J'avais découvert la plume d'Ariane Bois avec «
le gardien de nos frères » roman pour lequel j'avais eu un énorme coup de coeur. Avec
l'île aux enfants, l'autrice met à jour un pan d'histoire méconnu pour ma part. J'avais bien entendu quelques bribes, sans jamais véritablement m'y intéresser et c'est un récit glaçant et bouleversant qu'elle nous livre.
Pauline a six ans quand, un matin de novembre 63, elle est enlevée avec sa soeur cadette Clémence, sur l'île de la Réunion où elle habite avec ses parents. La famille n'est pas riche, la maman est blanchisseuse, quand elle le peut, parce qu'elle est de santé très fragile, le papa coupe la canne à sucre sur la totalité de l'île, il ne rentre que le Dimanche, c'est « gramoune », leur grand-mère, qui s'occupe d'elles la plupart du temps. La case est petite, il faut aller chercher l'eau à la rivière, il y a la saison des pluies, il y a les cyclones qui malmènent leur habitation, les repas ne sont pas variés mais la vie est belle, même si elle est dure.
Un matin tout bascule, les fillettes sont enlevées et embarquées dans un avion, avec d'autres enfants, direction la métropole. Emmenées du côté de Gueret, elles sont séparées et adoptées par des familles d'agriculteurs. Commence alors la vie à la ferme pour Pauline qui a peur, qui a froid, qui n'arrive pas à s'adapter et qui ne cesse de penser à sa soeur. le dépaysement est total, rien à voir avec son île qu'elle a quitté, ses parents lui manquent, pourquoi ont-ils accepté qu'elle soit emmenée en France avec sa petite soeur ?
Pauline ne sait pas que ses parents ont été dupés par le gouvernement de l'époque qui voulait repeupler des zones rurales désertées par les locaux et alléger la démographie galopante de l'île. Si certains enfants ont été sciemment abandonnés par leurs parents, d'autres n'ont pas compris et pensaient que leurs enfants étaient envoyés en métropole pour étudier afin d'obtenir une vie meilleure, c'est le cas des parents des fillettes mais Pauline finit bien vite par penser que ses parents les ont abandonnées.
A la ferme elle se lie d'amitié avec Gaetan qui vient lui aussi de la Réunion et qui est là depuis dix mois. Si Pauline a sa propre chambre et va à l'école, Gaetan vit dans d'horribles conditions, comme un animal. Il subit les coups, la privation de nourriture, le froid, dort dans une grange. Il n'a été adopté que pour travailler sans relâche, c'est une main d'oeuvre gratuite pour la famille d'agriculteurs qui ne semble pas en être à son premier coup d'essai. A la lecture des conditions de vie de Gaetan on est sous le choc, c'est inadmissible, révoltant et tellement triste !!!
Gaétan est le seul ami de Pauline, avec lui elle s'apaise un peu et retrouve son île, elle se sent moins seule, ensemble ils vont s'épauler, mais un matin Gaétan, à bout de forces tente de se suicider et Pauline est transférée en ville, dans une nouvelle famille.
Ariane Bois nous embarque dans la vie de la fillette avec ses nouveaux adoptants, ses questionnements, ses bribes de souvenirs et le racisme des autres enfants et aussi des adultes qu'elle doit affronter quotidiennement. Que reste-t-il de son ancienne vie ? il n'y a que sa couleur de peau qui puisse lui rappeler d'où elle vient, ils ont même changé son prénom en Isabelle et désormais elle s'appelle
Gervais, comme eux.
Dans sa nouvelle famille elle tombe gravement malade, des pans entiers de sa mémoire se délitent, tout se mélange, Pauline est jeune, elle s'adapte à cette nouvelle vie mais on ne peut s'empêcher de s'interroger, que se passera t-il quand elle grandira ? ses parents adoptifs ne devraient-ils pas lui dire la vérité ? Pauline finira par se poser des questions, ses parents sont blancs, elle n'a pas la même couleur de peau, comment est-ce possible ?
Quand Pauline, adolescente, découvre, accidentellement la vérité, son univers bascule une nouvelle fois. La colère et l'incompréhension s'installent. Pauline se rend compte que toute sa vie est un mensonge, c'est très déroutant, elle est perdue et part en guerre contre ses parents. Elle se fait du mal aussi.
On oscille entre colère et tristesse, le lecteur est lui aussi très perturbé par cette vie morcelée, ce puzzle dont aucune pièce ne semble vouloir s'imbriquer. On se met à la place de Pauline comment peut-elle se construire et évoluer si sa vie est basé sur le mensonge. N'a t'elle pas besoin de connaître ses racines pour avancer dans la vie ?
Même si on en veut aux parents adoptifs de ne pas avoir tout dévoilé, on a de l'empathie pour eux, ils ont certainement peur de la réaction de Pauline, peur de perdre son amour, pour eux elle est leur fille et ils ont tout fait pour qu'elle le soit. Je suis choquée par le changement de son prénom. Si elle a pris le nom de sa famille adoptive, pourquoi lui avoir donné un nouveau prénom, Pauline était tout ce qu'il lui restait de sa vie d'avant. Quelque part on la coupe totalement de son passé et de ce prénom choisi par ses parents biologiques.
Je poursuis la lecture du roman c'est instructif, ça interpelle et chamboule. Pauline rencontre Marc avec qui elle a une petite fille, Caroline, elle semble avoir dompté ses démons, mais en apparence seulement. On pourrait penser que tout s'arrête là, mais c'est pourtant là que tout commence !
Un matin de 1998, alors que Caroline a déjà 21 ans, elle entend une information à la radio sur les enfants arrachés à l'île de la réunion entre 1963 et 1982. Elle fait tout de suite le rapprochement avec sa mère dont elle sait si peu de choses et, dans le cadre de ses études de journaliste, elle décide d'enquêter, malgré l'opposition farouche de Pauline qui de nouveau se renferme. Caroline a compris que sa mère est liée à cette histoire d'enfants enlevés, elle va tout faire pour trouver la vérité et pourquoi pas, retrouver la famille biologique de Pauline.
C'est une vie d'errance qui nous est racontée, une vie de mensonges, de secrets, de non-dits. Pauline avance comme sur un fil, occultant tout ce qui pourrait la ramener au passé qu'elle a, pour la plupart oublié. de ce qu'il lui reste d'avant, elle a tout enterré. Elle est Isabelle, mariée à Marc, Maman de Caroline, ses parents sont Martine et Jean-Paul
Gervais, son frère s'appelle Aymeric et voilà ce qu'il faut retenir d'elle et ce qu'elle veut qu'on retienne. Quand Caroline décide d'enquêter et de remuer le passé c'est douloureux, il y a des souvenirs qui reviennent, il y a le déni, il y a la culpabilité alors que Pauline est une victime, il y a cette colère en elle parce qu'elle pense que ses parents l'ont abandonnée et il y a ce scandale d'Etat incroyable qui dépasse l'entendement.
C'est un beau roman qui est nécessaire pour comprendre la souffrance infligée à ces enfants et les séquelles qu'ils garderont à vie. Des vies qui ont été volées, des vie qui ont été brisées. Comment un gouvernement a-t-il pu faire ça ? C'est un roman bouleversant qui met en colère. Ce n'est pas une lecture d'été qu'on dévore près de la piscine. On a parfois besoin de lâcher le livre pour reprendre un peu d'air.
Ce n'était pas un moment de détente, mais c'est une histoire qu'il faut connaître. C'est un livre que j'ai apprécié. A noter qu'il a reçu le prix littéraire des jeunes Européens 2020.
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