Il y aura toujours plus de choses dans un coffret fermé que dans un coffret ouvert. La vérification fait mourir les images. Toujours, imaginer sera plus grand que vivre.
Une feuille tranquille vraiment habitée, un regard tranquille surpris dans la plus humble des visions sont des opérateurs d'immensité. Ces images font grandir le monde, grandir l'été. A certaines heures, la poésie propage des ondes de calme. D'être imaginé, le calme s'institue comme une émergence de l'être, comme une valeur qui domine malgré des états subalternes de l'être, malgré un monde trouble. L'immensité a été agrandie par la contemplation. Et l'attitude contemplative est une si grande valeur humaine qu'elle donne une immensité à une impression qu'un psychologue aurait toute raison de déclarer éphémère et particulière. Mais les poèmes sont des réalités humaines; il ne suffit pas de se référer à des "impressions" pour les expliquer. Il faut les vivre dans leur immensité poétique.
Que de fois, dans mon jardin, j'ai connu la déception de découvrir un nid trop tard. L'automne est venu, le feuillage s'éclaircit déjà. A l'angle de deux branches, voici un nid abandonné. Ainsi, ils étaient là, le père, la mère et les petits et je ne les ai pas vus!
Le poète, en la nouveauté de ses images, est toujours origine de langage.
l'être à l'intérieur de soi digère lentement son néant.
Une simple image, si elle est nouvelle, ouvre un monde. Vue des mille fenêtres de l’imaginaire, le monde est changeant
L'être qui se cache, l'être qui « rentre dans sa coquille » prépare « une sortie ». Cela est vrai sur toute l'échelle des métaphores depuis la résurrection d'un être enseveli jusqu'à l'expression soudaine de l'homme longtemps taciturne. En restant encore au centre de l'image que nous étudions, il semble qu'en se conservant dans l'immobilité de sa coquille, l'être prépare des explosions temporelles de l'être, des tourbillons d'être. Les plus dynamiques évasions se font à partir de l'être comprimé et non pas dans la molle paresse de l'être paresseux qui ne peut désirer qu'aller paresser ailleurs. (...) Les loups encoquillés sont plus cruels que les loups errants.
Les mots — je l'imagine souvent — sont de petites maisons, avec cave et grenier. Le sens commun séjourne au rez-de chaussée, toujours prêt au « commerce extérieur », de plain-pied avec autrui, ce passant qui n'est jamais un rêveur. Monter l'escalier dans la maison du mot c'est, de degré en degré, abstraire. Descendre à la cave, c'est rêver, c'est se perdre dans les lointains couloirs d'une étymologie incertaine, c'est chercher dans les mots des trésors introuvables. Monter et descendre, dans les mots mêmes, c'est la vie du poète. Monter trop haut, descendre trop bas est permis au poète qui joint le terrestre à l'aérien. Seul le philosophe sera-t-il condamné par ses pairs à vivre toujours au rez-de-chaussée ?
Ici, la création se produit sur le fil ténu de la phrase, dans la vie éphémère d'une expression. Mais cette expression poétique, tout en n'ayant pas une nécessité vitale, est tout de même une tonification de la vie. Le bien dire est un élément du bien vivre. L'image poétique est une émergence du langage, elle est toujours un peu au-dessus du langage signifiant.
À vivre les poèmes on a donc l'expérience salutaire de l'émergence. C'est là sans doute de l'émergence à petite portée. Mais ces émergences se renouvellent ; la poésie met le langage en état d'émergence. La vie s'y désigne par sa vivacité. Ces élans linguistiques qui sortent de la ligne ordinaire du langage pragmatique sont des miniatures de l'élan vital.
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De toute façon, tout lecteur qui relit une oeuvre qu'il aime sait que les pages aimées le concernent.