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EAN : 9782374912783
380 pages
Quidam (25/08/2022)
3.66/5   76 notes
Résumé :
Chloé n'a pas de souci. En tout cas, pas vraiment. Même si, bien sûr, elle aborde la trentaine et que la fin du monde approche. Sauf à endosser des problèmes très généraux, trop génériques - absurdité universelle, incommunicabilité, dérèglements en tout genre -, elle ne s'explique pas son mal de vivre. Alors, quand sa thérapeute lui diagnostique un lourd secret dont elle n'avait pas conscience et qu'elle se persuade que ses parents, des retraités épanouis, lui cache... >Voir plus
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«Vos parents vous cachent quelque chose»

Luc Blanvillain nous offre avec Pas de souci une comédie qui va virer au drame, menée par des protagonistes pleins de bonne volonté. À commencer par Chloé qui se dit que consulter une psy est peut-être une bonne idée.

Voilà Luc Blanvillain de retour et au meilleur de sa forme. Après avoir fait une époustouflante démonstration de sa plume allègre et joyeuse dans le répondeur où il imaginait un auteur qui engageait un imitateur pour répondre à ses nombreuses sollicitations téléphoniques, voici donc Pas de souci. Un titre qui ne va pas tarder à révéler sa douce ironie. Car des soucis, tous les protagonistes de ce roman vont en avoir.
C'est d'ailleurs pour tenter de résoudre les siens que Chloé décide de consulter une psy. Dès la première séance la thérapeute va instiller le doute dans son esprit en lui affirmant que ses parents doivent sans doute lui cacher quelque chose. Mais lorsqu'elle débarque chez ses parents pour tenter d'en savoir un peu plus, Jean-Charles et Véronique ont beau chercher, faire de leur mieux pour aider leur fille, ils ne trouvent pas le début du commencement d'un secret.
Maxime, le confident de Chloé, veut aussi aider son amie. Il entend s'assurer qu'elle n'a pas affaire à une manipulatrice et décide de consulter à son tour la psy en question, persuadé qu'elle utilise la même recette vis-à-vis de tous ses patients. Il va pouvoir constater qu'il n'en est rien et se retrouve lui aussi pris d'un doute au sortir de sa consultation.
L'auteur choisit alors de nous conduire à Vinteuil-sur-Iton, village de Normandie d'où est originaire Chloé et sa famille. C'est là que Gérard fait la connaissance de Lucette, une vieille dame qui refuse de se soumettre au projet de ses brus et d'aller en finir sa vie en Ehpad. le quinquagénaire va se révéler un soutien de poids pour sa nouvelle amie, n'hésitant pas à voler à son secours. Car ses visites lui apportent un peu de distraction dans une vie bien terne. Il est certes amoureux de Patricia, son aide-ménagère, mais cette dernière est loin d'être sensible à ses avances. Alors, il noie son spleen dans l'alcool.
Luc Blanvillain va faire converger ces deux histoires dans un final qui va réserver bien des surprises au lecteur, entre quête existentielle, mensonge aux lourdes conséquences et thriller psychologique de haute volée. Sans oublier bien sûr le côté loufoque de la comédie avec ces personnages pleins de bonne volonté, qui ne vont pas si mal, mais qui vont plonger pour un quiproquo, une parole mal interprétée, un geste déplacé dans le drame le plus noir. Il y a du Bertrand Blier ou de l'Albert Dupontel dans ce Blanvillain. Et comme chez les cinéastes, on adore se faire manipuler, se laisser berner jusqu'à cet épilogue machiavéliquement bien conçu.


