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Citations sur Le jeune enchanteur (39)

— Sempronius, dit-il, êtes-vous suffisamment préparé à apprendre que votre chaîne est rompue ?

Le jeune Italien sortit brusquement d’un songe où il était ravi, et où il écoutait la voix de la belle Éphésienne, renvoyée par l’écho des voûtes du temple. Il répondit, avec un triste sourire, que toutes choses lui étaient désormais indifférentes.
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Callias se retira dans son cabinet pour parcourir les précieux documents qui lui arrivaient de la reine des cités sur tous les beaux, les oisifs et les fous qu’il y avait laissés. Sempronius se mit à rêver en considérant les riches reflets d’un soir de la Grèce sur la noble architecture du Pirée. La Grèce, le soir, Athènes, ont toujours été des sources poétiques chères aux faiseurs de romans depuis qu’Athènes existe, et depuis qu’elle a un nom. Sempronius était amoureux ; ceci implique un millier de fantaisies ; il était, de plus, malheureux, désappointé, bref, un amant sans espoir, — l’amant d’un rêve, — une passion de visionnaire, séparée des régions de l’espérance par des barrières infranchissables. Il était amoureux d’un être aussi idéal qu’un brillant habitant des nuées ; son amour était l’amour insensé d’un homme qui voudrait faire descendre Diane de la sphère où elle trône glorieusement sur le bord des cieux. Une prêtresse du grand autel d’Éphèse était aussi loin qu’une étoile de l’approche des mortels.

Pendant qu’il s’abandonnait à son imagination et qu’il flottait sur les rêves du poète et de l’amant, — rêves qui, par une loi inexplicable de notre nature, ont toujours une teinte de mélancolie, même dans leurs plus splendides rayonnements, et qui ne sont les plus délicieux des rêves que grâce à cette même mélancolie, — Callias, ayant lu ses lettres, reparut avec un air mêlé de plaisir et de peine.
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— Êtes-vous fou, Callias ? s’écria-t-il à la fin.

— Par Mercure ! je le crois, répondit celui-ci. C’est bien la plus étrange aventure de ma vie dont je me souvienne ; écoutez-moi.

Mais, comme le Romain s’approchait pour écouter, l’esclave qui se tenait d’ordinaire dans le vestibule entra pour leur dire qu’une trirème de Rome venait d’aborder au Pirée, et qu’il y avait des lettres à bord pour tous deux.

— Vous voyez, dit Callias se levant en tout hâte, voilà ce que nous avons gagné à fuir les chaudes régions de la Campanie ; pas un de mes mille amis ou courtisans n’aurait eu l’aimable idée de m’écrire au pied du Vésuve.
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Pendant qu’il parlait avec la sombre énergie d’un cœur brisé, Callias jetait sur lui un regard de compassion plus vive qu’il n’en avait jamais accordé à aucune face humaine. Mais pendant qu’il continuait, une pensée soudaine sembla illuminer le visage du jeune Grec. Il sourit, parut vouloir parler, renfonça ses mots comme s’il voulait les peser, fit quelques pas désordonnés sur le pavé de la salle, comme s’il voulait broyer et réduire en poussière les amours de Tithon et de l’Aurore peints en mosaïque ; enfin il se jeta sur un des sofas d’ivoire, et se répandit en éclats de rire.

Sempronius le regardait avec étonnement. Callias se leva de nouveau, et la même pantomime recommença : — les sourires, les phrases et les promenades interrompues, et les mêmes éclats de rire. — Sempronius présuma que son fantastique ami avait été piqué par un aspic ou une tarentule.
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— Alors, chassez-la de votre mémoire, répliqua l’aimable philosophe.

Le Romain leva lentement sur son ami ses larges yeux noirs chargés de mépris.

