Citations sur De chair et de mots : Suivi de Embruns de femmes (21)
QUÊTE DU POEME
Il sait désormais qu'il doit renoncer à l'imposture des mots ancrés dans l'immuable et l'éternel : l'image poétique est verticale, fusée de lave qui retombe et pétrifie.
Qu'il doit regarder par cette déchirure commune : les mots ne sont debout que le temps d'un poème et nous n'habitons que des ruines futures.
Pour deviner déjà que tout poème, peut-être, est dans sa quête même.
a Matabiau, quartier des filles à l'ancre et des départs, on croise des bars, des valises, le canal et son écluse, dans des regards perdus, un voyage remis et qui toujours infuse.
Je rends grâce aux encres et aux papiers pour les passages
qu'ils ouvrent entre les lignes,
l'orgueil qu'ils donnent à la lucidité, la joie qu'ils mettent
au partage,
et pour l'humilité fraternelle que tout lecteur connaît quand
il s'agrandit de l'autre,
par la justesse des mots redevenu le même.
Tu as des yeux d'horizon où l'on voudrait se chercher. Reconnaître les bêtes aux fourrures d'enfance, les mers promises que l'on n'a su affronter. Des contrées qui s'éloignent avec l'âge et se terrent dans les failles.
Pourtant.
Quelque part, pourtant,
lève une chanson têtue,
un poème,
chien d'aveugle.
Les pages tournées
Extrait 2
Elle et lui, leurs vies confuses,
quelle langue en donnera le goût et le fin mot,
le traître mot ? Elle et lui chaque jour criblés d’images
imaginées par d’autres, enrôlés de force dans l’histoire
qui passe à travers chants, silences, slogans.
Elle leur échappe, leur vie, et comme elle leur reste étrangère
chaque soir, la vie qui ne s’écrit pas ! Pas même
un palimpseste ! Pas même un gribouillis !
…
Michel Baglin est parti le 8 juillet 2019.
J’écris...
J’écris pour rendre enfin à tous ceux qui l’ont fait,
à ces jeux gouvernés, à ce ghetto des squares,
un vieux gamin fantoche, idiot et dérisoire,
le fantôme entêté d’un clown insatisfait.
J’écris pour tenir tête au silence établi,
pour rallumer des mots éteints par l’habitude
et les garder vivants face à cette hébétude
qui pétrifie le cœur et qui nous désunit.
J’écris pour mieux aimer, poème aux mains tendues,
et j’invite chacun au creux de sa mémoire
à raviver sa soif pour lui donner à boire
à la source ameutée des sensations perdues.
J’écris pour demeurer devant la porte ouverte
et renaître nomade en sachant discerner
en tout feu une escale, en tout lieu un sentier
et en chaque être ému une parole offerte.
Les vivants qui s’absentent
Qu’on regarde au dehors, le dedans vous reprend.
On voudrait être au monde, on ne sait qu’échapper.
Et tous ceux-là qu’on croise et voudrait arrêter
ont le pas trop rapide et sont pris par l’élan.
Qui parle des lointains évoque une autre vie.
Et c’est pour mieux tromper ce sentiment de n’être
qu’en exil ici-bas, un voyageur peut-être
mais qui ne pèse pas et reste sans appui.
Nous avons des manies de vivants qui s’absentent,
qui pour prendre enfin pied s’accrochent à des leurres
en faisant reculer l’horizon qu’ils s’inventent.
Partir est toujours une façon d’être là,
lever l’ancre encore un rêve de pesanteur,
et c’est pour aller plus loin qu’on ne s’en va pas.
Tu n'avais pas peur des mots, tu craignais de te dédire. Est-on jamais à la mesure de ce que l'on prétend? Tu le savais: l'artifice dénoncé, les effets sont sur la page encore, tout près du piège des mots clairs.
Les pages tournées
Extrait 3
Devant ces feuilles noircies, de guerre lasse il en convient :
rien ne s’accomplit que par des points
de suspension, des pollens livrés aux vents.
Même si la graine parfois mène au fruit
par le chemin des branches, des fleurs, des hasards
et le travers des saisons.
Il en convient comme il admet
qu’il n’est de pages vraiment tournées,
jamais. Seulement de l’encre qui s’efface.
Michel Baglin nous a quitté le 8 juillet 2019.