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Que serions-nous sans le secours de ce qui n'existe pas ? Paul Valéry
Moderne, subtil, irrésistible, « Pas de souci » et sous ses faux airs, un adage : « Apprendre à toujours se méfier » à l'instar de Prosper Mérimée.
Judicieux, trépidant, ce roman est un antidote à la morosité. Luc Blanvillain est un marionnettiste de renom qui tire les ficelles, personnages en action. le rythme soulève la poussière sous le tapis. L'heure est triomphante, captivante, un peu rebelle. Qu'importe les retombées, la chute sera terrible.
L'histoire enfle dans un crescendo qui prend son temps. Tout est calculé, parfait et grandiose.
Dans ce livre, deux familles gravitent. Véronique et Jean-Charles, parents de Chloé et Cécile et Laurent, parents de Maxime. Dans un pas de côté, Patricia, aide à domicile et Gérard, anti-héros, loser et un peu voire beaucoup filou et c'est peu dire, dévoré de sentiments pour Patricia. Les deux familles sont scellées. Éprises et fusionnelles, dans un entendu qui coule de source en quelque sorte. Maxime et Chloé se connaissent depuis leur plus tendre enfance. Les mères sont alliées et confidentes, les pères, mode action, sport commun, foulées de paroles, cadence siamoise. Ils ont déménagé dans un même tempo de Vinteuil-sur-Iton pour rejoindre la capitale. Chloé est l'élément déclencheur. Celle par qui, les murs fondateurs vont vaciller. Chloé est en analyse. Elle rencontre une thérapeute.
« Sur sa vidéo YouTube, la thérapeute sympa présentait ses méthodes avec franchise et naturel… Oui, en vrai, oui, je pense que je souffre un peu… Ses larmes, en lui confirmant le bien-fondé de la consultation, la rassurèrent et lui permirent d'exprimer par saccades quelques-unes de ses difficultés existentielles. »
La thérapeute appui là où ça fait mal. Ses dires vont percer les pages de ce récit. Nous sommes dans une double lecture. Une trame contemporaine, flirtant entre le raisonnable et les psychologies dévorantes et sournoises. « Vos parents vous cachent quelque chose. » Chloé s'interroge. Elle cherche et rassemble l'épars d'un ordinaire bien trop tranquille pour être honnête. Sous les faux-semblants, les conventions, tout est normal et simple. Peut-être l'arbre que cache la forêt ?  « Elle était persuadée qu'aux yeux d Maxime comme aux siens, leurs six coeurs étaient transparents, leurs six vies parallèles. »
Quel est ce secret ? Chloé mène son enquête. Trouve son exutoire dans l'antre familial. Elle bouscule les codes, déplace les meubles, boude, joue à chat-perché. Ses parents cherchent ce secret, ce quelque chose de caché, mais quoi ? Les tiroirs s'ouvrent, claquent, les paroles des uns et des autres vont être révélatrices. Pour l'instant, elles ne sont qu'ombres chinoises, à peine effleurées. Entre le rire et la malice, la gravité des non-dits et des actes manqués, ce roman mélo-dramatique dans l'ombre d'un thriller déguisé est d'une haute intelligence. Dévorant et implacable, il prend le lecteur au sérieux. Nous sommes dans la cour des grands. Dans un décorum de psychologie, de sentiments, le relationnel est dévoilé avec plusieurs degrés de compréhension. Moderne et pétillant, une bulle de savon qui va éclater. Mais quelle prouesse , quel roman agité, délicieux comme un bonbon, sombre et intuitif. Sa morale est un tableau sociologique hors norme. Les hôtes des pages soudés dans le lever de rideau sur leur quotidien qui va (peut-être) vite être une épreuve. Ce livre est une pure délectation ! Sa maîtrise est une gageure. Ce genre de roman qui vous donne le sourire, tout en sachant que la littérature y est souveraine.
Ce puzzle assemblé en pages finales est en fait, quelque part, nos propres secrets enfouis tournés en dérision immanquablement. Il y a dans cette force d'écriture intrinsèque les nuances de nos habitus et de nos convictions . La confiance est parfois un as de pique. Lisez ce livre de suite, bientôt , dans vos nuits d'hiver frileuses et tourmentées, face à vos questionnements ou certitudes, c'est un livre salvateur. Après « Le répondeur » Luc Blanvillain nous offre un lâcher de crayons de couleur et que ça fait du bien ! Publié par les majeures éditions Quidam éditeur.

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"Chloé n'a pas, comme on dit aujourd'hui, d'identité. Elle n'appartient à aucune communauté. Elle n'est pas noire, elle n'est pas homo, encore moins trans (pourquoi encore moins ?), elle n'a pas subi d'agression, elle est affligée de parents aimants et dévoués. C'est pire que tout de nos jours."

