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Critique de Lamifranz


« Ferragus » est le premier roman d'une trilogie appelée « Histoire des Treize », qui comprend également « La Duchesse de Langeais » et « La fille aux yeux d'or ». L'ambition De Balzac était de composer, à l'intérieur même de la « Comédie humaine », une série de romans mettant une société secrète. Mais contrairement aux organismes déjà existants comme les Francs-maçons, les Rose-Croix ou les Illuminati, la société des Treize ne se réfère pas à une philosophie, à une idéologie, ni à une religion : il s'agit d'une réunion de « treize hommes également frappés du même sentiment, tous doués d'une assez grande énergie pour être fidèles à la même pensée, assez probes pour ne point se trahir, alors même que leurs intérêts se trouvaient opposés, assez profondément politiques pour dissimuler les liens sacrés qui les unissaient, assez forts pour se mettre au-dessus de toutes les lois, assez hardis pour tout entreprendre, et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins […]. Enfin, pour que rien ne manquât à la sombre et mystérieuse poésie de cette histoire, ces treize hommes sont restés inconnus, quoique tous aient réalisé les plus bizarres idées que suggère à l'imagination la fantastique puissance attribuée aux Manfred, aux Faust, aux Melmoth ; et tous aujourd'hui sont brisés, dispersés du moins… Depuis la mort de Napoléon, un hasard que l'auteur doit taire encore a dissous les liens de cette vie secrète, curieuse, autant que peut l'être le plus noir des romans de madame Radcliffe. La permission assez étrange de raconter à sa guise quelques-unes des aventures arrivées à ces hommes, tout en respectant certaines convenances, ne lui a été que récemment donnée par un de ces héros anonymes auxquels la société tout entière fut occultement soumise, et chez lequel il croit avoir surpris un vague désir de célébrité » (Préface à « L'Histoire des Treize » - 1855).
Comme on le voit, l'auteur se situe délibérément dans un domaine particulier : celui du fantastique (l'allusion à Ann Radcliffe, est assez claire) mais un fantastique social qui intègre les divers rouages de la société. Non pas donc, une société secrète telle qu'elle sera illustrée par George Sand (« Consuelo/La Comtesse de Rudolstadt ») ou Alexandre Dumas « Joseph Balsamo ») mais plutôt telle que la célèbreront Eugène SueLes Mystères de Paris ») ou Paul Féval (« Les Habits noirs ») ou encore Pierre Ponson du Terrail (« Rocambole »).
Du reste, Balzac ne pousse pas très loin son étude : le rôle des Treize est assez réduit dans chacun des romans, et reconnaissons-le, pas reluisant : Dans « Ferragus » leur rôle consiste à éliminer un officier qui cherche à séduire la fille de leur chef ; dans « La duchesse de Langeais » il s'agit de punir une coquette et la retrouver quand elle disparaît ; enfin dans « La Fille aux yeux d'or » il s'agit d'aider à la conquête d'une jeune fille, dans le milieu très particulier de l'homosexualité féminine (un roman plutôt osé, dirons-nous, pour l'époque).
Ferragus, chef des Dévorants (une sous-société secrète, dont le nom, à l'origine dérivé de Devoir, ne concerne plus aujourd'hui que des hommes avides de plaisirs, et pas seulement ceux de la table) a marié sa fille Clémence à Jules Desmarets. Un jeune officier, Auguste de Malincour s'est entiché de la belle. Ferragus mettra tout en oeuvre pour écarter le soupirant. Si bien que ça ne fait le bonheur de personne, et ce n'est pas divulgacher que dire que ça fait le malheur de tout le monde.
Curieux roman qui tient à la fois du policier, du roman de moeurs, du mystère et du roman noir. On retrouve le thème du bagnard évadé (Ferragus a certains traits de Vautrin) et celui de l'amour paternel (comme Goriot, mais inversé : l'amour de Goriot était abnégation et don de soi et s'assimile à une sorte de martyre ; celui de Ferragus est égoïsme et aveuglement et finit dans le crime). Balzac revient aussi à certains fils rouges de son oeuvre : la compromission des politiques, la porosité de la vie privée et de la vie publique, la fatalité des passions…
Un beau roman qui ne figure pas parmi les plus connus de son auteur, mais qui vaut le détour, par sa peinture insolite de l'envers de la société contemporaine. A lire bien entendu avec les deux autres romans de la Trilogie.
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