— La chasser de ma mémoire ! s’écria-t-il ; je n’ai pas plus le pouvoir de l’oublier que de perdre la conscience de ma vie ; chaque objet me force à m’en souvenir. Musique, lumières, étoiles, les sons répandus dans l’air du soir, le balancement d’une rose, le parfum de son calice, les formes vagues qui flottent là-bas dans les nuages, tout ce qui touche mon cœur, flatte mes sens, égaye mon œil, me ramène instantanément vers elle. Non ! son image sera indestructible, jusqu’au moment suprême où le sentiment lui-même sera anéanti. Vous vîtes mon émotion le soir que je soupai à votre villa de Campanie. — Cette peinture de l’Olympe ! Je retrouvai dans cette Vénus suppliante devant Jupiter l’idole vivante de toutes mes pensées. L’attitude, la forme, la grâce indescriptible, tout y était, tout ce que j’avais vu dans la fatale nuit du banquet d’Éphèse. Je n’osai pas regarder plus longtemps. J’aurais adoré la vivante création du pinceau, ou, comme un nouveau Prométhée, j’aurais, de mes lèvres brûlantes, soufflé un feu nouveau sur cette forme. Si j’avais été le maître des trésors de la terre, je les aurais donnés pour posséder cette peinture et mourir l’œil fixé sur elle. Mais, à ce moment, je crus que l’esprit sévère de mon père se dressait du fond des ténèbres, et je tombai dans la terreur et le désespoir.
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— Mais, dit-il, n’avez-vous jamais cherché à retrouver ce modèle accompli ? Ne lui avez-vous jamais offert de l’épouser ?

— Le retrouver ! dit le Romain. Voici la seconde année que je cours l’Asie, la Grèce et l’Italie, toujours poussé par une invincible espérance. Elle a quitté le temple, hélas ! et j’ai pu croire qu’elle était remontée aux cieux ! Encore, si je la pouvais retrouver ici-bas ! Que pourrais-je faire ? Mon père, à son lit de mort, me laissa le choix des anathèmes ou de sa bénédiction, si je consentais à accomplir ses désirs et à épouser ma cousine Euphrosine. Je puis dédaigner la richesse, mépriser la tyrannie, mais je ne puis fouler aux pieds les commandements funèbres d’un père. J’entends sans cesse retentir dans mon esprit effrayé sa voix qui, du fond de la tombe, me somme de lui obéir. Je n’aborde le sommeil qu’en tremblant, un sommeil court, d’ailleurs, et accablant ; car bientôt je vois son ombre qui me menace cruellement si j’ose résister à sa volonté, devenue plus sacrée depuis que la tombe nous divise.
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— Et ainsi, — dit Callias, avec un regard froid, son esprit satirique l’ayant préservé de toute émotion, — vous êtes tombé amoureux d’une des danseuses du temple. Les glaces du cœur sont faciles à fondre sous ce bon climat d’Asie ; je présume qu’elle écouta complaisamment la répétition que vous fîtes du rôle de l’Ionien.

Sempronius porta la main à son poignard.

— Méchant Grec, s’écria-t-il, ne me mets pas à l’épreuve une seconde fois. Encore un mot de mépris, et nous nous quittons pour toujours. Les étoiles qui brillent sur nos têtes ne sont pas plus loin de nous que mon idole de l’haleine impure du soupçon. Je ne l’ai jamais revue ; toutes mes recherches furent vaines. Les dévots qui ont pu supporter vos ricanements impies sont d’une autre race que moi. Il n’y a que votre penchant incorrigible à tout ridiculiser qui a pu vous faire oublier que les prêtresses sont aussi sacrées que les vestales du Capitole. C’était une des filles de l’autel.