Voilà peut-être le remède idéal au blues de la rentrée. Un roman malin, drôle mais pas con, caustique mais pas méchant. Enfin un peu quand même. J'y ai surtout retrouvé l'écho de ce qui m'avait plu dans le premier roman de Luc Blanvillain, Nos âmes seules, une justesse d'observation de notre société, un véritable angle de vue et ce léger décalage qui permet de donner au lecteur une tout autre perspective que par sa lorgnette habituelle. Sans oublier la touche d'humour qui a le mérite de faire passer la pilule en douceur ou en tout cas d'atténuer la douleur. J'ai beaucoup souri, parfois ri, preuve qu'on n'a pas besoin de mettre du rose pour créer du plaisir.

Chloé est le pur produit d'une époque où chacun a besoin de se sentir héros d'une histoire, tout plutôt que la normalité ou l'insignifiance. Puisque les apparences sont si lisses - parents aimants, pas de traumatisme d'enfance, rien, rien de chez rien pour expliquer son mal-être - Chloé se laisse facilement persuader que ses parents lui cachent un horrible secret qu'elle va se mettre en tête de découvrir. Quitte à retourner sur les lieux de son enfance en Normandie ; et même si Maxime, son meilleur ami qui est aussi le fils des meilleurs amis de ses parents n'y croit pas trop. Je ne dirai rien de ce que cette quête va déclencher, juste que la machinerie mise en branle par l'auteur est redoutable de perversité et d'efficacité et que les allers-retours entre Paris et la Normandie regorgent de personnages savoureux (j'avoue un petit faible pour l'ami Gérard) et de scènes mitonnées aux petits oignons.

Ce n'est pas un hasard si Chloé travaille dans l'audiodescription. Elle est chargée de décrire le plus précisément possible les scènes qui défilent à l'écran à destination des personnes mal-voyantes. Elle doit trouver les mots, les expressions précises qui feront naître des images dans l'esprit de l'auditeur. Dans la vie de Chloé il est déjà question d'apparences, de mise en scène et d'angles de vue. Voire d'interprétation. A partir de ce fil rouge, le romancier déroule son intrigue, observe ses personnages agir en fonction de ce qu'ils croient savoir et se délecte de les voir inévitablement s'enfoncer. Au passage, on admire l'art délicat d'égratigner certains comportements que chacun reconnaîtra (ou pas) en fonction de son vécu, de ses névroses et de ses propres fréquentations.

Tout ceci est d'une cruauté réjouissante qui appuie là où le pathétique fait mal et dont on ne ressort pas tout à fait indemne. Mais c'est tellement bien troussé qu'on pardonne tout à Luc Blanvillain.
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Luc Blanvillain est un écrivain espiègle. Après « le répondeur » qui était une merveille de malice (notez qu'il vient de sortir en poche), son nouveau roman met à nouveau en mots l'air du temps et les petites tares de notre société.

Chloé a 30 ans et mis à part qu'elle n'arrive pas à se fixer amoureusement, que l'avenir de la planète est angoissant, sa vie est tout ce qu'il y a de plus banal et de lisse. Un job d'audiodescriptrice, des parents même pas divorcés, zéro problème. Cela n'empêche pas la crise de la trentaine. Elle va donc consulter une thérapeute qui rapidement insinue que ses parents lui cachent un lourd secret.

Ou comment se créer des problèmes quand on en a aucun ! Chloé va vouloir découvrir à tout prix son trauma, trouver le truc dans son enfance qui explique son mal de vivre.
Cette histoire va bien sûr dérailler, pour le plus grand plaisir du lecteur. Sa quête va entraîner mensonges, quiproquos et autres situations réjouissantes jusqu'au dénouement qui tutoie le thriller.

Humour, cynisme, désenchantement, clairvoyance…. c'est auteur est un petit malin qui sait inventer des histoires à plusieurs dimensions. Il y a ici autant de couches que dans un oignon ! En tout cas ça pique, ça mouche et à la fin de l'envoi, ça touche.
Un véritable régal, comme si on avait mixé la série « En thérapie » avec un film de Bacri-Jaoui.
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Aujourd'hui je vais vous parler d'une quête subtile et cynique !
Je me suis régalée! Lire Luc Blanvillain est invariablement une délectation.

