Sur le moment, ses paroles m'avaient juste émerveillé, mais à la différence des chewing-gums, les mots ont plus de goût quand on les mâche longtemps.
Pour la première fois de notre vie, la paume de ma soeur entrait en contact avec mon épiderme sans y laisser un bleu.
« Je n'aime pas le mot « nul », mais tout le monde l'emploie. Il faut bien se faire comprendre. En classe, quand on est nul on est souvent un gros nul. Comme si on devenait obèse à force de se gaver de zéros. Officiellement, donc, en première page de ce journal intime, j'annonce que je rejoins le peuple des mauvais, des médiocres, des besogneux. La bande des gros nuls. Jusqu'à présent, j'étais exactement le contraire. Le genre d'élève à qui les autres – ma grande soeur, surtout – rêvent de flanquer des claques. Dix-neuf de moyenne en générale. Pas vingt, pour qu'on ne me flanque pas. Cette sorte d'individu qui, le sujet à peine distribué, se met à gratter sa copie d'une traite, la rend une demi-heure avant tout le monde et a, en plus, le droit d'aller chercher un livre dans la bibliothèque de la classe pour tuer le temps en attendant que les autres achèvent péniblement leur travail. »
Pourquoi, dès lors, quitter l'Olympe et vouloir dégringoler dans la boue gluante de la nullité ? (Oui, j'emploie ce genre de phrases. J'ai peu d'amis.)
commençons par mes notes : tout va bien. Elles baissent encore. Je n'obtiens la moyenne qu'en sport. Ce n'est pas incompatible avec mon statut de cancre [..]
Je veux parler des raisons pour lesquelles je vais devenir nul. Point à la ligne.
Ma mère est dans tous ses états parce que la fille de son "N+1", Melissandre Boucart, figure dans le liste de mes condisciples. Un N+1,dans le monde des adultes,est un petit chef,à peine plus puissant que vous, mais que l'on regarde comme une divinité redoutable,susceptible de vous ouvrir des portes ou de vous pourrir la vie.
J’ai failli protester, contrarié de voir ma sœur s’attribuer le mérite de ma nullité, si durement conquise.
Les nombres me paraissent plus suggestifs que les mots d'amour. J'adore la rondeur des zéros. Notre idylle est chiffrée.
Contrairement à ce que pense ma mère, je n'entreprends pas ce journal aujourd'hui par plaisir, ni parce que j'entre en sixième demain.