Je suis en veine ces derniers temps : après avoir découvert Pamuk, voici
Vladimir Bartol et son magistral «
Alamut »
L'action, basée en partie sur des faits historiques, se passe à la fin du XIème siècle, dans le Nord de l'Iran. Seïduna (Hassan Ibn Saba), l'impitoyable tyran, a conquis la citadelle d'
Alamut, et à partir de là, va tenter de faire triompher sa secte des Ismaïliens (chiïtes) et de combattre les sunnites du sultan de Bagdad, amis des Turcs Seldjoukides. Mais contrairement à ses ennemis, il ne possède ni armée, ni population favorable. Il va donc établir un plan à long terme, véritable machination. Née d'un cerveau dérangé ? Bien au contraire !
Il crée une « école » de fedayins, jeunes hommes vite convaincus que leur chef est un prophète, et qui sont prêts à tout pour lui obéir. On leur prodigue un enseignement physique. très dur, et aussi intellectuel (dont le Coran bien sûr). On croirait lire un article sur les camps d'entraînement des djihadistes du XXIème siècle. le bouquin a été écrit en 1938 !
Parallèlement à la création de cette « école », Seïduna transforme ses jardins tout proches en un véritable paradis, fidèle en tout point à l'image qu'en donne le Coran. Un véritable décor de théâtre, habité par une nuée de jolies demoiselles qui ne se rendent pas compte qu'elles sont en fait emprisonnées.
C'est ici que démarre le plan démoniaque de Seïduna. Il annonce à ses fedayins qu'il possède les clés du paradis, les drogue et les transporte dans ces jardins où ils vivront quelques heures inoubliables. Seconde tournée de haschish et ils retrouvent la citadelle, convaincus à tout jamais qu'ils ont bien vu l'eden et n'ont plus qu'un souhait : sacrifier leur vie pour retrouver ce monde merveilleux, pour le plus grand bien de la cause qu'ils défendent.
L'auteur slovène dénonce ici les horreurs de toute dictature. Il songeait sans doute surtout au fascisme qui commençait à envahir l'Europe, mais utilise l'Islam pour effectuer sa démonstration. Quelle prémonition !
Hassan Ibn Saba est un monstre de cruauté, mais est aussi un homme cultivé et intelligent. C'est là le gros problème. Comme tout dictateur, il estime que le peuple est trop ignorant pour comprendre quoi que ce soit et que seuls quelques initiés ont droit à connaître sa « philosophie ». C'est donc à ses deux grands amis qu'il explique sa vision du monde : tout n'est qu'illusion (même le Coran) et dès lors « rien n'est vrai, tout est permis » deviendra sa devise. Il n'empêche que l'on a froid dans le dos quand on le voit ordonner de décapiter son fils, qui a osé transgresser les lois paternelles.
le seul (petit) reproche que l'on pourrait faire à
Vladimir Bartol, ce sont quelques longueurs, d'autant plus qu'elles concernent le plus souvent des personnages secondaires dont les noms arabes sont impossibles à retenir, sans parler de leurs titres : difficile de différencier clairement émirs, califes, vizirs, sultans, deys etc.
Un grand roman historique, agréable à lire car l'aventure est omniprésente. Je ne risque pas de l'oublier de sitôt