« le business plan de la psy était aussi simple qu'efficace. Les clients repartaient nantis d'un lourd mystère qui les rendait uniques, fascinants à leurs propres yeux, passionnants, légitimes et surtout actifs. Au lieu de siroter leur spleen, ils se retroussaient les manches, investiguaient, s'investissaient, passaient au crible leur passé trop lisse. L'astuce ultime résidait dans l'existence presque inévitable d'un lièvre à lever. Certains avaient peut-être même la chance de débusquer au fond d'un placard familier, le plus beau des cadavres. Jackpot. »

Dans son troisième roman, Luc Blanvillain fait à nouveau une observation très juste de notre société en adoptant ce ton décalé que j'affectionne particulièrement chez lui.
Ici, il s'agit de Chloé qui a besoin de se sentir exister, de révéler sa vie, de donner du sens à un mal-être ponctuel et surfait.

"Chloé n'a pas, comme on dit aujourd'hui, d'identité. Elle n'appartient à aucune communauté. Elle n'est pas noire, elle n'est pas homo, encore moins trans (pourquoi encore moins ?), elle n'a pas subi d'agression, elle est affligée de parents aimants et dévoués. C'est pire que tout de nos jours."

Une conviction forte lui sera souffler par sa thérapeute : sa vie ne peut être aussi banale. Un secret familial est très probablement enfoui et le non-dit serait l'explication. Chloé adhère à ce postulat qui va devenir une conviction.
Un processus pervers est déclenché.
Ainsi, elle va réinventer son passé, son enfance, au cours de ses allers-retours en Normandie où l'on sera amené à rencontrer des personnages savoureux et prodigieux comme Gérard, Patricia et Lucette.
La vie de chloé est fondée sur les apparences : une vie sans aspérités, sans péripéties ne peut être et va traquer le moindre prodrome défaillant.
Il va falloir élucider, comprendre, décortiquer pour déconstruire cette harmonie trompeuse.
Démarre une lutte acharnée pour légitimer sa souffrance.

Luc Blanvillain, fin observateur, bouscule, dérègle l'équilibre de chacun de ses personnages avec ironie et intelligence. Il raconte avec clairvoyance, élégance et espièglerie la vie ordinaire.

Devenir le héros de son histoire n'est pas dénué de conséquences : quiproquos, mensonges et un dénouement excellent, burlesque et tragique, sont au rendez-vous.

On retrouve la richesse de la langue, un style travaillé, précis que l'auteur maîtrise à la perfection.
«- Pas de souci. Tu vas bien ?
Jean-Charles détestait cette formule, pas de souci, qui selon lui, infestait tout à la façon des frelons asiatiques, dévorant les anciens vocables, plus précis, plus patrimoniaux, les de rien les qu'importe et je vous en prie.
- Je vais hyper bien.
Cette inflation du vocabulaire ! Ces préfixes boursouflés !»

C'est drôle, cynique, perspicace et c'est à lire !!


