.
Cinquante ans plus tôt, devenu orphelin à l'orée de son adolescence, Joe se retrouva dans un orphelinat aussi lugubre que perdu dans les Pyrénées, le très bien nommé « Les confins ». Sonate au clair de lune. L'abbé qui dirige cet enfer est la réincarnation d'un grand inquisiteur, aidé par un ancien légionnaire sadique qui assure avec zèle son rôle de pion. Jeux interdits.
Pour résister à la maltraitance et rêver d'évasion, Joe va se lier d'amitié avec d'autres camarades, surnommés Sinatra, Souzix, La Fouine, Grenouille et Momo. Ils vont se réunir la nuit pour écouter en secret une émission de radio. Cette société secrète rappelle « Les disparus de Saint-Agil ».
Le jeune garçon va aussi se raccrocher aux souvenirs des cours de piano suivis auprès de son vieux maître qui l'incitait à chercher le rythme caché derrière les notes. Dans les sentiments.
Roman initiatique, Joseph va aussi rencontrer Rose, fille d'un riche donateur de l'orphelinat à qui il doit enseigner la musique tous les samedis et qui va lui révéler le solfège de l'amour. Ré mi fa sol, sans famille. Cela va twister dans le coeur de cet Oliver.
Autour de Joe, l'auteur construit des personnages très incarnés. le récit est poignant mais ne sombre jamais dans le tragique gratuit. Il ne fait jamais l'aumône de larmes. A vot bon coeur m'sieurs dames. Certains passages comme celui du concours des histoires les plus tristes où chaque gamin raconte sa propre vie sont des bijoux littéraires. J'ai adoré cette faculté à rendre drôle des moments si tristes.
Si l'ambition de Jean-Baptiste Andréa était d'écrire la musique au-delà des notes, sa partition est parfaite et le zeste d'aventures qui pulpe le récit autour des enfants me fait regretter une seule chose : d'être trop vieux pour avoir la chance de pouvoir découvrir ce roman à l'adolescence. J'aurai adoré le lire en cachette à la lampe de poche, sous mes couvertures.
Rien à jeter dans ce roman, à part son titre, digne d'un Dan Brown sous morphine.
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Comme la plupart des lecteurs, lorsque j'entame un livre, j'espère toujours rencontrer le coup de coeur. Il existe pourtant une catégorie supérieure à ces livres que l'on referme les larmes aux yeux, le sourire aux lèvres, le coeur palpitant ou avec le regret de devoir quitter des personnages foncièrement attachants : ce sont ces romans dont on balance le titre pour répondre à la question « Quels livres emporteriez-vous sur une île déserte »…ces petits chefs-d'oeuvre que l'on n'emporterait pas seulement pour faire le plein d'émotions, mais surtout pour combler le vide… Je crois bien que « Des diables et des saints » fait partie de cette dernière catégorie.

Il y a des livres qui vous cueillent au fil des pages, mais il y a également ceux dont il suffit de lire seulement quelques lignes pour savoir qu'ils vont vous percuter de plein fouet…un genre de sixième sens, qui vous prévient que la vie autour de vous va s'arrêter jusqu'à ce que vous ayez terminer la dernière page. Ce n'est pourtant pas que chaque phrase vous donne envie de vous précipiter sur la suivante, plutôt même le contraire, le besoin de s'arrêter après certaines phrases car celles-ci ne se contentent pas d'être lues, mais vous transpercent parfois le coeur, parfois le cerveau, souvent les deux. Je ne compte pas le nombre de fois où je suis remonté en surface, déposant le livre, puis après un moment de silence me tournais vers ma femme pour lancer un énième « Mon Dieu que c'est bien écrit ! ».

Quand je vois comment un type comme Trump parvient à fédérer des millions d'imbéciles sur Twitter en alignant quelques mots appris en école primaire, je suis bouche bée, mais d'écoeurement et de tristesse. La profondeur et la justesse que l'auteur de « Cent millions d'années et un jour » parvient à créer en alignant les siens me laisse également sans voix, mais d'admiration et de gratitude. S'il est question de rythme et de musique dans ce roman, le véritable virtuose se nomme Jean-Baptiste Andrea et lorsqu'il nous abandonne sur la dernière note ce n'est pas une ovation qui retentit, non… pas directement, car il y a d'abord ce moment de silence nécessaire au retour sur Terre, celui qui s'accapare du lecteur lorsque l'art laisse sans voix !

