Le village de la Source des chèvres est traversé par un chemin de terre de trois kilomètres qui vous amène à la grand route. Celle où une fois par jour passe le bus qu'il faut prendre pour aller à la ville et celui qui emmène l'instituteur chaque jour, voyage qui vous occupe quatre heures à l'aller et pareil au retour.
Abdelkrim se prépare à l'aube pour aller à la ville réclamer l'argent qui lui est dû, mais le bus ne passe pas. Abdelkrim est tout de suite inquiet, comme le pressentiment d'un malheur.
Deux jours plus tard, c'est bien un bruit de véhicule qui se fait entendre mais c'est celui de deux camions militaires qui viennent pour interdire l'accès au village et écarter toute tentative d'en partir.
C'est un village de traditions, Abdelkrim y est l'homme le plus jeune 29 ans, marié à Badra 24 ans ils ont trois enfants.
« […] en ce lieu, une jeune fille est bonne à marier dès seize ans ; au-delà, elle devient un fardeau et la médisance s'installe. Pour la jeune femme vive et allègre, tout est prétexte à rire. »
Dans ce village vivent Abbas, l'homme le plus riche, il a trois femmes.
Baki, sorte de maire, qui chaque mois part avec ses registres rendre des comptes aux dirigeants de la ville.
Slimane trente ans marié à Aïcha qui veut vivre en ville, est le meilleur ami d'Abelkrim.
Le plus vieil homme du village est aussi L'imam, il perd la vue et est soutenu par sa femme Yamina.
Ziani le fou est arrivé au village seul à quinze ans, il a toujours vécu en marge, à la fois objet d'attraction et de répulsion.
C'est un monde qui se respecte habituellement mais devant cet évènement qui les condamne tous, Abbas se sent la puissance de désigner un coupable et pour lui c'est Abelkrim.
« L'appel du muezzin retentit au crépuscule d'une journée inconsolable. le prêche de l'imam ne laisse aucun espoir. Des mots tristes appelant à la soumission et au jeûne. »
C'est ainsi que le décor s'installe, une bourgade tranquille, où chacun effectue son travail, vit sa vie et fait souvent taire ses rêves.
Les hommes cultivent leur lopin de terre et font quelques affaires, les femmes font tourner le foyer.
Tout se joue autour de la place du village avec son café et sa mosquée.
A noter l'absence d'adolescents, les filles sont mariées et les garçons partent ailleurs tenter leur chance.
Le village est clos, il faut un coupable, c'est Abbas le Faune qui ouvre la vindicte, il ne le lâchera pas, lui et sa famille les condamnant à l'exil.
Il ne reculera devant rien pour faire valoir son pouvoir, il désigne le coupable et ensuite attribue des bons points à ceux qui courbent l'échine.
Mais est-il le roi en sa demeure ?
Celui qui vitupère a-t-il autant de pouvoirs qu'il le croit ?
Ce sont les voix des femmes qui vont s'élever et faire basculer ce climat de haine vers un ailleurs.
Je n'ai pu m'empêcher de trouver des accents de fable dans ce roman, avec la même force que
La Fontaine pour dire la farce de la vie montée par les hommes.
Ici les femmes sont l'allégorie de la liberté, mais avant cela il y aura moult chemins de haine et d'exil à parcourir.
On ne peut pas faire l'impasse sur la similitude avec tous les extrémismes qui gangrènent le monde.
L'auteur nous dit cela avec des phrases qui ont une douceur dans leur lenteur, sans se départir d'une précision de vocabulaire. le tout est rythmé comme une mélopée avec des paroxysmes dans les césures poétiques.
L'ensemble vous envoûte car vous voulez absolument savoir le destin des protagonistes qui vous sont proches et la musicalité qui se dégage et vous enveloppe comme une symphonie en jouant sur un vaste registre d'émotions.
Je crois au pouvoir des mots et à leur force, ce qui donne des ailes à la littérature et construit des ponts à travers le monde.
Une belle découverte et je vais lire ses autres romans.
Merci à Françoise Lecteurs.com pour cette lecture privilégiée.
©Chantal Lafon
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