Citations sur L'homme des bois (40)
Si la perte d'un de ses parents, en soi, est un événement exceptionnel, on peut dire aussi que c'est dans l'ordre des choses, un sujet presque banal. Dans cette histoire, ce qui l'est moins, ce sont les circonstances.
Il attendait beaucoup de moi [son fils], comme de ses femmes et de ses amis. Il attendait que nous lui permettions de s'engager là où il n'arrivait pas à aller par lui-même. Il a beau avoir vécu seul la plus grande partie de sa vie, il n'avait pas un caractère très indépendant.
(p. 110-111)
Mon père, sans être un héros, était-il pour autant un antihéros ? Un perdant éternel ? Comme s'il n'y avait pas d'alternative.
Je n'arrive pas à le voir comme un parfait loser. Parce qu'il ne s'est jamais relâché. Il s'est toujours accroché, il est resté en mouvement. (p. 108)
C'est le principe de la mort.Une vie s'arrête, c'est la fin d'une histoire.Mais la mort engendre une nouvelle histoire, dont le défunt est le déclencheur, et dont il n'a pas connaissance
Mais il en voulait plus. Il avait besoin de s'occuper. Et puis il avait envie de s'éduquer, de combler des lacunes, d'acquérir certaines qualités, certains savoirs. (p. 99)
En reprenant l’avis de décès pour le journal, après les fleurs des champs et des jardins, j’ai ajouté : Sans chiens ni curés. C’est sorti tout seul. J’ai envoyé le texte par mail, il a été publié le lendemain.
Les semaines suivantes, j’ai reçu plusieurs courriers de prêtres qui s’étaient interdit d’assister aux obsèques. J’apprenais aussi qu’on s’offusquait du fait que les chiens passent avant les curés. Je n’avais pas imaginé une seconde qu’on pourrait le prendre au premier degré.
Si un curé ou même un chien avait voulu assister à la cérémonie, je l’aurais accueilli bien volontiers, pensez-vous. Un labrador catholique. Toute l’arche de Noé. Un chamois musulman, une marmotte juive… Oh là là, mes aïeux, quelle affaire.
J'imagine bêtement que l'on se met en retrait quand on a peur des choses, du monde, des autres. C'est mon cas. Mais
mon père n'avait pas peur du contact avec l'autre. C'était tout le contraire, pour lui. Il était attiré par les ambiances collectives, festives, conviviales, amicales, tout ce que j'ai toujours fui. (p. 59)
"Moi-même, il m'a fallu quitter le Jura pour que l'endroit où je suis né et où j'ai passé les vingt premières années de ma vie m'évoque quelque œuvre de fiction. Avant ça, c'était chez moi, c'était chez moi donc cela ne se discutait pas, cela ne se comparait pas, cela ne se décrivait pas. ça n'avait pas besoin d'être raconté, ou pire, critiqué, puisqu'il n'y avait que ça. C'était le seul endroit possible, puisque c'était là que je vivais depuis toujours. C'était le seul endroit que je connaissais. C'était le centre du monde, ni plus ni moins.
Il m'a fallu prendre mes distances pour me rendre compte qu'on pouvait ne pas situer mon petit département sur une carte, et même ne pas savoir qu'il existe. Qu'on pouvait manger de la Vache qui rit sans savoir qu'elle est fabriquée à Lons-Le Saunier."
Alors que de son vivant nous ne restions jamais plus que le temps d'un repas.
(p. 9-10)
Mon père a commencé à travailler à dix-sept ans, il est mort à soixante et un ans. Les dernières années il ne parlait que de ça, cette putain de retraite qui se rapprochait, qui lui tendait les bras, et qui l'inquiétait sans doute un peu mais sur laquelle il n'aurait pas craché, ça non, sûrement pas. Il ne supportait plus le boulot, son chef et ses collègues en savaient quelque chose. Il est mort trois mois avant la fin.