En - 218 avant JC, Hannibal franchit les Alpes cet épisode est passé à la postérité tant par les auteurs antiques que des écrivains plus modernes.
Moins connu le franchissement des Alpes par Leone Allacci près de 1800 ans plus tard. Mais quelle aventure !!!
Et quel livre que celui d'
Hélène Bonafous-Murat !!! Un délicieux cocktail de savoirs, d'aventures, d'émotions et de réflexions...
1623 : Leone Allacci reçoit des instructions très fermes de Nicolò Alemanni, conservateur de la Bibliothèque vaticane, qui l'avait recommandé au souverain pontife de l'époque, Grégoire XV, pour mener à bien une entreprise colossale : emporter autant d'ouvrages que possible du contenu de la bibliothèque Palatine d'Heidelberg, connue pour être la plus importante collection du nord des Alpes, les transporter et les rapporter à Rome.
Ce sont un peu moins de deux cents mules, cent quatre-vingt-seize caisses en comptant les douze qui lui appartiennent, deux cents mousquetaires et une cinquantaine d'ouvriers et de paysans, femmes et hommes, qui vont se mettre en route. Et braver les éléments, le froid, le relief, l'animosité dans les villes et villages traversés, les attaques d'hérétiques. Trouver des subterfuges pour emmener le plus d'ouvrages possibles, éviter d'en perdre, et quand il en perd essayer de les retrouver. Et au milieu de cette agitation, la transmission du savoir à Lotte, la couturière qui a soif d'apprendre.
Cette histoire nous est contée à Rome en janvier 1669 par Allacci lui même alors qu'il est sur le point de quitter ce monde. Comme il le dit lui-même en feuilletant dans le livre de sa mémoire fatiguée les bribes qui lui restent du philosophe
Héraclite : "L'harmonie du monde provient des forces contraires comme celle de la lyre et de l'arc."
Tout l'univers des arts et des sciences qu'il a transporté pendant six longs mois, contre vents et marées, par les vallons et les montagnes escarpées, dans des carrioles de fortune puis à dos de mulets, ne servit de rien contre les seules vraies forces qui menaient le monde et menaçaient sa route : da vie n'était qu'un flux impermanent et agité. Autour de lui c'était la guerre.
Ses paroles sont d'une telle lucidité :
"Si ma vie mortelle devait être résumée de la sorte par un géographe, elle dessinerait un hasardeux parcours à la surface de la Terre, dans lequel je ne sais si quiconque trouverait un sens : de l'île de Chios à la Calabre, puis à Rome. Un bref retour à Chios, puis en sens inverse, Rome de nouveau. Soudain, le tracé s'agite et se fait dense, tortueux : il va vers Heidelberg, avec des haltes en des contrées inconnues, et en revient laborieusement à travers vallées et montagnes ; puis c'est de nouveau la paisible Italie, et Rome, où tout s'arrête. de là je ne bougeai plus."
Mais surtout empreintes d'une magnifique émotion et d'une sensibilité sans égale :
" Mais ce tracé ne sera jamais dessiné : il n'en restera rien de plus que la poussière attachée à mes semelles qui s'envola au vent. Par mes écrits et les efforts incessants de ma plume, j'ai tenté de laisser une autre trace sur le papier. Vanité : mon nom survivra un temps, mes mots seront lus, avant d'être oubliés et remplacés par d'autres, semblables à ces temples effondrés sur les ruines desquels on a bâti les cathédrales. Et de ce qui fit vraiment battre mon coeur, nul ne saura plus rien."
Et bien grâce à la plume d'
Hélène Bonafous-Murat il en reste un magnifique témoignage, un fabuleux récit, et un ÉNORME coup de coeur livresque.
Pour clore cette critique,
Héraclite disait : "Les hommes sont des divinités mortelles, et les dieux des hommes immortels vivant de notre mort, mourant de notre vie", il me semble que cela correspond à la vie qui fut celle de Leone Allacci, en tout cas, à mon sens, elle lui rend hommage.