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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Gérard était encore complètement à poil. Ça devenait lassant.
— Allez, Gérard, soupira Patricia en accrochant son manteau à la patère, habillez-vous. Je suis là.
— Je le sais bien que vous êtes là, maugréa-t-il.
Elle ne répondit pas. L’exhibitionnisme désespéré du bonhomme permettait au moins à Patricia de procéder à un rapide examen de son anatomie. Depuis treize ans qu’elle le connaissait, son état général ne s’était pas trop dégradé, malgré l’alcool, malgré la nourriture industrielle, malgré tout. Et un peu grâce à elle.
— Il fait glacial, souligna-t-elle.
Elle avait déjà enfilé ses gants et son tablier. Elle s’accroupit pour fouiller dans le petit placard, sous l’évier.
— Je vous avais demandé de racheter de la Javel, Gérard, et du produit pour laver par terre.
Il soupira, frissonna, puis, découragé, finit par s’envelopper dans une vieille robe de chambre.
— Qu’est-ce qui ne vous plaît pas, chez moi, Patricia ? Vous savez que j’ai été mannequin, dans le temps.
Elle avait du mal à le croire, même s’il le lui répétait chaque fois. Mannequin pour les catalogues de la Redoute et des Trois Suisses, dans les années quatre-vingt. Ce n’était pas complètement invraisemblable, quoiqu’aucun témoignage ne corroborait ces allégations. Patricia n’avait pas tout à fait compris non plus comment Gérard s’était retrouvé à Vinteuil-sur-Iton. Les versions fournies par l’intéressé variaient souvent. Selon l’une d’elles, il aurait bénéficié d’un programme de protection des témoins après que toute sa famille avait été tuée par une organisation sur laquelle il était préférable que Patricia en sache le moins possible. Ce dont elle était certaine, c’est qu’on l’avait mis sous curatelle à cause de son penchant pour les spiritueux, qu’il consacrait le plus clair de son temps à salir ce qu’elle avait lavé, et qu’il était amoureux d’elle.
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(Les premières pages du livre)
Chloé n’était pas tout à fait dupe. La thérapeute avait une tête de fille sympa, d’âge intermédiaire, plus vieille qu’elle, mais nettement moins que sa mère. Une tête de grande sœur. De grande demi-sœur. Mais quand même sympa. Ce qui péchait, en revanche, c’était le décor. Chloé ne pouvait se défaire d’une excessive sensibilité à la symbolique des objets, aux intentions des harmonies chromatiques.
La déco du cabinet en faisait beaucoup trop. Trop baroque, trop ethnique, trop syncrétique. Il y avait de la tenture et de l’in-quarto, de la statuette, du poil de chat, du divan. Les rideaux brodés tamisaient en tremblotant la lumière du quatorz¬ième et les simples vitrages vibraient au passage du métro. C’était à deux pas d’Alésia, sur le chemin du boulot, détail qui avait finalement décidé Chloé à consulter cette praticienne plutôt qu’une autre, conseillée par Maxime. Il avait boudé. Le plaisir de contrarier Maxime avait aussi fait pencher la balance.
Sur sa vidéo YouTube, la thérapeute sympa présentait ses méthodes avec franchise et naturel. Elle jargonnait plutôt moins que ses consœurs. Épuisée par sa journée de travail, Chloé avait accordé au petit film une attention rêveuse, soustraite à la lecture simultanée d’un profil Tinder finalement décevant. En fait, elle aimait bien la voix de la thérapeute, même si le montant de ses honoraires – soixante-dix euros la séance – correspondait peu ou prou au salaire quotidien de Chloé.
— À quoi pensez-vous ?
La question surprit la jeune femme, qui avait parfois tendance à oublier que le temps continuait de passer pour les autres.
— Je suis audiodescriptrice, s’entendit-elle répondre.
La thérapeute acquiesça, d’un bref hochement de tête qui fit glisser sur son œil gauche une mèche brune. C’était peut-être la sophistication de ces mèches qui empêchait Chloé d’être tout à fait dupe du décorum. Une femme qui se proposait de stimuler vos cellules par le magnétisme se souciait-elle d’être si parfaitement coiffée ?
Chloé se raidit. Cette ironie-là n’était pas d’elle. Elle la tenait de son père. Cette ironie manifestait l’influence – la tyrannie, plutôt – que son père exerçait sur elle.
Pour se désenvoûter de son père, elle pensa très fort à Maxime.
Maxime jugeait l’ironie presque aussi fasciste que l’emploi de l’imparfait du subjonctif. Maxime était totalement actuel. C’en devenait flippant, par moments. Mais la question n’était pas là. La question était, comment dire, d’adhérer autant que possible à cette séance, de rentabiliser chaque minute. Chloé le sentait bien, elle résistait déjà, digressait, se perdait dans les détails.
— À la base (son père abominait cette expression), j’ai fait des études de lettres. Mais mon vrai but, c’était le cinéma. Le scénario. J’ai eu une opportunité dans une boîte d’audio¬description, vous savez, ça consiste à décrire très précisément les images des films, à l’intention des mal-voyants.
D’un haussement d’épaules, elle renonça à expliquer. Elle aurait souhaité préciser qu’elle ne travaillait pas toujours sur des productions de qualité, loin s’en fallait, des séries, plutôt, des feuilletons, des soaps pour mamies. Pour mamies aveugles.
— Vous souffrez, dit la thérapeute.
Le terme paraissait excessif. C’était juste que la vie était désespérante. Pas la sienne particulièrement, mais elle était née au mauvais moment, juste avant la fin du monde. Certains jours, ça plombait l’ambiance. À la base, elle aimait beaucoup le bonheur et l’avait longtemps envisagé comme une fin désirable. Ses parents, sa mère surtout, l’y encourageaient. À six ans, elle choisissait avec Maxime les prénoms de leurs futurs enfants. Ils s’attouchaient sans complexe, à l’heure de la sieste, tandis que les adultes jetaient des éclats de rire en finissant leurs verres de blanc, sous la tonnelle de la grande villa qu’ils avaient louée pour le week-end à Granville. Cette harmonie s’était rompue aux prémices de l’adolescence, quand ils s’étaient aperçus qu’ils n’étaient mutuellement pas du tout leur genre, en fait. Pour autant, elle n’avait retrouvé avec aucun ni aucune autre une telle intelligence érotique.
