Rien n'est simple, et rédiger une critique sur un recueil de dessins humoristiques vieux de plus de cinquante ans, d'un auteur qu'on apprécie, moins qu'autre chose.
À son trait,
Jean-Jacques Sempé est identifiable quasi instantanément par une large frange de la population, et ce notamment en raison de l'énorme succès de son association avec le scénariste
René Goscinny pour la série
le Petit Nicolas.
Mais il avait une vie aussi en dehors des sentiers de l'école pour
Sempé : le dessin de presse humoristique. Ce recueil est à ma connaissance l'un des tout premiers voire le tout premier de son auteur, publié originellement en 1962.
Si j'ai évoqué le trait si caractéristique aujourd'hui de
Sempé, c'est par ce que si je le regarde avec des lunettes du début des années 1960, le trait de
Sempé n'a absolument rien de très caractéristique par rapport à celui de ses contemporains. Je le répète, vous avez bien lu, RIEN de très caractéristique. Il est totalement dans l'air du temps, de ce temps-là, les trente glorieuses, la société paternaliste, les dessins de presse bon enfant, le dessin publicitaire sympathique, etc.
Comparez-les, par exemple, à ceux de
Jacques Faizant dans
Le Figaro en ce temps-là, à celui de nombreuses publicités d'époque, même à ceux d'auteurs jeunesse tels que
Tomi Ungerer dans des albums contemporains comme
Crictor ou
Émile et vous verrez que c'est vraiment la mode du moment.
J'oserai même pousser la comparaison encore un peu plus loin, du côté d'un journal moins connu et pourtant cher à mon âme : le Paris Normandie. On y trouvait à l'époque et depuis déjà une grosse dizaine d'années des dessins d'humour de Bindle avec son personnage mythique (enfin, je me comprends, mythique pour moi et pour quelques irréductibles Normands comme Lecassin ou Gill, par exemple), j'ai nommé, oui, vous l'avez reconnu, c'est bien lui, attention ! roulements de tambours…………………………….
……………………....…...……. l'inimitable…………….......................……………..
………………….......…………. l'inégalable……......................……………………..
……………………….......……. l'inaltérable………….......................……………….
Poustiquet !
Je suis intimement convaincue que
Sempé connaissait ces dessins et ce style et qu'il s'en est inspiré. Même le ton du
Sempé de l'époque est très comparable à celui de Bindle.
Bon, maintenant que je vous ai dit cela, il me reste à vous dire si la mayonnaise prend toujours, si la sauce a toujours le même goût, bref, toutes sortes de questions relatives à la saveur de l'ensemble.
Et là, à ma grande peine, pour être tout à fait sincère, il me faut confesser que c'est assez plaisant, c'est gentillet, ça se mange sans faim, mais ce n'est tout de même pas renversant de drôlerie, ni même particulièrement captivant.
C'est très bon enfant, et d'ailleurs, à propos d'enfants, on sent tout de même beaucoup la prégnance du Petit Nicolas, ce qui est peut-être un peu dommageable pour des dessins, a priori, un tantinet plus destinés aux adultes.
Ici, du dessin d'idée, souvent toute simple l'idée, sans forcément beaucoup d'impact, puis une autre, et ainsi de suite. Pas trop de suite, justement, dans les idées, c'est un peu gratuit, et ça ne tient pas tellement au corps.
À telle enseigne que je me retrouve bien en peine pour tenter de dégager deux ou trois thèmes centraux qu'évoqueraient plus particulièrement ces dessins. On peut sans doute regrouper le premier gros tiers de l'ouvrage sous une rubrique fourre-tout du genre « transports urbains et foule », et le restant, sous le chapeau on ne peut plus vague de « psychologie humaine ». Vous constaterez qu'on a déjà vu moins nébuleux comme assemblage, mais je ne suis pas capable de faire mieux.
Excusez-moi,
Jean-Jacques Sempé de vous éructer mon fait, moi qui vous aime tant par ailleurs, mais j'ai eu peu d'intérêt à feuilleter ce livre, sans pour autant y trouver du déplaisir, alors, bien modestement, je l'exprime, mais
rien n'est simple, et seulement l'avouer est pour moi une manière de déchirure. Ne m'en veuillez pas Jean-Jacques.
Au reste, ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.