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Citations sur Les bourgeois de Calais (38)

La nuit tombait lorsqu'ils quittèrent la table. Un halo vaporeux nimbait Ie rebord de la terrasse. Avant de rentrer à l'hôtel où le cocher devait les reconduire, Mme Dewavrin souhaita voir les lumières de Paris. Ils traversèrent le parc. Le bruit du gravier dans la pénombre tiède était cristallin. Les bêtes frémissaient à l'approche de leur maître. Les arbres se détachaient contre l'horizon, le dessin de leurs feuilles comme agrandi. Il faisait bon.

À leurs pieds, Paris était un incendie contenu par les grands lacs des forêts. Rodin désignait remplacement des principaux monuments, là où se trouvaient ses ateliers, où il avait conçu telle ou telle œuvre, où il avait habité, où il avait grandi, où il était né. Léontine Dewavrin prit son fils par le bras. Il se souviendrait. Rien n’égalerait ce legs qu'il devait à son père.

Revenant vers la carriole stationnée près de la maison, prête à partir, elle sentit une présence. Elle s'arrêta, se tourna de côté et vit l'énorme et sombre silhouette du Balzac orientée vers Paris. La lune s'était levée, les ombres jouaient avec les ombres. Frappée de stupeur, elle se figea. Jamais visage ne lui avait paru plus humain, plus vivant. Surgi de la nuit, il les regardait, et le monde derrière eux.
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Rodin devinait l'intention initiale de Rude : décupler l'émotion en représentant le soldat dans la tenue bourgeoise portée du début du procès jusqu'au supplice. On aurait contemplé le héros livré à l'angoisse, s'efforçant de la contenir, méditant sur son destin et n’y voyant goutte, oppressé, déterminé à cacher sa détresse et, le visage fermé, tendu, toute sa volonté rassemblée sur la dernière chose qui lui appartenait : finir. On rapportait qu il avait dit aux vétérans composant le peloton d’exécution : «Visez juste !»

Derniers mots du maréchal d'Empire, duc d'Elchingen, prince de la Moskowa. Il n’avait tiré de son imagination glacée par l'imminence de la mort que l’instruction répétee des milliers de fois depuis qu’il avait été promu sergent dans les armées du roi, «Visez juste ! ».
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L'autre figure l'avait fasciné. Il n'avait pas trouvé le rapport entre le titre annoncé pompeusement par le sculpteur, "l'Age d'Airain", et le jeune homme vigoureux et gracile qui se dressait devant lui mais cela lui était apparu sans importance. Il n'aurait su dire ce qui, du dessin des bras et des mains, de la position des jambes, de la flexion du cou, de la jeunesse méditative du visage, l'émouvait le plus. L'œuvre était la perfection même. Elle avait atteint en lui une région qu'il croyait hors de portée des choses de l'art. Bouleversé, émerveillé, il avait baissé les yeux devant cette figuration du corps masculin, cet objet de plâtre sans regard, alors qu'il était parvenu à les maintenir sur la chair frissonnante de la belle Italienne. Rodin lui avait dit que le premier titre était "Le Guerrier blessé" et que le personnage s'appuyait sur une lance, finalement retirée. Omer Dewavrin trouvait dans ce motif caché une raison à sa tendresse.

page 34
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Léontine aimait son mari, mais, même à vingt ans, elle n’aurait osé prétendre que son visage était séduisant. De la force, de l'énergie, de l’autorité, de la franchise, tant qu'on voudrait, et même de la bonté, mais de la beauté... Or, pour la première fois, en buvant la coupe de champagne qui fêtait le buste flambant neuf et son auteur, elle le trouvait beau, vraiment beau. La chair richement nourrie qui empâtait le cou, le menton et les joues, le nez busqué, les arcades sourcilières prononcées, la moustache gauloise, tout ce qui était la rude apparence d’Omer était anobli par le dur et vif éclat du métal. L'homme qu’elle avait épousé avait sur les épaules une tête de seigneur. Grâce à ces quinze livres de métal, la tête d'un homme, et le nom qui lui était attaché, le sien depuis son mariage, celui transmis à ses enfants, survivraient au siècle. Le visage de son mari durerait plus que la maison qui le contenait, plus que toutes celles alignées derrière les dunes, plus que la digue qui avançait sa pointe dans la mer. Sur l'encolure de la veste était gravé «A. Rodin», un viatique avec lequel Omer Dewavrin commençait son voyage dans l'avenir.
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La nuit était sur la mer. Des points lumineux signalaient des navires et, au nord, plus vif, plus ample, le phare du cap Gris-Nez. Omer Dewavrin s'était levé. Accoudé à la balustrade, il tirait de son cigare les dernières bouffées avant de rentrer. De sa vie, tout était en place. Elle finirait devant ce paysage. On entendait le ressac ; de l’intérieur de la maison venaient les voix de sa femme et d'un des garçons, derniers mots avant le coucher. Le train de Paris, chargé d'Anglais, siffla en longeant Wimereux. Ils seraient à l'heure pour la malle de Douvres. Le port neuf de Calais avait beaucoup augmenté son trafic. Il embauchait.

