L'histoire : Aude est étudiante en philosophie et vit avec Étienne. Pas vraiment amoureuse, elle observe sa vie avec détachement. Ses liens se délitent progressivement avec Étienne, avec ses amies. S'enfermant progressivement dans ce qui ressemble à une dépression profonde, elle se recroqueville sur son sentiment d'étrangeté au monde. Puis, elle répond à une petite annonce pour donner des cours et s'occuper d'un garçon de neuf ans, Corentin. le premier contact avec la mère de Corentin est assez déstabilisant car celle-ci n'a pas de mots assez durs pour décrire et mépriser son fils. D'autant plus qu'il y a eu un "problème" avec la précédente étudiante en charge de Corentin. Pourtant le contact passe assez bien entre Aude et Corentin. Leur relation va se renforcer face au père de Corentin qui ne sait comment se positionner face à Aude, encombré de désirs et de non-dit. La relation avec Étienne tourne à l'incompréhension mutuelle, à l'incommunicabilité totale. Corentin, pour sa part se révèle un enfant à la maturité hors du commun, à l'intelligence aiguisée et à la solitude ahurissante. Leurs solitudes se font écho. Leur proximité face aux autres, leur compréhension mutuelle devient un rempart, devient une bulle. Jusqu'à l'indicible.
Le projet des auteurs est de montrer une histoire d'amour hors norme, illégale, pédophile.
Ce qu'il y a de terrible avec ce livre c'est que le savoir-faire des auteurs est manifeste : la langue de
Bénédicte Heim est très réfléchie, très travaillée, le style induit très efficacement l'éloignement au monde de Aude. Cette langue se déploie comme une lente mélopée, sans respiration, une plongée un peu hypnotique, une musique textuelle dont l'effet est très efficace.
Je ne dirai pas que l'écriture est belle (ce n'est pas ce que j'ai ressenti) mais vraiment envoutante, au sens premier du terme. le texte se lit d'une traite, captivé par une écriture maitrisée qui nous mène vers l'interdit, que je n'ai absolument pas vu venir
le travail d'
Edmond Baudoin tout en noir avec des réécritures graphiques du texte est très maitrisé et alimente le texte dans une dynamique similaire au Tamara Drew de
Posy Simmonds où texte et images sont parallèles et complémentaires et non pas redondants l'un de l'autre. Très cru dans les scènes de sexe que Laure a avec un inconnu, le dessin devient métaphorique dans les scènes finales qui relèvent du tabou.
Et c'est là où le bât blesse : l'ouvrage, justement par son efficacité, met en oeuvre ainsi toute la vulgate du discours pédophile en utilisant l'argument de l'amour de l'enfant (c'est lui qui est demandeur, déjà avec la première baby-sitter), de sa maturité (il est présenté comme artiste, il veut dessiner Aude en nu, il dessine très bien, forcément - projection de l'auteur ?), de la pureté de la relation (versus les amours adultes réelles et potentiels de Aude qui apparaissent soit insatisfaisantes soit implicitement sales / impurs : le personnage d'Étienne est vraiment désagréable, le père de Corentin apparait comme littéralement hanté de désirs non assumés, et la relation avec l'inconnu du métro est présentée avec une crudité charnelle glaçante) en dissimulant la gravité du crime par une langue poétique et métaphorique.
Par ailleurs, si l'adulte avait été un homme, le livre serait autrement condamné, alors que certains peuvent trouver cela normal, reprenant à l'envie le discours de la société contre l'amour, l'esprit bourgeois conservateur contre u
n amour tellement plus grand, plus fort, plus pur, que c'est forcément la société, castratrice, qui opprime u
n amour absolu. On croit rêver, à lire des arguments pareils qui font l'apologie d'un crime dont la pratique masculine est unanimement condamné et la pratique féminine reste ignorée.
Un livre très maitrisé, très réussi dans sa forme, et c'est bien là le problème car son parti-pris est, à mon sens, éminemment pervers, au sens littéral du terme.
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