Oui, très vite, dans ma vie, j'ai perdu des gens que je connaissais, que j'aimais. Très vite, je les ai vus disparaître.
Tous partis au plus bel âge. Chaque annonce, le plus souvent au téléphone,
est une crucifixion.
Chaque enterrement est une pelletée de terre jetée sur nos amitiés.
Chaque absence une béance. Il m'a fallu du temps, pour accepter de rayer leurs noms dans mon calepin, comme si je ne pouvais pas me résigner à leur défection.
"En 1985, j'ai 18ans.
Ma vie sexuelle vient à peine de commencer, elle est d'emblée marquée du sceau de l'inquiètude et de la nécessaire précaution.
Elle n'est pas gourmande, débridée, comme elle devrait l'être : au contraire, elle est peureuse, frileuse.
Je pense à ceux qui m'ont précédé et qui avaient l'air si joyeux.
Je pense que jamais je ne connaîtrai leur joie insouciante, cet hédonisme, cette légèreté.
Je découvre les étreintes sous le signe de la gravité et de la prudence."
Et je suis convaincu d’une chose : ce ne sont pas des monstres qui ont enfanté le sida mais l’ignorance et le manque d’information.."
Certains jours, j'essaie d'imaginer quels adultes ils seraient devenus, quels prodiges ils auraient accomplis, quelle contribution ils auraient apportée à notre monde bancal et je songe: quel gâchis! Ou bien je me remémore leur fougue, leurs rires, leur beauté et je me dis: quel manque!
Je sais où sont leurs tombes. Je leur rends visite régulièrement.
Aujourd'hui, avec le recul, je suis conscient d'appartenir aux rescapés d'un carnage.
Il est des hommes qui jamais ne partent, jamais ne s'éloignent de leurs racines, finissent où tout à commencé.
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C'est, en effet, à certains égards, le jour 1 de l'épidémie, le premier jour du reste de nos vies.
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