Citations sur Le Deuxième Sexe, tome 1 : Les faits et les mythes (235)
Pour tous ceux qui souffrent de complexe d'infériorité, il y a là un liniment miraculeux: nul n'est plus arrogant à l'égard des femmes, agressif ou dédaigneux, qu'un homme inquiet de sa virilité.
Législateurs, prêtres, philosophes, écrivains, savants se sont acharnés à démontrer que la condition subordonnée de la femme était voulue dans le ciel et profitable à la terre. Les religions forgées par les hommes reflètent cette volonté de domination: dans les légendes d'Eve, de Pandore, ils ont puisé des armes.
D’abord l’idée de possession est toujours impossible à réaliser positivement ; en vérité, on n’a jamais rien ni personne ; on tente donc de l’accomplir d’une façon négative ; la plus sûre manière d’affirmer qu’un bien est mien, c’est d’empécher autrui d’en user. Et puis rien ne semble à l’homme plus désirable que ce qui n’a jamais appartenu à aucun être humain : alors la conquête apparaît comme un événement unique et absolu. Les terres vierges ont toujours fasciné les explorateurs ; des alpinistes se tuent chaque année pour avoir voulu violer une montagne intouchée ou même seulement pour avoir tenté d’ouvrir sur son flanc une nouvelle voie ; et des curieux risquent leur vie pour descendre sous terre au fond des grottes jamais sondées. Un objet que les hommes ont déjà asservi est devenu un instrument ; coupé de ses attaches naturelles, il perd ses plus profondes vertus.
Ce n’est pas l’infériorité des femmes qui a déterminé leur insignifiance historique : c’est leur insignifiance historique qui les a vouées à l’infériorité.
Pour la majorité des travailleurs, le travail est aujourd'hui une corvée ingrate : pour la femme, celle-ci n'est pas compensée par une conquête concrète de sa dignité sociale, de sa liberté de moeurs, de son autonomie économique ; il est naturel que nombre d'ouvrières, d'employées, ne voient dans le droit au travail qu'une obligation dont le mariage les délivrerait.
Les femmes ne sont pas solidaires en tant que sexe : elles sont d'abord liées à leur classe; les intérêts des bourgeoises et ceux des femmes prolétaires ne se recoupent pas.
La perspective que nous adoptons, c'est celle de la morale existentialiste. Tout sujet se pose concrètement à travers des projets comme une transcendance ; il n'accomplit sa liberté que par son perpétuel dépassement vers d'autres libertés ; il n'y a d'autre justification de l'existence présente que son expansion vers un avenir indéfiniment ouvert. Chaque fois que la transcendance retombe en immanence il y a dégradation de l'existence en "en soi", de la liberté en facticité : cette chute est une faute morale si elle est consentie par le Sujet ; si elle lui est infligée, elle prend la figure d'une frustration et d'une oppression ; elle est dans les deux cas un mal absolu.
C'est là ce qui caractérise fondamentalement la femme : elle est l'Autre au cœur d'une totalité dont les deux termes sont nécessaires l'un à l'autre.
Et elle (la femme) n'est rien d'autre que ce l'homme en décide ; ainsi on l'appelle "le sexe", voulant dire par là qu'elle apparaît essentiellement au mâle comme un être sexué : pour lui, elle est sexe, donc elle l'est absolument. Elle se détermine et se différencie par rapport à l'homme et non celui-ci par rapport à elle ; elle est l'inessentiel en face de l'essentiel. Il est le Sujet, il est l'Absolu : elle est l'Autre.
L'humanité est mâle et l'homme définit la femme non en soi mais relativement à lui ; elle n'est pas considérée comme un être autonome.