AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,88

sur 50 notes
5
1 avis
4
2 avis
3
5 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ce conte s'ouvre sur le récit de mythes peuls de création du monde, de l'homme primordial et du paradis perdu, rappelant étrangement ceux de la Bible (Le dieu créateur Guéno est d'ailleurs tellement important que cette cosmogonie peule paraît un pré-monothéisme). Hampâté Bâ a vraisemblablement voulu que cette ressemblance soit évidente, que ses lecteurs comprennent qu'ils pourront trouver enseignements de sagesse autant que dans les mythes qu'ils connaissent. Davantage même ! Car l'étrangeté de ces versions alternatives renouvelle le regard d'un lecteur habitué (croyant ou athée) à interpréter les mythes bibliques avant de les avoir lus. L'auteur use ainsi d'un procédé appelé "décentrement", provoquer une nouvelle réflexion sur un objet très connu en partant d'un point de vue inhabituel. Procédé particulièrement utilisé dans les Voyages de Gulliver, Micromégas ou Les Lettres persanes... Les contes de fées ont de toute manière souvent cette propriété de désarmer les jugements préconçus et moraux, en cachant le sérieux du thème derrière le style enfantin et l'irréel.

L'incarnation maléfique Njeddo Dewal est d'abord annoncée comme une conséquence inévitable de toute création (un déchet maléfique inévitable, l'homme imparfait engendrant bien et mal). Mais c'est aussi un démon créé par Guéno pour punir l'ingratitude des hommes, une « calamité » qui rappelle le dieu punisseur du Déluge ou de Sodome et Gomorrhe. Hampâté Bâ laisse malicieusement exister, à la manière de la Bible, différentes versions de l'histoire. C'est l'une des grandes richesses de la Bible, d'avoir intégré plusieurs mythes d'origines culturelles différentes, concurrents qui se chevauchent et laissent cours à d'infinies interprétations. Ces contradictions internes forcent au dialogue et rendent non-pertinente toute lecture littérale des écritures, car elle entre forcément en contradiction avec un autre passage...

Njeddo Dewal, symbole du mal dans le monde, attire les hommes peuls par ses filles magnifiques et leur suce le sang. Cela peut symboliser l'homme faible qui cède à la tentation et en perd son âme (et le mal grandit dans le monde parce que les hommes y succombent de plus en plus). Symboliquement, Njeddo Dewal fait mourir les femmes (les femmes de bien seraient ainsi délaissées par les hommes attirés par les femmes fausses, ou n'ont plus de choix que devenir objets de tentation). le mal serait donc ce qui provoque la destruction des vertus : que représente donc la tentation dans nos sociétés ? publicité, ambition, réputation, image, pouvoir... À l'opposé de ces hommes, Bâ-Wâm'ndé est un homme de bien, un sage qui agit toujours avec générosité, compassion. Il ne méprise ni les handicapés, ni les plus insignifiants des animaux (à l'instar du personnage d'Hammadi dans Kaïdara qui donne sa montagne d'or à un vieux clochard acariâtre). C'est ainsi qu'il s'attire l'aide de tous et provoque la réussite de sa quête. S'il dispose d'objets magiques, ce n'est pas un don, c'est parce qu'il fait du bien. Chaque être de la nature lui rend service parce qu'au contraire des hommes punis pour ingratitude, lui attire la gratitude de la nature entière (n'est-ce pas la logique de la sagesse chrétienne : aimer son seigneur Dieu, qu'est-ce d'autre sinon aimer l'entière création de celui-ci, donc aimer son prochain et toute la nature ?).

Dans la seconde partie, Bâgoumâwel l'enfant-génie est pourvu de tous les pouvoirs magiques et il est annoncé qu'il vaincra le mal. le suspens est donc nul : l'enjeu du récit est ailleurs. Cependant, Bâgoumâwel malgré toute sa magie ne peut détourner ses oncles de leurs tentations, de leurs ambitions de luxe, de réussite, de supériorité... La puissance ne suffit pas pour vaincre le mal. Ses pièges dans lesquels tombe tour à tour chaque frère sont l'occasion d'une leçon que l'auditeur doit comprendre pour ne pas être ridicule comme les frères. de même, le mal renaît toujours, malgré l'évidence des contradictions, malgré l'évidence de sa faiblesse... C'est le don total de sa personne qui permet à Bâgoumâwel d'éradiquer la sorcière. Un enseignement qui peut être pris à différents niveaux : un héros qui se sacrifie pour sauver le monde (le super-héros) ; une bonne personne est une personne qui donne de sa personne pour le bien des autres (aime ton prochain) ; l'abandon de soi, de son orgueil, est la seule voie pour éradiquer tout vice (le vrai sens du mot Jihad, particulièrement chez les soufis, objectif inatteignable bien entendu).

Le texte écrit que l'on a extrait de traditions orales (et dont on a posé par écrit une version une seule) est amputé de la partie collective, ou dialogique, propre à la tradition du conte. Rituels introduisant le récit, questions, précisions, rectifications, versions alternatives, accompagnement musical, danses, réactions... (on peut voir cela par exemple dans la transcription ethnologique de Deux soirées de contes Saamaka) La leçon morale à tirer n'est pas fixés, imposée. Elle est le résultat d'une discussion, un peu à la manière d'un dialogue de Platon. Les notes culturelles proposées par Hampâté Bâ remplacent tant que possible cet aspect en invitant le lecteur à mettre en perspective les significations du conte dans le cadre de la compréhension d'une culture, de la quête de sagesse et d'un dialogue des cultures. C'est pourquoi il affirme que le conte est un instrument d'éducation à tout âge. Chacun y trouve des choses différentes selon ce qu'il y cherche, les symboles qui font écho en lui et les discussions qu'il aura. Contes et mythes sont objets culturels et identitaires non dans la rigidité de leurs détails mais dans l'expérience humaine de voyage et de discussion qu'ils proposent.
Les notes culturelles de l'auteur remplacent tant que possible le caractère dialogique du conte oral (comme s'il répondait à des questions, en cours de récitation).
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
Commenter  J’apprécie          10
Trés intéressante approche pour découvrir le peuple peul
Avec Kaidara, les animaux sont des êtres à part entière
Commenter  J’apprécie          00


Lecteurs (279) Voir plus



Quiz Voir plus

L'Afrique dans la littérature

Dans quel pays d'Afrique se passe une aventure de Tintin ?

Le Congo
Le Mozambique
Le Kenya
La Mauritanie

10 questions
289 lecteurs ont répondu
Thèmes : afriqueCréer un quiz sur ce livre

{* *}