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Critique de AMR_La_Pirate


La biographie d'Apollinaire le présente comme un poète majeur, fondateur de la poésie moderne, lien entre les symbolistes et les surréalistes, qui renouvelle le lyrisme à une époque où la question de l'image est complètement revue grâce au développement de la photographie… En effet, il reprend les grands thèmes lyriques (le temps qui passe, l'amour, la nature, la mort) mais les traite avec modernité ; sa poésie, souvent très mystérieuse, peut être très simple ou au contraire très complexe. Apollinaire est contemporain de la remise en question du vers par les héritiers du symbolisme, influencés par le poème en prose et tendant déjà vers le vers libre.
Véritable autodidacte, très cultivé, il a été critique d'art et a fréquenté les grands artistes de son époque comme Marie Laurencin, le Douanier Rousseau, Picasso ou Max Jacob… En résumé, Apollinaire a vécu une existence très romanesque ; il laisse une oeuvre surprenante, innovante, très abondante dont plus de la moitié a été publiée à titre posthume.

Apollinaire a publié Alcools en 1912 ; ce recueil rassemble ses meilleurs poèmes écrits depuis 1901. En effet, à partir de 1910, Apollinaire a voulu réunir ses poèmes ; le premier titre envisagé était Eau de vie au singulier. Alcools au pluriel est un titre plus insolite qui correspond mieux à l'image de sa poésie. La chronologie d'écriture n'est pas respectée ; il y a plutôt une alternance de poèmes longs et courts, de factures modernes en vers libres et classiques en vers plus réguliers. La ponctuation est absente, supprimée ; la mort est omniprésente dans sa réalité, mais aussi sous forme fantastique ou métaphorique. le premier poème « Zone », en vers libres, peut être lu comme une introduction thématique et esthétique, une rupture avec ce qui se faisait avant :

« À la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
[…]

Soleil cou coupé »

Chez Apollinaire, la plupart du temps, les textes sont inspirés par une scène vue ou vécue. Des épisodes de sa vie transparaissent à la lecture des poèmes.
« le Pont Mirabeau » de 1912, est sans doute l'un des plus connus ; Apollinaire y évoque sa rupture avec Marie Laurencin. La mise en page des strophes du poème rappelle l'arche d'un pont, dans une approche visuelle annonçant les Calligrammes qui seront publiés en 1918 :

« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
[…] »

« Marie », véritable chanson, est également inspirée de sa séparation avec Marie Laurencin :

« […]
Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine »

Apollinaire revient aussi sur son sentiment amoureux non partagé pour Annie Playden, la gouvernante de la Vicomtesse de Milhau chez qui il a été précepteur en Allemagne vers 1901-1902, époque des premiers poèmes d'Alcools, dont « les Rhénanes », suite de neuf textes qui rappellent le thème de l'alcool, des légendes allemandes et de la veine folklorique, des promenades sur le Rhin… Nous retrouvons aussi le souvenir d'Annie dans « La Chanson du Mal-Aimé », long poème élégiaque.
Dans « Les Fiançailles », long poème moderne, le poète livre un bilan de sa vie :

« […]
J'ai eu le courage de regarder en arrière
Les cadavres de mes jours
Marquent ma route et je les pleure
[…]
Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers
Je ne sais plus rien et j'aime uniquement
Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes
Je médite divinement
Et je souris des êtres que je n'ai pas créés
Mais si le temps venait où l'ombre enfin solide
Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour
J'admirerais mon ouvrage
[…] »

Du 7 au 13 septembre 1911, Apollinaire est emprisonné à la Santé car il est accusé d'avoir volé des statuettes au Louvre et de complicité dans le vol de la Joconde. Il est libéré par son avocat mais pas acquitté ; attaqué par la presse, accusé d'être un métèque et un pornographe, il manque d'être expulsé. le non-lieu ne sera prononcé qu'en janvier 1912. Héritier de Verlaine, le poète écrit sur son incarcération, vécue comme un enfermement injuste et aliénant : « À la santé » est un poème autobiographique, découpé en six parties, une par jour en prison.

Le thème de l'automne, saison poétique par excellence, revient également très souvent, notamment dans « Les Colchiques », « L'Adieu », « Signe », « Automne malade»…

Ce n'est pas facile de faire une chronique sur un recueil de poèmes… Je me suis basée sur quelques notes et sur les passages soulignés au cours de mes lectures…
Apollinaire me touche particulièrement car il se veut tout à fait exemplaire de son époque ; il n'oppose pas, il ne refuse rien, il amalgame toutes les techniques possibles ; il oscille perpétuellement entre liberté totale et règles rigoureuses.
Sa poésie est orale, il faut dire ses poèmes, à haute voix, pour profiter des assonances, des jeux de mots et des ambiguïtés sémantiques ou polysémiques. Car Apollinaire aimait les mots, tous les mots qu'ils soient banals ou très recherchés, vulgaires, ésotériques, poétiques… Apollinaire n'a pas créé un langage spécifique, il a joué avec les mots, il les a brassés ; il a fait la même chose avec les sonorités et les significations. À nous lecteurs d'en tirer le plus de sens possible !

Dans la même édition figure le Bestiaire ou Cortège d'Orphée, publié en 1911. C'est un livre d'artiste à quatre mains avec des gravures sur bois de Raoul Dufy. Je ne sais trop qu'en dire car les courts poèmes d'Apollinaire me paraissent parfois hermétiques ; il faut décoder toutes les références (avec les notes de fin) et les allusions biographiques ; on retrouve Marie Laurencin dans « La Colombe », par exemple… J'aime bien « L'Éléphant » où le poète compare l'ivoire à ses « mots mélodieux », « La Sauterelle » où la poésie devient « régal des meilleures gens », « le Poulpe » avec la métaphore de l'encre et du sang… Je souris quand le paon « se découvre le derrière »… En fait, ce bestiaire est descriptif par les gravures qui contiennent énormément de petits détails et allégorique et symbolique par les textes ; de plus, Orphée y figure parmi les animaux.
Enfin, quelques courts poèmes, réunis sous le titre Vitam impendere amori terminent le recueil ; ils sont de facture assez classique bien que sans ponctuations et célèbrent des thèmes lyriques (amour, crépuscule, cours d'eau, jeunesse perdue…)
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