Alias Ultimate Collection, tome 1

Ce tome regroupe les épisodes 1 à 15, parus en 2001/2002. La suite et fin de la série a été regroupée dans Alias Ultimate collection 2 (épisodes 16 à 28).

La série Alias introduit un nouveau personnage : Jessica Jones. Il s'agit d'une femme qui a tenté une carrière de superhéros sous le nom de Jewel. Pour des raisons inconnues, elle a décidé de mettre un terme à sa carrière et de devenir détective privée. L'histoire commence alors qu'elle reçoit un mari à qui elle doit exposer les preuves de l'infidélité de son épouse. Ça ne se passe pas très bien, au point qu'elle doive faire intervenir la police. Puis elle est engagée par une mystérieuse femme pour retrouver sa saeur qui a disparu (épisodes 1 à 5).

Épisodes 6 à 9 - Jane Jones vient trouver Jessica Jones pour qu'elle retrouve son conjoint qui semble avoir fugué ; il s'agit de Rick Jones, l'ancien compagnon de Captain America, Hulk et Captain Marvel.

Épisode 10 - John Jonah (J.J.) Jameson engage Jessica Jones pour qu'elle découvre l'identité secrète de Spider-Man. Elle doit être supervisée par Ben Urich. Parallèlement elle enquête sur un mari dont l'épouse est convaincue qu'il la trompe grâce à un site de rencontre sur internet.

Épisode 11 à 14 - Jessica Jones a été engagée par une femme dans une ville de province. Sa fille a disparu et elle est persuadée que son mari (qu'elle a foutu à la porte) est coupable de quelque chose. Elle l'a surpris à plusieurs reprises en train de regarder sa fille de manière concupiscente.

Épisode 15 - Il est temps pour Jessica de faire le point avec Luke Cage, alors qu'ils servent tous les deux de garde du corps à Matt Murdock. Et elle peut enfin profiter d'un dîner aux chandelles avec Scott Lang (Ant-Man).

La branche "adulte" de Marvel (baptisée MAX) aurait été créée pour que Marvel puisse publier cette série qui commence par un mot grossier retentissant, qui contient des relations sexuelles, et des discussions assez franches entre adultes (pas que sur le sexe).

Dans des interviews, Brian Michael Bendis (en abrégé BMB) explique qu'au départ il avait pensé utiliser le personnage Jessica Drew (la première Spider-Woman) pour cette série. C'est la raison pour laquelle la situation de départ évoque fortement un moment de la vie de ce personnage. Il est vrai que les premiers épisodes induisent le lecteur en erreur sur la nature de la série. Jessica Jones croise Luke Cage (Power Man), et aperçoit Captain America (Steve Rogers). 2 ou 3 autres superhéros Marvel sont de passage, l'équipe des Avengers est évoquée, J. Jonah Jameson intervient, etc. Mais il faut se rappeler que dans l'univers MAX ces noms ne correspondent pas forcément exactement à ceux de l'univers partagé Marvel (référencé 616) traditionnel. Par exemple l'intervention du SHIELD ne cadre pas avec ses missions habituelles.

Le propos de BMB n'est pas de raconter une histoire superhéros, mais de suivre une femme désabusée et amère. Jessica Jones a échoué à être une superhéroïne traditionnelle. Elle est devenue détective privée par défaut. Elle a dû subir des épreuves qui ont brisé son estime de soi. le début est terrifiant. Son métier la met dans une position de voyeur, imposant une vérité pas bonne à dire à quelqu'un qui ne veut pas l'entendre et qu'elle doit quand même faire payer. La deuxième scène est encore pire : Jessica va se prendre une bonne cuite pour s'envoyer en l'air, dans une relation consentie mais malsaine. Par cette seule scène (qui n'a rien de voyeuriste), BMB expose le manque d'amour propre, voire son dégoût pour sa personne, de Jessica d'une manière magistrale.

