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Critique de clesbibliofeel


Dominique Bona a écrit des romans (Malika, Prix Interallié 1992, le Manuscrit de Port-Ébène, prix Renaudot 1998...), mais ce qui décrit le mieux sa vocation, comme elle le dit dans « Mes vies secrètes », ce sont ses biographies. Elle y met toute sa passion, tout son coeur, avec cette capacité à rendre la vie aux personnages du passé que le temps a figés ou éloignés. Dans cette famille choisie – où les femmes tiennent une grande place – apparaîtront au fil du temps : Romain Gary, les soeurs Hérédia, Gala, Stephan Zweig, Berthe Morisot, André Maurois, Camille et Paul Claudel, Clara Malraux, Yvonne et Christine Rouart, Paul Valéry, Jacqueline Gallimard, Colette...

La famille s'agrandit avec Joseph Kessel, l'aventurier qui dévore la vie, et Maurice Druon, son neveu, bâtisseur de légendes. Kessel et Druon écrivaient à quatre mains des poèmes, des chansons (Leib Polnareff, le père de Michel Polnareff au piano…). L'Histoire retiendra d'avoir signé ensemble, en 1943, les paroles du Chant des partisans (sur une musique d'Anna Marly, adapté d'un chant russe très ancien !), à la demande d'un chef de la Résistance, Emmanuel d'Astier, persuadé qu'une guerre se gagne aussi en chanson, parce qu'il faut « un symbole fort et un repère unificateur ».

Le livre est un beau pavé et une fois encore le style enlevé de l'autrice m'a emporté. Équilibre des chapitres, musique égale et fluide permettent d'entrer rapidement dans les destins singuliers de ces célébrités dont la mémoire s'efface peu à peu. Elle parvient à nous les rendre proches. L'intérêt de lecture est augmenté à la découverte, pour moi, d'une femme remarquable, vedette de la chanson, actrice, résistante héroïque, injustement oubliée : Germaine Sablon. C'est elle qui a chanté pour la première fois le Chant des partisans. de second rôle, elle éclipse même souvent les deux grands hommes. le choix de Germaine Sablon est clair, elle déteste la guerre mais ne veut pas rester sans rien faire alors que ses deux fils sont au combat… Elle s'engage dans l'Ambulance Hadfield-Spears, service chargé de récupérer et soigner les blessés à proximité des premières lignes de combat. Elle participera, en mars 1945, à un gala présidé par De Gaulle, au théâtre des Champs-Élysées, au côté de Joséphine Baker. Elle sera « la plus décorée des artistes de variétés » : médaille de la Résistance, croix de guerre et Légion d'honneur.

Opposition de style mais proximité et amour pour la vie, Kessel et son neveu Druon ont mêlé leur vie d'un bout à l'autre, tous les deux écrivains et académiciens. Pourtant des caractères bien différents. Dominique Bona n'a pas les mêmes mots pour l'un et l'autre, tout en gardant la bienveillance, la douceur que j'aime chez elle. C'est un Druon « peu porté à l'indulgence » dont l'auteure rapporte les affirmations en les accompagnant d'une ironie contenue « il le dit lui-même avec son habituelle modestie » alors que Jef a une vie « romanesque et fiévreuse, aussi généreuse que son oeuvre ».

L'architecture du livre est remarquable avec ce chapitre d'introduction lançant le récit comme le roman d'aventure qu'il est, en partie. L'auteure se met dans les pas du baroudeur, grand reporter, romancier prolixe, Joseph Kessel qui prend le premier rôle dès le départ. Décembre 1942, deux jours avant Noël, une nuit sans étoiles, Kessel et une de ses deux maîtresses, Germaine Sablon, accompagnés de Maurice Druon et d'un passeur, gagnent à pied l'Espagne, et ensuite la France libre via le Portugal. Jef, comme il se fait appeler, a 44 ans et Maurice 20 ans de moins. Tous les deux sont écrivains, avec une oeuvre beaucoup plus fournie et célébrée pour le plus âgé. Autour de ces péripéties marquant leurs vies respectives d'un tournant décisif, viendront ensuite le récit de leur généalogie compliquée avant de dévoiler leur destin d'après guerre, dans une alternance qui va d'un personnage à l'autre sans hacher le texte. La fin du livre est consacrée à Maurice Druon, décédé en 2009, trente ans après Jef Kessel, comme une dilution des rêves enflammés…

Je me suis demandé comment elle avait fait pour que le lecteur ne soit jamais perdu dans la multitude de personnages et évènements relatés dans le détail, cette précision donnant une crédibilité à l'ensemble. Il y a là un travail considérable et je me suis posé la question du temps à passer afin de réunir autant d'informations et les organiser ainsi. le résultat est très impressionnant ! J'ai découvert une foule d'informations peu connues. Par exemple que Henri Bergson et Vladimir Jankélévitch s'étaient vu proposer un statut d'« Aryen d'honneur », une catégorie de « bons juifs » qu'ils avaient refusée... Que Les Rois maudits de Druon ont inspiré Game of Thrones... J'ai pu imaginer la vie de ces français exilés à Londres, avec la diffusion d'émissions quotidiennes de radio auxquelles participe Maurice « en dilettante », dit l'auteure, ajoutant même : « Druon eut-il un véritable rôle ? Rien n'est moins sûr. » Toujours cette retenue par rapport à un personnage prompt à bâtir lui-même sa légende !

Je remercie le site Babelio et les éditions Gallimard pour cette lecture qui constitue une somme passionnante sur le rôle des artistes, autour d'une période tragique et héroïque de l'histoire récente. Seule Dominique Bona pouvait parvenir à écrire un tel récit où elle nous dit pudiquement, entre les lignes, ses rêves et sa façon d'être au monde.
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Chronique complète avec illustrations (composition photo personnelle + le chant des partisans par Camélia Jordana + La complainte du partisan par Anna Prucnal sur Bibliofeel. Lien direct ci-dessous :
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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