La thérapeute semblait examiner les ondes qui modulaient la physionomie de Chloé, au passage de ses pensées. Elle n’était pas impatiente. Forcément, pour soixante-dix balles de l’heure, n’importe qui supporterait de demeurer immobile et silencieux, les yeux légèrement plissés avec effets de chevelure et de bijoux sonores. Pourtant, la preuve paradoxale de sa compétence consistait sûrement dans l’espoir immense qui dilatait le cœur de Chloé, l’espoir que cette femme, malgré ses attributs folkloriques et la ringardise de son site – Maxime en avait frémi de consternation –, malgré son silence, pouvait quelque chose pour elle.
— Oui, en vrai, oui, je pense que je souffre un peu, eut-elle le temps d’avouer avant d’éclater en sanglots providentiels.
Ses larmes, en lui confirmant le bien-fondé de la consultation, la rassurèrent et lui permirent d’exprimer par saccades quelques-unes de ses difficultés existentielles. Non seulement elle ne trouvait pas le sens de sa vie mais, à presque trente ans, elle commençait à douter que la vie en eût un. Les mecs étaient des égoïstes et elle peinait à instaurer avec ses copines la fameuse sororité dont Maxime lui rebattait les oreilles. Oui, Maxime était un ami d’enfance, son âme-sœur, sans plus. Elle avait lu beaucoup de livres sur les sorcières mais se reconnaissait mal dans cette figure ésotérique et, de toute façon, la nature la déprimait un peu. Ses parents s’aimaient trop, depuis toujours, un couple de boomers satisfaits, elle aurait donné ses reins pour eux, quoique, boomer, ça ne voulait rien dire, ils n’étaient pas des boomers, non, ils profitaient de la vie, eux, de leur vie, de la retraite à taux plein.
Elle se tut, soulagée d’avoir fourni, dans le désordre requis, supposait-elle, par la cérémonie analytique, un honnête compen¬dium de ses amertumes.
— Ils vous cachent quelque chose, déclara la thérapeute.
Chloé se redressa dans son voltaire.
— Qui ?
— Vos parents.
Elle s’y était attendue, aux parents. Elle s’était attendue à tout, en fait, et cette psy paraissait résolue à lui en donner pour son argent, se conformant aux stéréotypes dont Maxime décelait partout la sournoise influence. Pourtant, il se passait un truc. Cela tenait peut-être à la voix de cette femme, à la brièveté de son verbe. Une vérité menaçante perçait sous les fanfreluches. Chloé, comme tout le monde, croyait savoir reconnaître la vérité, à la vibration qu’elle produisait quelque part dans son ventre, aux échos qu’elle éveillait.
— Mes parents me cachent quelque chose.
Ce n’était pas une question. La thérapeute ne répondit pas.
Rien de bien révolutionnaire là-dedans, raisonna Chloé. De misérables secrets moisissent un peu partout. Ils festonnent les silences. Ils les infestent. Nous grandissons dans ces cloaques conjugaux dont le mystère n’est jamais aussi passionnant que le prétendent les milliers de livres et de feuilletons pour Ehpad qui font leurs choux gras des cachotteries d’alcôve. Chloé ne comprenait pas la fascination qu’exerçaient ces prétendues énigmes originelles. Bien sûr, elle ne boudait pas son plaisir quand étaient portées à la connaissance du public les dévergondages de quelque idole médiatique. Elle humait avec délice la poussière des statues basculées. Mais elle rechignait à mettre son asthénie chronique sur le compte d’un non-dit traumatisant. Trop facile. Adolescente, elle l’avait espérée, cette invisible plaie qui expliquerait sa nullité en maths, cette lésion de la psyché qui eût avantageusement justifié sa flemme et les heures passées sur le canapé, à regarder le télé-achat. Elle avait même fouillé dans les affaires de ses parents, compulsé les vieux albums-photo, déplié des billets doux remisés dans des chemises poudreuses. Elle n’avait trouvé que de niais aveux, de mièvres confidences enrubannées de périphrases et qui dataient de l’époque où son père faisait à Évreux son service militaire. À tout prendre, elle le préférait caustique. Au surplus, Chloé avait eu droit souvent au récit circonstancié de l’épopée nuptiale. Elle voulait bien admettre que les légendes trop bien fourbies devaient être tenues pour suspectes, mais, même avec la meilleure volonté du monde, il était difficile de soupçonner ses géniteurs. C’était au point qu’elle leur en avait voulu, à une époque, de leur absence d’aspérités. Ses copines, pour se donner de l’épaisseur, puisaient sans vergogne dans les silences d’une mère, dans la perversité manifeste d’un père. Mais ses parents à elle n’avaient même pas divorcé. Son paternel courait tous les dimanches au bois de Vincennes avec celui de Maxime. Sa mère lisait les livres de la rentrée littéraire.
Bon. Mais alors pourquoi l’affirmation de la thérapeute l’avait-elle à ce point bouleversée ?
Elle s’était remise à pleurer, mais différemment. À bas bruit, sans larmes. Vos parents vous cachent quelque chose. Son âme s’était instantanément spasmée. C’était peut-être l’emploi du présent de l’indicatif. Il suggérait une insistance du forfait. Un crime chronique. Une dissimulation active, toujours recommencée.
— Je me doute qu’ils ne font pas souvent l’amour, tenta-t-elle. Ma mère…
La thérapeute secoua la tête. Un instant dispersées, ses mèches reprirent leur place.
— Vous essayez de franchir un obstacle invisible, explicita la psy. C’est ce qui vous épuise.
Chloé rumina la métaphore.
— Un obstacle invisible mais bien réel ?
— Ils vous cachent quelque chose, confirma son interlocutrice. Je vous propose de nous revoir la semaine prochaine. Même heure.

