Citations sur D'une bibliothèque l'autre (17)
Cette bibliothèque est un gigantesque sablier : voilà un certain temps que cette conviction s'est ancrée en moi. Lentement, depuis ses plus hauts rayonnages, s'écoule un sable fin qui me remplit peu à peu. Les yeux posés sur ces étagères qu'un incessant flux de nouveaux livres vient nourrir, je prends conscience qu'il ne me restera plus assez de temps à leur consacrer.
J’écrivis Ex-Libris durant la première moitié de l’année 1986. Cet essai parut dans la revue Gösterie au cours de l’été suivant. Moins d’un mois plus tard s’amorçait l’un des tournants décisifs de ma vie ; un événement inattendu produirait tout un cortège de conséquences. J’aurais pu peut-être en anticiper bon nombre, hormis une : la privation de ma bibliothèque. » p 13 (Incipit)
[…] pourquoi suis-je l’otage de tous ces ouvrages, quel est ce sentiment d’insécurité contre lequel je guerroie en tapissant mes cloisons de tous ces murs de livres ? » p 18 a 3
Et, au seuil de l’asphyxie, dans ce brouillard où l’on s’égare loin des repères d’une bibliothèque, pointe une vague lueur : si je me mettais maintenant à dresser la liste des livres que je dois avoir sous la main ? » p 19 a – 4
Depuis longtemps, l’un de mes récurrents et plus profonds cauchemars a pour cadre la Bibliothèque. Pas une bibliothèque, pas celle que l’on fréquente et connaît tous. Non. Juste la bibliothèque. Drapée d’un patchwork des collections du monde entier, elle en serait la quintessence, la matrice de toutes celles ayant jamais existé. » p 21 a
Ici, le silence lui-même se charge de poussière. Le clair-obscur se scinde en faisceaux étroits qui, loin d’éclairer, semblent contribuer encore à l’assombrissement. Sur les rayonnages s’alignent des lingots à tranche étiquetée. » p 22 a 2
Je me réveille en sursaut. J’ouvre les yeux : je me vois nager entre des millions de pages, parmi la multitude de toutes les langues et de tous les alphabets ayant jamais existé. Une pieuvre recouvre l’univers. De sa poche à la pointe de mon stylo, elle fait descendre au compte-gouttes une écume noire. Après quoi, tout en la sachant introuvable, je me décide à chercher la sortie. » p 24 a 9
[…] je suis l’unique et solitaire occupant de ma bibliothèque. Et même si je ne rechigne pas à prêter mes livres à qui me les demande, même si je n’éprouve aucune sorte de jalouse réticence à l’idée qu’ils puissent circuler ente des mains étrangères, s’ouvrir à d’autres yeux, ils n’en constituent pas moins le mur porteur de la maison où je vis : ma bibliothèque grandit à la façon du lierre et me recueille en son tortueux parcours. » p 25 a 4
L’expérience, assurément, me donne cette certitude : où que j’aille, quoi qu’il arrive, les allées des bouquinistes, les rues des librairies ou les boulevards des bibliothèques viendront couper le long fil de mon cheminement. C’est inévitable. » p 27 a 12
Pour m’apaiser, il suffit que naisse en moi l’image du contact avec un livre, il ne m’est pas même nécessaire d’en prendre un dans les mains, d’en tourner les pages. La simple vue d’un pan de mur barré de rayonnages à travers une fenêtre éclairée m’invite au calme : en plein cœur d’une nuit silencieuse, dans les ruelles d’une ville étrangère, un tel tableau suffit à nourrir l’idée que je passe à proximité d’une figure connue. Comme à maintenir la chaleur de mon corps. » p 27 a – 6