15 avril 1977
L'infirmière du matin parle à maman comme à une enfant, d'une voix un peu trop forte, inquisitoriale, grondeuse et niaise. Elle ne sait pas que maman la juge.
[C'est cela bêtise]
On ne parle jamais de l'intelligence d'une mère, comme si c'était amoindrir son affectivité, la distancer. Mais l'intelligence, c'est : tout ce qui nous permet de vivre souverainement avec un être.
Pendant des mois, j’ai été sa mère. C’est comme si j’avais perdu ma fille (douleur plus grande que cela ? Je n’y avais pas pensé)
Chaque matin, vers 6h 1/2, dehors dans la nuit, le bruit de ferrailles des boîtes à ordures.
Elle disait avec soulagement : la nuit est enfin finie (elle a souffert la nuit, seule, chose atroce).
Dans la phrase « Elle ne souffre plus », à quoi, à qui renvoie « elle » ? Que veut dire ce présent ?
La mesure du deuil.
(Larousse, Memento) : dix-huit mois pour le deuil d’un père, d’une mère.
Vers 18h : l’appartement est chaud, doux, éclairé, propre. Je le fais ainsi, avec énergie, dévouement (j’en jouis avec amertume) : désormais et à jamais je suis moi-même ma propre mère.
On souhaite du « courage ». Mais le temps du courage, c’est celui où elle était malade, où je la soignais en voyant ses souffrances, ses tristesses et où il fallait me cacher de pleurer. À chaque instant il fallait assumer une décision, une figure, et c’est cela le courage. - Maintenant, courage voudrait dire vouloir-vivre et on n’en a que trop.
Mon étonnement - et pour ainsi dire mon inquiétude (mon malaise) vient de ce qu’à vrai dire, ce n’est pas un manque (je ne puis décrire cela comme un manque, ma vie n’est pas désorganisée), mais une blessure, quelque chose qui fait mal au cœur de l’amour.
Deuil : non pas écrasement, blocage (ce qui supposerait un « rempli »), mais une disponibilité douloureuse : je suis en alerte, attendant, épiant la venue d’un « sens de vie ».
Neige, beaucoup de neige sur Paris ; c’est étrange.
Je me dis et j’en souffre : elle ne sera jamais plus là pour le voir, pour que je le lui raconte.