Callias fit ses excuses et parvint à calmer l’irritation de son ami.
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— La revoir ! répliqua Sempronius, elle ! cet instrument de tyrannie paternelle ! jamais je n’eus cette envie, et je ne l’aurai jamais. Mon éducation, qui se fit à Athènes, me jeta d’abord loin de Rome. Puis, un jour, j’enfourchai un cheval, comme centurion de cavalerie dans la légion impériale et je fus commandé pour le service des frontières de la Pannonie. Depuis, j’ai vécu en Asie Mineure. Je n’ai jamais vu Rome ; mais un mot vous suffira. J’ai vu, — ici Sempronius fit une pause, — j’ai vu l’être qui est fait pour remplir le vide de mon âme et le peupler à jamais. C’était à un banquet offert aux officiers de la légion par le proconsul Septimius, à notre arrivée à Éphèse. Tout fut, vous le présumez, noble et somptueux. Mais tout fut éclipsé par un spectacle qui eut lieu dans les jardins du palais et fut joué par les desservants du temple. C’était un drame dans le goût de ceux qu’enfantait l’imagination d’Ovide, court, mais délicieusement rendu ; c’était une fable sur le pouvoir de l’Amour. Le petit dieu figurait sous cent formes diverses, tantôt en guerrier, tantôt en poète ou en musicien, d’autres fois en roi, et d’autres fois il paraissait en marchand chargé d’une pacotille de trésors et de bijoux, le tout pour entreprendre le cœur d’une belle fille. Mais aussi quelle conquête que celle sur qui le Jeune Enchanteur essayait tous ses pouvoirs ! Je n’ai jamais rien vu, rien imaginé de plus beau, ni de plus aimable ! Tout ce que la poésie a inventé de mieux, tout ce que ma fantaisie avide a revêtu de grâce et de charme, de beauté et de noblesse, fut jeté dans les ténèbres de l’oubli. Devant moi se mouvait, vivait, regardait, souriait la Beauté essentielle, telle que Vénus s’élevant du sein des lames salées, ou Pandore descendant des portiques de l’Olympe. Je sentis alors que ma destinée était dite, mon arrêté écrit, et à jamais ! La conviction perça le profond de mon âme en un instant. Je sentis que c’était clair, brillant, acéré, lumineux, comme les flèches de la vérité. Je ne puis vous dire ni vous expliquer avec quelle anxiété toute nouvelle j’étudiai la marche du drame, et combien j’entrai violemment dans tous les intérêts de cette petite scène. Je me pris à trembler de tous mes membres, quand je la vis successivement tentée par la flatterie enivrante de la poésie, par la promesse de tout ce qui peut chatouiller le cœur de l’orgueil, par les joyaux et par l’or, que le jeune et puissant magicien de nos passions étalait sous ses yeux, entassant vision éblouissante sur vision, et faisant se succéder des tentations de plus en plus dangereuses devant la plus dangereuse des filles de la terre. Elle résista à toutes, et je sentais mon cœur battre d’une manière furieuse et inaccoutumée à chaque nouveau triomphe ; un seul stratagème restait. Les nobles palais, les bosquets dorés, les royales retraites dans lesquelles l’enchanteur avait évoqué ses visions de luxure, d’orgueil et de richesse, s’enfuirent comme des songes. La scène fut un simple jardin, avec une grande vue sur une belle montagne au bord de l’Hellespont. La jeune beauté était maintenant assise sur un amas de roses fraîchement effeuillées, et écoutait un discours que lui faisait un jeune homme dans le simple accoutrement du berger d’Ionie. Sa figure et sa contenance étaient nobles, mais ses paroles étaient la simplicité, la passion, l’éloquence même. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi parfaitement bien dit. Il ne lui offrit ni la pompe, ni la richesse du monde, mais il mit à ses pieds un cœur débordant d’amour, de foi et d’honneur. Si elle avait résisté à cette prière, elle eût été plus ou moins qu’une mortelle. Elle ne fut ni l’un ni l’autre, elle fut femme, — vraie comme la nature, et sensible aux plus douces impulsions de la nature. J’avais triomphé dans sa résistance, je triomphais maintenant dans sa soumission. Je vis avec délices que cette beauté digne d’un être céleste n’était pas une beauté de statue. Ma joue rougit instinctivement quand la rougeur se répandit sur la sienne. Une larme qui tomba de sa paupière fut suivie par mes larmes, et il me semblait que mon âme s’en allait avec elles. Avec un soupir et un sourire, elle reconnut le pouvoir du cœur sur le cœur, et se laissa choir avec les pleurs silencieux de sa joie sur le sein de l’Ionien. À ce moment, le tonnerre roula avec fracas, la décoration s’éleva comme un nuage qui s’envole, et au lieu du simple jardin de l’Hellespont, nous vîmes les immortels bosquets d’Idalie. L’Ionien était l’Amour lui-même rendu à sa forme première, aimable, puissant, folâtre et semblable à un roi. Le jeune dieu, porté sur ses ailes de pourpre, se glissa entre les bras de la belle créature, et la couronna d’amarante en présence des nymphes, comme souvenir de sa métamorphose en immortelle habitante des bocages de l’île d’Amour.
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Ainsi parla Callias, qui ne pouvait jamais mettre un mors à sa raillerie. Mais il eût probablement voulu retenir sa langue, s’il avait jeté un coup d’œil sur la physionomie de son ami. Le jeune Italien avait d’abord écouté avec un sourire incrédule et languissant, mais à la fin, le sujet le touchant de trop près, son sourcil se contracta, et, la lèvre serrée et la voix tremblante d’indignation, il chargea le Grec des froides imprécations d’une colère concentrée.