Normalement je devrais vous parler de l'histoire, des personnages, des thèmes abordés, de la narration et des autres éléments qui font toute la saveur de ce petit chef-d'oeuvre, mais j'en suis bien incapable car je crois qu'il faut l'avoir lu/vécu pour pouvoir le partager. Quand ma femme me demandait de quoi ça parlait lors de chacun de mes retours sur Terre je disais que ça parlait d'orphelins, de musique, de religion, d'un vieux qui joue du piano, divinement, et de types qui ont marché sur la Lune, même si ce ne sont pas Amstrong et Aldrin les véritables héros de cette mission connue de tous, mais Michael Collins, l'astronaute qui se trouvait derrière la Lune, seul au monde, coupé de tout contact radio avec la Terre, un peu comme s'il était sur une île déserte…sauf que lui n'avait pas emporté ce livre avec lui pour combler le vide. Il aurait dû !

Beaucoup plus qu'un coup de coeur !
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Un grand merci à Babelio et aux éditions L'Iconoclaste...

Bien qu'il joue divinement bien du piano, du Beethoven la plupart du temps, Joe ne remplit pas les salles sombres. Et pourtant, les gens l'écoutent. Surpris d'entendre une si belle mélodie dans ce lieu où chacun ne fait que passer. Orly, Roissy, Montparnasse, Union Station ou encore John F. Kennedy Airport. S'il joue, ce n'est pas pour être connu mais pour être reconnu...
Des décennies auparavant... Joseph vit paisiblement sa petite vie d'enfant auprès d'un père vendeur de matelas et de chaussures, d'une mère aux origines anglaises, d'une insupportable soeur et du vieux Rothenberg, son professeur de musique. Paisible jusqu'à ce que, tragiquement, sa jeunesse se termine le 2 mai 1969, à 18h14, lorsque l'avion qui transportait ses parents et son insupportable soeur s'écrase devant lui. C'est alors qu'il se rend compte qu'il n'a personne d'autre au monde. Il est alors envoyé à l'orphelinat, Les Confins, tenu d'une main de maître par l'abbé Armand Sénac et Grenouille, le surveillant général...

Dès les premières notes de musique, l'on tend l'oreille pour écouter ce que cet homme, assis droit devant le clavier d'un piano, nous murmure. Il nous prend ensuite par la main et nous emmène loin de cette gare, dans les montagnes pyrénéennes, où cinquante ans auparavant, après le décès si brutal de ses parents et de sa soeur, il a franchi les portes de l'orphelinat. C'est dans l'enceinte de ces murs qu'il va faire la connaissance d'adolescents comme lui qui laisseront une empreinte indélébile dans son coeur. C'est avec beaucoup d'émotions, de justesse et de sensibilité que Jean-Baptiste Andrea nous conte l'enfance de Joe. Des amitiés sincères et profondes à la rencontre inoubliable d'une Rose en passant par les coups durs, au sens propre comme au figuré, ou encore les trahisons, le séjour du jeune garçon marquera à jamais l'homme qu'il est devenu aujourd'hui. Un roman très touchant et émouvant, pétri de tendresse, que la plume de l'auteur, élégante et profonde, accompagne au diapason...
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Le vieux Joseph gâche ses talents de pianiste concertiste en jouant Beethoven à la perfection dans les gares et les aéroports, où il semble indéfiniment guetter quelqu'un. Cinquante ans plus tôt, un adolescent débarque au pensionnat religieux Les Confins, dans les Pyrénées. Récemment orphelin, il découvre privations et brimades dans cet établissement quasi pénitentiaire, où échouent enfants abandonnés ou différents. Mais il y aperçoit aussi Rose, une jeune fille dont la famille possède une résidence à proximité.


Le coeur du roman est très sombre, puisqu'il nous plonge dans la violence et la maltraitance subies par des enfants confiés à un pensionnat religieux. L'aperçu des conditions de vie ineptes, soigneusement camouflées pour ne pas transparaître au-dehors – châtiments corporels, mise à l'isolement, malnutrition, humiliations… –, s'accompagne du portrait au vitriol d'un homme d'église au coeur sec, totalement dépourvu d'empathie, obsédé par une discipline brutale et vengeresse. Sa cruauté, perversement dissimulée sous une façade charitable et paterne destinée aux occasionnels témoins extérieurs, s'exerce sans frein dans l'enceinte fermée qui livre à sa merci des victimes sans recours.


