Je ne souhaite rien d'autre que d'habiter mon chagrin.
On dit (...) : le Temps apaise le deuil - Non, le Temps ne fait rien passer ; il fait passer seulement l'émotivité du deuil.
Solitude = n'avoir personne chez soi à qui pouvoir dire : je rentrerai à telle heure ou à qui pouvoir téléphoner (dire) : voilà, je suis rentré.
Tout le monde suppute - je le sens - le degré d'intensité d'un deuil. Mais impossible (signes dérisoires, contradictoires) de mesurer combien tel est atteint.
Irritation. Non, le deuil (la dépression) est bien autre chose qu'une maladie. De quoi voudrait-on que je guérisse ? Pour trouver quel état, quelle vie ?
J'habite mon chagrin et cela me rend heureux.
On souhaite du « courage ». Mais le temps du courage, c’est celui où elle était malade, où je la soignais en voyant ses souffrances, ses tristesses et où il fallait me cacher de pleurer. A chaque instant il fallait assumer une décision, une figure, et c’est cela le courage. - Maintenant, courage voudrait dire vouloir-vivre et on n’en a que trop.
l'écriture à son maximum n'est tout de même que dérisoire.
Les désirs que j'ai eus avant sa mort (pendant sa maladie) ne peuvent plus maintenant s'accomplir, car cela signifierait que c'est sa mort qui me permet de les accomplir - que sa mort pourrait être en un sens libératrice à l'égard de mes désirs. Mais sa mort m'a changé, je ne désire plus ce que je désirais. Il faut attendre - à supposer que cela se produise - qu'un désir nouveau se forme, un désir d'après sa mort.
12 février 1978
Neige, beaucoup de neige sur Paris; c'est étrange.
Je me dis et j'en souffre : elle ne sera jamais plus là pour le voir, pour que je le lui raconte.