Bendis écrit donc l'histoire de Jessica Jones qui va évoluer au fil des épisodes en fonction des individus et de leur situation que ses enquêtes mettront sur sa route. BMB évite l'écueil du démonstratif pour se concentrer sur les histoires qu'il raconte, et le lecteur discerne en filigrane l'évolution de l'état d'esprit de l'héroïne. La première enquête est agréable à suivre, même si la résolution semble parachutée et peu plausible. La deuxième enquête prend le lecteur à contrepied en ce qui concerne Rick Jones. Par contre BMB passe dans un mode peu subtil pour enfoncer son message sur le choix de vie du mari surfant sur les sites de rencontre. de la même manière, le point du vue développé lors de l'enquête en province est exposé à l'aide de grosses ficelles et de traits de caractère grossis jusqu'à la caricature. le dernier épisode permet à BMB de briller de mille feux grâce à un dialogue entre Jessica et Scott ciselé au micron près, pour des phrases qui en disent beaucoup plus sur l'état d'esprit des personnages que les simples mots prononcés.

Michael Gaydos (illustrateur) utilise un style réaliste, fortement encré qui plonge le lecteur dans une ambiance impressionnante. Dans les bons cotés, il donne une apparence visuelle spécifique à chaque personnage. Il a le mérite de se tenir à l'écart d'une esthétique superhéros pour privilégier des éléments du quotidien, des tenues vestimentaires réalistes, de forte inspiration urbaine. Les décors sont présents dans plus de 80% des cases. Les dessins permettent de conférer une présence plausible aux personnages. Les émotions se lisent facilement sur les visages, sans tomber dans des visages lisses, ou tout en courbes. le lecteur a la sensation d'avoir de vrais adultes en face de lui et pas des poupées Barbie lisses et insipides. Les couleurs de Matt Hollingworth sont assez sombres pour les scènes nocturnes. Il sait utiliser les effets de camaïeux pour renforcer une ambiance. le tout est à destination de lecteurs adultes pour une description brute de chaque scène, sans être cafardeuse. Avec le dernier épisode, il devient évident que BMB a dû demander à Gaydos de s'inspirer du style d'Alex Maleev sur Daredevil.

Gaydos innove pour l'épisode 10, en l'illustrant directement à l'aquarelle. le résultat n'est pas vraiment convaincant ; ce n'est pas parce que c'est peint que c'est plus réaliste ou plus sérieux. Cet épisode se laisse lire, mais il est visible que Gaydos ne maîtrise pas complètement ce mode d'expression. Les épisodes consacrés à Rick Jones comprennent 5 pages illustrées par Bill Sienkiewicz, pas au meilleur de sa forme. Il y a également 2 pages dessinées par Mark Bagley, pour un flashback concernant Jewel (le contraste avec les pages de Gaydos est difficile à soutenir). Les couvertures sont réalisées par David Mack, inspiré mais sans plus. Il réalise également 3 doubles pages magnifiques pour l'histoire se déroulant en province.

L'appréciation de ce tome dépend de ce que vous attendez de votre lecture. BMB et Gaydos proposent une version plus mature de l'univers Marvel dans laquelle les superhéros en costume moulants et voyants existent. Mais ils s'attachent aux faits et gestes d'une superhéroïne déchue, ratée, en se tenant éloignés des phénomènes cosmiques ou planétaires pour rester au niveau de l'homme de la rue, sans noirceur exagérée, sans misérabilisme exacerbé. Je n'attribue que 4 étoiles parce Bendis a la main lourde dès qu'il s'agit d'exposer de bons sentiments tels que la tolérance ou la valeur de la vérité dans les rapports humains. Et Gaydos m'exaspère chaque fois qu'il se met à photocopier une case pour la reproduire 4 à 8 fois en changeant légèrement le cadrage, ou un sourcil. Ce raccourci lui permet de dessiner plus vite, et lui évite à réfléchir à une véritable mise en scène pour les dialogues. Cela aboutit à des pages paresseuses, où l'oeil s'ennuie en lisant les textes, un comble pour une bande dessinée.