Pourtant, jamais le récit ne cède tout à fait à la noirceur. L'amitié et la solidarité entre pensionnaires, puis bientôt l'amour pour une jeune fille elle-même en rébellion contre la condition féminine de son milieu bourgeois, viennent préserver émotion et humanité dans un texte traversé par l'espoir, l'envie de liberté, et la beauté musicale. Nombreux sont les personnages bouleversants. A commencer par le vieux professeur de piano de Joseph autrefois, un génie bougon et exigeant qui n'aura jamais su à quel point il aura servi de tuteur à son élève. Mais aussi, Momo, l'enfant que sa déficience rend doublement orphelin, de sa famille et de lui-même, et pour qui l'enfer du pensionnat vaut encore mieux que ce qui l'attend au-dehors. Et bien sûr, Joseph vieilli, qui se souvient, et dont on devine, au travers des non-dits, le gouffre qu'est demeuré sa vie, lui permettant du même coup, avec une cruauté ironique, d'atteindre à son tour la perfection musicale.


L'on retrouve avec plaisir le style de Jean-Baptiste Andrea, son juste choix des mots et des images, avec toutefois le regret que l'écriture paraisse un peu moins travaillée que dans Cent millions d'années et un jour. Même si cette déception est toute relative, je n'ai pas retrouvé aussi nettement et aussi souvent la beauté des phrases qui m'avait alors séduite au-delà du coup de coeur, faisant de ce précédent roman de l'auteur une de mes lectures phares de l'année 2019. Cela n'empêche pas Des diables et des saints de rejoindre mes coups de coeur de 2021, la nuance de jugement s'établissant seulement entre l'excellent et l'exceptionnel.

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Tout commence aux confins des Pyrénées entre France et Aragon, quand Joseph qui vient de perdre ses parents découvre le lieu des diables et des saints. Un lieu qui aurait pu faire de lui un jeune homme perdu pour lui-même, et de son histoire une histoire d'empêchement de grandir, sans son extraordinaire capacité de résilience. Sans la Vigie de cinq orphelins, la tête dans les étoiles, prêts à tout pour échapper à l'enfer du pensionnat d'un religieux illuminé. Sans l'étrange, fascinante et jeune Rose. Une piètre pianiste à qui Joseph est sensé apprendre les secrets de la musique, pour laquelle des décennies après dans les gares et les aéroports il joue encore, espérant qu'elle le reconnaîtra à sa virtuose interprétation de Beethoven.
Musicale, poétique, envoûtante, l'aventure d'enfants perdus qui luttent contre le pire et pour un mieux, mais aussi et surtout une formidable histoire d'amour.

« [...] la voix est éternelle. J'aime à penser, cinquante ans plus tard, que ses échos dispersés voyagent toujours, à la vitesse du son, vers les frontières glissantes du cosmos. Qu'une intelligence distante et infinie la captera un jour. L'écoutera, songeuse. Et se dira que nous étions bêtes, mais que nous étions beaux. »

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Coup de coeur pour ce roman de la résilience !


Qui est ce personnage qui parcourt les gares et lieux publics du monde entier, pour peu qu'il puisse s'y installer pour jouer du piano ?

Pour le savoir, il faut écouter ses confidences, celles d'un petit garçon dont l'enfance s'est arrêtée brutalement lorsque ses parents et sa soeur ont disparu. La vie familiale confortable a fait place à un quotidien de bagnard, entre les murs suintants de l'orphelinat des Confins.

Les coups, les privations, voire le cachot sont le lot de ces gamins oubliés. Joe a un privilège (mais en est-ce vraiment un ?), celui de servir de secrétaire particulier à l'abbé qui dirige l'établissement. Et à la suite de la visite d'un bienfaiteur, se présente l'opportunité de rejouer du piano, l'une de passions de sa vie d'avant, enseignée avec zèle par un vieux professeur qui a su être exigeant, à la hauteur du talent de son élève.

Le piano : une évasion virtuelle mais aussi l'espoir de vraiment se faire la belle.

C'est passionnant, impossible à lâcher, écrit avec une virtuosité qui impressionne. J'avais beaucoup aimé Cent millions d'année et un jour, mais je préfère encore celui-ci. Parmi les pianistes de gare, Joe sévit-il toujours ?

