Aujourd'hui, vingt octobre, Sainte-Adeline, ma fête je frappe un grand coup : j'annonce à mon mari que j'ai décidé de changer de vie.
Attention, « changer », pas « refaire », ce mensonge que l'on s'adresse à soi-même, comme si on pouvait jeter l'ancienne par-dessus bord et recommencer à zéro. Changer, comme on change de maison à la recherche d'un climat différent, d'autres paysages à explorer, horizons à visiter, frissons et émotions à découvrir, sans pour autant renoncer à la première.
N'avons-nous pas tous une revanche à prendre sur cette foutue vie,
cet "horrible fatras", comme l'a écrit Samuel Beckett,
ce fabuleux et trop court fatras ?
Ce sont les petits gestes de rien du tout qui, plus savamment que les grands et les grandes paroles, vous démolissent le coeur
Je ne crois pas au hasard, ni aux coïncidences.
Je crois que le destin ne cesse de nous adresser des clins d'œil, à nous de savoir les déchiffrer pour modifier le tracé d'une vie que je me refuse à penser écrite à l'avance.
Cette chanson qui vous trotte dans la tête, têtue, obstinée (...) Ce quartier loin du vôtre (...) où le même jour, pratiquement à la même heure, deux rendez-vous ont été donnés, ce n'est pas une coïncidence.
Et que dire du tableau de famille, au mur de la chambre de la grand-mère, dont la corde se rompt la veille du jour où celle-ci rendra l'âme ?
L'invisible fait partie du visible.
Comme il est facile de cacher les intimes séismes de sa vie à ceux que l'on appelle ses "proches" alors que, parfois, ils sont si lointains !
Je viens d'avoir dix-sept ans, c'est la terminale. "Et après ?", l'angoissante question que se pose toute la classe, sans compter les parents.
La plupart des élèves sont dans le vague, comme si rien ne les tirait vers le futur. Quelques-uns ont leur idée, une envie, un désir.
Quand Armelle a lancé qu'elle se marierait, aurait beaucoup d'enfants, d'animaux domestiques, et resterait à la maison, les copines ont ri, les garçons ont applaudi. On sait bien que, maintenant, tous et toutes doivent pouvoir gagner leur vie, avoir un métier dans les mains.
Dans mes mains, j'ai ma plume, dans ma poitrine, ma passion.
Avec tout le tact, la tendresse possible, mon père, entrepreneur - ce beau mot - qui travaille dans l'aéronautique et permet aux avions de voler, m'a expliqué qu'écrire des chansons, sauf de très rares exceptions, ne nourrissait pas son homme. D'ailleurs, il n'existe pas d'école pour apprendre ce métier-là.
- Vous autres, préparez-vous à travailler dur !
Comme vous n'avez encore jamais travaillé.
Un grand projet, ca s'habite jour et nuit.
Nous allons monter un opéra.
Désespérées, les héroïnes de ce feuilleton
traduit en d'innombrables langues, dont on dit qu'il a fait le tour de la planète ?
Ou, à l'image de chacun, chacune d'entre nous
qui, quels que soient sa nationalité, son sexe ou sa couleur, hésitons douloureusement entre plusieurs choix de vie, manquons de courage pour regarder nos désirs en face et les assumer ?
J'ai trente-neuf ans, et je décide de m'offrir une nouvelle vie, une vie en plus, quelques années de pause, du temps pour les miens, les mieux regarder, écouter, aimer.
Du temps pour faire connaissance avec une maison où je réside si peu, et aussi, pourquoi pas, du temps pour moi
On ne s’attaque pas impunément aux grands.