— J’ai confié à vous, à vous seul, entendez-vous ! s’écriait le bouillant Romain, la malheureuse, — non, — la désolée, la lamentable situation de mon âme. Je vous ai dit que la folle, pour ne pas dire la féroce résolution de ma famille, qui n’a pas voulu me laisser le choix libre dans une affaire, — qui, de toutes les affaires humaines, demande le plus de choix, — m’a inspiré une horreur précoce pour l’être à qui je devais alors sacrifier toute raison, sentiment et volonté ; et que, follement accouplés dans notre enfance dans le burlesque dessein d’apprendre à nous aimer, nous en prîmes chacun une haine invincible l’un pour l’autre, et nous nous séparâmes dès lors pour ne jamais nous revoir !

— Résolutions de deux enfants étourdis, dit Callias, qui se tenait cette fois sur ses gardes et ne voulait pas pousser à bout son ami ; — et ces résolutions sont-elles des pactes indestructibles, une religion inébranlable pour les années plus mûres ? il n’est rien sous les astres qui ne change, et tout est chrysalide. Resterons-nous l’œil fixé sur l’orient pour voir lever le soleil, quand il s’arrange déjà un oreiller avec les nuages du couchant ? Votre cousine a maintenant passé l’enfance ; elle est peut-être aimable comme Hébé, et joyeuse comme Flore, la reine des fleurs. N’avez-vous jamais eu la curiosité de savoir quelle elle est depuis cette terrible bataille que vous avez eue en nourrice ?
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Ainsi, vous êtes déterminé à courir le monde, à traquer votre rêve, licorne inconnue, monstre innommé, à voir l’invisible, à trouver l’introuvable ! Mon jeune et galant ami, écoutez mes avis, et laissez ces pérégrinations aux songeurs. Retournez à Rome ; dites à votre excellent oncle que vous êtes parfaitement prêt à épouser la dot de sa fille, cette dot eût-elle l’impudence d’être dix fois plus riche ; dites-lui que vous êtes un fils obéissant et que vous n’avez nullement l’idée de contrarier la volonté de votre excellent père, la mariée fût-elle belle comme les trois Grâces et aimable comme la Mère des deux Amours[2]. Alors, ayant humblement accompli votre obéissance filiale et donné une noce qui fera parler de vous dans Rome pendant vingt-quatre heures, coiffez-vous de votre casque, s’il vous prend encore idées de voyage ; allez honorablement vous battre contre les Parthes, ou éteindre le renom d’Alexandre et bâtir des trophées sur l’Indus, — pour être un jour foulé par les semelles du sauvage, qui utilisera les ruines de votre mausolée pour y installer sa marmite et pendre la crémaillère sur vos illustres os !
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