Powers, tome 10 : Cosmic

Ce tome contient les épisodes 13 à 18 de la deuxième série, parus en 2005/2006. Il fait suite à Psychotic (épisodes 7 à 12) qu'il faut avoir lu avant.

La première scène s'ouvre avec un comédien sur une scène en train de faire du stand-up sur le thème de "tout le monde ment". Après ces 3 pages, l'histoire passe à une scène se déroulant dans une banlieue bien proprette avec pelouse devant les maisons à un étage. Un homme (Alan) sort de chez lui pour essayer de retrouver son chien. Il interpelle Heather Anderson, sa voisine, qui lui indique son chien un peu plus loin. Un individu tombe du ciel comme une météorite et sectionne Alan en 2. L'individu masqué vêtu de vert se relève et s'envole sans plus attendre. Au commissariat, Ana Stone est en train de discuter avec le commissaire ; elle fait partie de la police des polices et elle souhaite interroger Deena Pilgrim. Cette dernière part enquêter avec Christian Walker sur la mort d'Alan. Cette affaire va également impliquer une branche du FBI spécialisée dans les manifestations de créatures extraterrestres sur Terre, avec l'agent Marcus, puis le retour de l'agent Lange.

Fidèles à leur engagement de sortir de la zone de confort des comics, Brian Michael Bendis (en abrégé BMB) et Michael Avon Oeming (en abrégé MAO) commencent par une scène que personne n'attend : 3 pages d'un comédien en train de faire un numéro de stand-up sur le thème du mensonge ordinaire. Certes, le lecteur se doute que ce thème n'a pas été choisi au hasard et qu'il met en exergue les cachoteries liées aux identités secrètes de superhéros ; toutefois l'effet déstabilisant joue à plein. le lecteur est d'autant plus déconcerté que rien ne rattache cette scène à la suite et que MAO a choisi une mise en scène minimaliste, particulièrement platounette. Il faudra patienter jusqu'au dernier épisode pour comprendre le lien entre cette scène et les suivantes de stand-up, et l'histoire principale. le lecteur verra donc ainsi défiler un comédien différent par épisode, les suivants s'épanchant sur la difficulté d'établir une communication significative entre 2 adultes, la possibilité de saborder sa vie en 3 phrases, la pauvreté artistique des films pornographiques, le dégoût de tout, et la gratification inégalable apportée par des sentiments positifs. En soi, chaque intervention est agréable à lire, contient des propos chargés d'affect et d'honnêteté et fait ressortir les qualités d'écriture de monologue de Bendis. Les images ne servent qu'à montrer qui parle dans une mise en scène minimaliste peu flatteuse et peu intéressante.

La deuxième scène ramène le lecteur à un dispositif narratif éprouvé : la mort brutale et le cadavre déchiqueté, dans toute son horreur. MAO n'a pas changé de style, et il oppose toujours aussi bien la simplicité apparente des formes (individus ou objets) avec le détail horrible (viscères, colonne vertébrale tranchée, etc.). Cette scène (6 pages silencieuses) est d'une efficacité incomparable dans l'horreur de l'arbitraire.

Puis Bendis tient les promesses du titre : cosmique. Il plonge donc Christian Walker et Deena Pilgrim au coeur de l'existence d'extraterrestres et d'une sorte de police de l'espace (pensez Green Lantern) avec un soupçon de Men in Black. La grande force de Bendis et Oeming est d'arriver à s'approprier ce sous-sous-genre des superhéros (les superhéros de l'espace) et de les incorporer sans rupture de ton dans l'univers de Powers. Les prémices de la série restent intactes : 2 inspecteurs de police qui recherchent un criminel, un meurtre impliquant un superhéros ou un supercriminel, une enquête, un passage par la salle des interrogatoires, le coupable découvert à la fin.

L'enquête est complexe et réserve des surprises de taille. BMB et MAO n'hésitent pas à faire intervenir les extraterrestres sous une forme assez distanciée pour ne pas jurer avec la tonalité de la série. MAO n'est qu'à moitié convaincant dans les passages hors planète Terre, alors que BMB a trouvé des astuces pour éviter de sombrer dans le space-opéra de pacotille. le lecteur appréciera à sa juste valeur la blague sur les sondes annales d'un des comédiens de stand-up et l'effet de résonnance qu'elle entraîne par rapport aux instants vécus par Walker.

Par rapport au tome précédent, Bendis a su retrouver le bon équilibre entre l'enquête, les éléments complètement nouveaux qui viennent développer et élargir l'horizon de la série, et les éléments de la vie personnelle de Walker et Pilgrim. le lecteur échappe à l'impression que Bendis rajoute artificiellement des séquences sur la vie de ses 2 héros ; cette fois-ci elles sont intégrées de manière organique au récit et participent au développement de différents thèmes. Il s'agit d'une preuve de la maturité de ces histoires que Bendis ne se contente pas de mener en parallèle l'enquête et la vie des 2 personnages principaux. Il intègre les 2 de telle manière que l'histoire serait fondamentalement différente s'il s'agissait d'autres individus que Walker et Pilgrim. le caractère du premier révèle toute sa saveur à la fois face aux extraterrestres, et face à Heather Anderson. le cas de Pilgrim est encore plus savoureux et plus poignant. Les épreuves qu'elle traverse sont à la fois liées à la vie du commissariat, l'arrivée d'Ana Stone, dépêchée par les boeuf-carottes, mais aussi à l'évolution de sa relation avec Walker, et aux thèmes abordés dans le récit et par les comédiens de stand-up.

D'une manière discrète, MAO renforce le trouble de Pilgrim en utilisant un aspect visuel très simple et très efficace : la longueur de sa mèche sur son front. Deena masque de plus en plus ses émotions derrière l'ombre portée de ses cheveux. À nouveau MAO a fort à faire pour être à a hauteur des prises de risque de Bendis ; et il y arrive. Sa mise en page de Delores Milton (Microbe, une superhéroïne qui rapetisse) permet de ne jamais oublier sa taille. La séquence dans la salle d'interrogatoire est à nouveau une leçon de mise en scène qui évite les redites avec les tomes précédents. Les manifestations matérielles des extraterrestres offrent des visuels inattendus et efficaces, sauf peut-être sur leur "planète". Et les scènes d'action sont toujours aussi énergétiques.

Ne reculant devant aucun défi, Bendis et Oeming osent inclure des superhéros cosmiques dans l'enquête de Walker et Pilgrim, et ça marche. Bendis évite les clichés et développe ses personnages dans une relation symbiotique entre l'intrigue et les personnages. Oeming continue de chercher des solutions visuelles différentes et efficaces pour porter le récit, et il les trouve. Les enquêtes se poursuivent dans Secret identity (épisodes 19 à 24).