Souffrait-elle vraiment ? Le lundi suivant, il lui sembla que non. Son espace de travail était franchement agréable. En six ans de carrière, elle avait connu deux autres postes. Le triste studio de Levallois, spécialisé dans les archives parlementaires, et une boîte de prod alternative à Pantin, qui débitait de l’animé p
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Chloé n'a pas, comme on dit aujourd'hui, d'identité. Elle n'appartient à aucune communauté. Elle n'est pas noire, elle n'est pas homo, encore moins trans (pourquoi encore moins ?), elle n'a pas subi d'agression, elle est affligée de parents aimants et dévoués. C'est pire que tout de nos jours.
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Trente ans de sauts de puce en voiture, dans cette vie minuscule, pour n'être pas en retard. Trente ans de conscience professionnelle.
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Elle manquait d’expérience, au plan quantitatif, pour trancher si le respect que lui manifestaient ses amants tenait à une simple coïncidence cosmique ou à l’autorité muette que son corps imposait à celui des hommes.
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Vidéo de Luc Blanvillain
------ Luc Blanvillain • le répondeur • éditions Quidam
Coup de d'Alison au rayon Littérature en poche
Baptiste sait l'art subtil de l'imitation. Il contrefait à la perfection certaines voix, en restitue l'âme, ressuscite celles qui se sont tues. Mais voilà, cela ne paie guère. Maigrement appointé par un théâtre associatif, il gâche son talent pour un quarteron de spectateurs distraits. Jusqu'au jour où l'aborde un homme assoiffé de silence. Pas n'importe quel homme. Jean Chozène. Un romancier célèbre et discret, mais assiégé par les importuns, les solliciteurs, les mondains, les fâcheux. Chozène a besoin de calme et de temps pour achever son texte le plus ambitieux, le plus intime. Aussi propose-t-il à Baptiste de devenir sa voix au téléphone. Pour ce faire, il lui confie sa vie, se défausse enfin de ses misérables secrets, se libère du réel pour se perdre à loisir dans l'écriture. C'est ainsi que Baptiste devient son répondeur. À leurs risques et périls.
Disponible sur le site https://www.ombres-blanches.fr/product/28850/luc-blanvillain-le-repondeur ------ OMBRES BLANCHES 50 rue Gambetta & 3 rue Mirepoix, Toulouse Site : https://www.ombres-blanches.fr Instagram : https://www.instagram.com/ombresblanches/?hl=fr ------ #litterature #lucblanvillain #lerepondeur #editionsquidam
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