Merci à Babelio et aux éditions Iconoclaste.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Impossible de lire cet ouvrage sans avoir le coeur qui cogne. Des diables et des saints, c'est rugueux et douloureux comme le frottement du papier de verre sur la peau, éblouissant comme un soleil d'été à son zénith, parfois doux comme de la ouate. C'est le récit d'une enfance violentée, de l'innommable abus de certains adultes, de la parole étouffée. Celui aussi de la résilience, de l' amour inaliénable, sublimé par l'absence, de l'amitié à la vie à la mort. C'est le rythme de la musique, du coeur de Rose, du rire de Danny, de la liberté conquise au prix d'un effort de légende. le rythme qui tient tout, qui tient "la vie debout". La fin du roman est à couper le souffle. Littéralement.
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Joe est un pianiste hors pair. Vous ne l'entendrez jamais dans une salle de concert. Il ne joue que dans les lieux de passage, gares ou aéroports. Il attend quelqu'un, celle qui lui a dit qu'elle le reconnaitrait, où qu'il soit, s'il jouait aussi bien que la première fois qu'il avait joué devant elle.
Juillet 1969 : Alors que l'homme marche sur la lune et que Michael Collins tourne autour, disparaissant derrière sa face cachée 47 minutes à chaque révolution, Joseph, tombé brusquement malade deux mois plus tôt, arrive aux Confins. Sa maladie n'est pas contagieuse, elle est incurable : il est orphelin.
« Je partis pour un lieu dont vous n'avez jamais entendu parler, puisqu'il n'est pas sur Terre. Je partis pour un lieu dont vous n'entendrez jamais parler. Il est fermé depuis longtemps.
L'orphelinat Les Confins. Je dis fermé, mais chez certains, il saigne encore »

Un établissement sinistre, dirigé par un prêtre, tout de noir vêtu, aux cheveux teints en noir, à l'âme tout aussi noire, digne héritier des inquisiteurs, secondé par la Grenouille ancien légionnaire sadique.
Comment survivre dans un endroit pareil ? Il y a la Vigie, petit groupe qui se retrouve sur les toits le dimanche, pour respirer un air pur, non contaminé par la cruauté de ce lieu. Et il y a Rose, que Joseph aime d'abord détester, Rose avec qui il va découvrir l'amour :
« Je songeai à Mina, à ses vêtements trop grands, ses bras enfouis jusqu'aux coudes dans une bassine pleine d'eau de vaisselle ou dans le cul d'une oie qu'elle venait de plumer, à cette reine décolorée par la vie, le vent, la lumière. Non, elle n'était pas belle, pas comme Rose l'entendait.
- Elle est magnifique
Rose glissa dans mes bras. Je venais d'apprendre à parler à une femme. »

Dans ce récit poignant, l'auteur nous décrit le passage à l'âge adulte de Joseph, qui deviendra Joe. Un récit qui ne devient jamais larmoyant, où l'auteur sait parfois insuffler un trait d'humour, où son écriture poétique et si réaliste à la fois vient magnifier des existences prêtes à sombrer, où la lumière est toujours là malgré la noirceur du décor et des hommes
Je persiste et signe : Jean-Baptiste Andréa est un grand.
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Ils sont 7. 7 mousquetaires. Membres de la vigie. Liés à la vie à la mort dans cet orphelinat des Pyrénées où ils ont échoué après que la vie a pris son dû : La fouine, Sinatra, Souzix, Edison, Danny, Momo et Joe, le musicien prodige, le pianiste accompli, le narrateur amoureux. Tous enfermés. Menés à la baguette par l'abbé Sénac et Grenouille. Avec tous un objectif chevillé au corps : partir...
Quel roman magnifique, haletant, enthousiasmant, émouvant. Une petite merveille, entre rires et larmes.
Avec la musique en toile de fond, c'est une véritable symphonie que compose Jean-Baptiste Andréa, virtuose des mots et de la formule. Un roman avec du rythme, de l'amitié (beaucoup), des diables, des saints et une Rose. Avec de la poésie et Michael Collins aussi. Et Beethoven (toujours) ! Un vrai bonheur de lecture où l'auteur se met à hauteur d'enfant ! J'ai adoré !
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Une ou deux fois par an, j'ai un coup de foudre pour un roman. Comprenez-moi bien, cela va au-delà des livres que je déclare sur mon blog avoir « aimés passionnément ». Dans ma quête de littérature, j'ai alors l'impression d'avoir atteint le sommet des sommets, que je ne trouverai plus jamais mieux et donc que mon avenir de lecteur est derrière moi… Et puis miracle, quelques mois plus tard, sans prévenir, sans indice prémonitoire, voilà qu'un nouveau roman prend le contrôle de mon esprit, de mon souffle, de mes battements de coeur.