Le chien se redressa et vint appuyer sa tête contre la jambe de son maître. La fatigue, la douceur de l'air, son parfum salé, la chaleur de l'animal ; il y avait longtemps qu il ne s'était senti si heureux d'être vivant, si tranquille. Il rentra, ferma les volets, la croisée et tira le rideau. Demain, le soleil levant allongerait devant la poste de Calais six figures de bronze qui n'y seraient pas si Orner Dewavrin n avait existé.
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Quand ces hommes du Moyen Âge marchaient sur la plage à marée basse, l'empreinte de leurs pieds était la même que la sienne et celle de Rose. C'était très loin, c'était tout près. Son esprit enjambait les époques, de la fin du XIXe siècle au début du XIVe.
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Le maire commençait à parler de l'objet de sa visite quand le ragoût de bœuf fut servi. La municipalité souhaitait rendre hommage à Eustache de Saint-Pierre, principal échevin de Calais à l'époque où la ville était assiégée par les Anglais, au début de la guerre de Cent Ans. De septembre 1346 à août 1347, le siège avait été long et cruel.

À bout de ressources, sans espoir de secours, on capitula. Le roi d'Angleterre, Edouard III, avait promis d’épargner les habitants et leurs biens à condition que les clés des portes lui soient livrées par une délégation de bourgeois en chemise, pieds nus et la corde au cou. À sa merci. Eustache s'était offert le premier, cinq autres notables l'avaient imité. L’Anglais était si furieux de la longue et opiniâtre résistance des Calaisiens que, sans l'intercession de la reine d'Angleterre, Philippa de Hainaut, enceinte, les otages auraient été pendus à la première grosse branche pour satisfaire la troupe et intimider la population. Les six bourgeois, qui ne pouvaient guère en douter, s’étaient quand même portés volontaires. La mémoire de cet épisode héroïque était soigneusement entretenue. Les Calaisiens en étaient fiers, elle donnait à leur ville une place d'honneur dans l'histoire nationale. Par surcroît, elle n’était pas désobligeante pour les voisins anglais qu'on accueillait en nombre dans les hôtels et les restaurants de la ville : leur reine avait été miséricordieuse et leur roi, magnanime.
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L'histoire de la reddition de Calais au roi d'Angleterre, le 4 août 1347, achevait de sortir des limbes dans l'étroit rez-de-chaussée du Dépôt des marbres, la loge mal éclairée où la vapeur des pommes de terre mises à bouillir se condensait sur les vitres. À la fin du fascicule, le concierge lut l'adresse des Bourgeois agenouillés devant Edouard III entouré de ses barons: « Gentil sire et gentil roi, véez nous cy six... » Sa femme laissa le silence s'établir, avant de répéter, en y mettant de son gros accent la prononciadon adéquate : « Vé nous chi six!» Elle avait fait un geste pour accompagner sa parole, un ample mouvement circulaire, paume ouverte, doigts dépliés, d'une grâce, d'une noblesse surprenantes. Alors Rodin les vit, tous les six.
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Il remarqua, fichée sur une sellette, une petite tête de femmes sans col, cheveux ras, dégagée d'une motte de plâtre, le menton encore pris dedans. Malgré les traces apparentes du moulage, les bavures conservées, les traits, très caractérisés, étaient d'une extrême finesse.
C'était la jeune fille aux yeux bleu fondé, Camille Claudel, l'assistante du maître. On la reconnaissait malgré les deux mains accolées, figées dans la gangue, qui masquaient en partie le base du visage. Elles étaient ouvertes, doigts écartés, à demi repliés devant les lèvres closes de leur secret.
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Rodin était comme lui.Il avait l'orgueil d'avoir donné une existence dépassant la vie humaine à ce qui n'existait pas, d'avoir lutté avec l'invisible et de l'avoir amené au jour.Claude Monet voyait, frais du néant dont les avait tirés Rodin, les six figures d'hommes pétrifiés comme un défi lancé au monde.

( p.124)
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