On a l'habitude de dire : je n'ai pas pu lâcher ce livre. En l'occurrence, c'est plutôt le livre, Des diables et des saints, qui ne m'a pas lâché, éveillant en moi toutes sortes d'émotions négatives et positives, compassion, consternation, indignation et aussi espoir, soulagement, éblouissement. Sans oublier de fréquents sourires et même quelques rires francs, ce dont je suis ordinairement avare.

Premier chapitre, un homme âgé raconte. Il dit s'appeler Joseph ou Joe. Ses propos, de tonalité claire, logique, transparente, suscitent pourtant plus de questions qu'ils n'ouvrent de perspectives. Des propos placides, qu'il faut relire après la fin du livre pour en ressentir toute la détresse. Pourquoi cet homme, pianiste virtuose, ne joue-t-il que sur des pianos publics, comme on en trouve aujourd'hui dans les halls des grandes gares et des aéroports ? Pourquoi son répertoire est-il limité aux sonates de Beethoven ? Et pour qui, alors qu'il refuse de se produire sur scène, met-il toute son âme dans leur interprétation ?

Plongée dans les ténèbres, un demi-siècle plus tôt. Des diables et des saints est l'histoire d'un adolescent brutalement abandonné par le destin, dans les années soixante. Une décennie où l'on a coutume de situer l'émergence de notre modernité, en oubliant que des moeurs du XIXe siècle perduraient encore dans certaines contrées reculées. Au fin fond des Pyrénées, Les Confins est un pensionnat religieux dédié aux orphelins et aux enfants laissés pour compte. Un enfer ! Mais à quinze ans, on y noue des amitiés qui subliment l'envie de survivre sans se soumettre, en dépit d'une maltraitance infligée au nom d'une « saine éducation catholique ». Et à quinze ans, il suffit d'une jeune fille au visage anormalement pâle et habillée par Dior, pour forger un sens à ses rêves et à sa vie. de quoi tenter une course éperdue dans un tunnel ferroviaire, où les trains frôlent de si près les parois, qu'en s'y engouffrant à pleine vitesse, ils déclenchent ce qui ressemble à un boum supersonique.

Le texte se présente en courts chapitres ni titrés ni numérotés, consacrés pour la plupart au séjour de Joseph aux Confins. S'intercalent des digressions d'adolescent des sixties et des réminiscences de jours heureux. Dans les plus savoureuses, Joseph se remémore les cours de piano que lui prodiguait un très vieux professeur de musique, né en Pologne, d'une exigence extrême et prétendant connaître le tréfonds de l'âme de Beethoven – Ludwig ! –, comme s'il en avait été le confident. Dans un langage colérique fleuri de yiddish, il délivre des commentaires exceptionnels sur les oeuvres de Ludwig et leur interprétation.

Des diables et des saints est le troisième roman de Jean-Baptiste Andrea. Cet écrivain, qui est aussi réalisateur et scénariste, a l'habitude de mettre en scène des personnages atypiques vivant des destinées irréelles ou absurdes, dans des romans qui ressemblent à des contes. Il travaille l'expression poétique de ses textes avec talent et minutie (on sait depuis Baudelaire que ce n'est pas incompatible). le rythme de son écriture varie, tantôt nerveux, en phrases courtes, tantôt lyrique, en développements mélodiques. Puisé dans un vocabulaire d'une richesse époustouflante, chaque mot, chaque expression est à sa place. Je me suis souvent arrêté pour en admirer la créativité, la justesse et la beauté.

Un livre où je me suis surpris à retrouver mes émois d'adolescent, entre bêtises de gamins, blagues de potaches et rêves d'idylles. J'aurais aimé jouer au piano et imaginé qu'une jeune fille me dise : « Si tu rejouais comme ça, et que je t'entendais du bout du monde, je te reconnaîtrais ».

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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