Rencontre avec Hélène Bonafous-Murat autour de son ouvrage "la caravane du pape" aux éditions le Passage.
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Les becs de gaz conféraient à la ville une allure fantomatique. Dans leurs pâles halos, des filles usées attendaient en vain le client en sautillant pour se tenir chaud et en soufflant sur leurs mitaines de dentelle crasseuses.
Toute vraie création vous ramène à vous-même, elle vous fait plonger en votre être profond, là où le corps vibre... Le reste n'est que vide inutile.
- "Police partout, justice nulle part", glissa Charles. C'est ce que disait Victor Hugo avant de partir en exil.
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C’est un bien étrange texte que vous avez choisi, fit-elle. Je ne l’aime pas beaucoup.
Pourquoi donc ? lui demandai-je, abasourdi.
Jamais encore elle n’avait aussi directement questionné mes choix, encore moins émis de critique.
Les larmes ne sont pas une bonne chose. Et elles ne sont pas toujours le signe d’une faute. Si je pleure, c’est plutôt en raison du tort qu’on m’a causé. Non pas pour expier.
Le Christ nous enseigne le vrai repentir. Sous ses yeux nous devons nous faire humbles car nous sommes pêcheurs. C’est là le sens de ce texte.
C’est absurde ! Car il y a beaucoup de grands pécheurs qui n’ont jamais versé une larme sur leurs forfaits, et qui continuent de les commettre en riant, pire, en en tirant gloire et fierté ! Et tout cela, ils le font au nom de Dieu, et sous son regard bienveillant qui ne les châtie jamais !
La colère était emparée d’elle. Je n’avais jamais vu une chose pareille. Elle se leva, bousculant le tabouret sur lequel elle était assise qui se renversa, et me quitta sans même le relever, en me jetant :
Vous êtes un homme cruel. On voit bien que vous n’avez jamais versé de larmes dans votre vie !
Je demeurai interdit, incapable de comprendre ce qui avait pu susciter en elle un tel émoi. Quelques jours plus tôt, nous lisions encore paisiblement de concert, penchés sur les ouvrages qu’elle déchiffrait avec ardeur l’oeil brillant du savoir que je mettais à sa porté. Aujourd’hui, elle jetait violemment les pieuses instructions de saint Ambroise, qui pourrait l’avait sauvée des griffes de la mort. Fallait-il que les abeilles l’eussent contaminée d’un venin redoutable, et que celui-ci eût empoisonné son âme !
J’alternai toute la nuit entre indignation, désarroi et consternation. Je me sentais démuni. A la lueur de ma chandelle, je me replongeai dans la caisse et en extirpai d’autres écrits de saint Ambroise. J’en trouvai un qui me rasséréna un peu. Il y démontrait que c’était par la femme qu’avait débuté le mal et qu’avait commencé le mensonge. Il citait Paul, pour qui elle avait été l’agent de la faute, conduisant l’homme au péché. Peut-être l’injonction à verser les larmes du sincère repentir avait-elle touché en Lotte la femme originelle, l’Eve qui s’y cachait ? Ambroise poursuivait en empruntant à Philon : il distinguait entre l’intelligence, apanage de l’homme, et la sensibilité, qui caractérisait la femme. La seconde devait se soumettre à la première, comme l’épouse à son mari. Car placée sous l’autorité d’un être plus fort, elle devait se laisser gouverner par ses conseils. De la même façon poursuivait Ambroise, l’Eglise devait se soumettre au Verbe de Dieu. Car tel était Son dessein, et l’ordre qui forgeait la paix et la sainteté sur Terre.
N’était-ce pas ainsi que j’avais dirigé mon enseignement, amenant mon élève vers la lumière de la connaissance ? N’avais-je pas cependant commis une erreur, oubliant qu’elle n’était qu’une femme, en conséquence gouvernée, non par la raison mais par ses sens ? Déjà les auteurs grecs l’avaient compris. « Tu ne peux pas gouverner par raison une chose qui n’a en soi ni raison ni mesure », avais-je lui dans Térence. Et, puisant dans les maximes consignées par dizaines dans le magasin de ma mémoire, d’Ovide à Salomon, d’Hésiode à Aristophane, je me convainquis sans peine que je n’étais point en faute, et que Dieu m’avait seulement confronté à la nature changeante et incontrôlable de la femme.
Depuis son amputation, il avait par nécessité fait porter tous ses efforts de ce côté. Cela lui donnait un air déséquilibré. Mais que pouvait-il y faire ? Il enfila sa chemise dont il attacha la manche droite avec une épingle à hauteur de la poitrine. Il ne servait à rien de prétendre dissimuler le vide.
Je contemplai les montagnes de caisses sur les gabares et, au lieu d'en tirer la satisfaction du travail accompli et de la reconnaissance qu'elles me vaudraient, je fus envahi par le doute et le découragement : quand bien même lirais-je tous les livres du monde, quand bien même les apprendrais-je tous par cœur, mon âme resterait ce curieux puits sans fond que rien ne saurait jamais vraiment combler et qui ne connaîtrait jamais la paix.
Là d’où je viens, c’est la terre qui compte, plus que les gens. Il faut toujours penser à son bien, à le préserver, à l’agrandir. Et il n’y a pas de pitié pour les faibles. Au moins, à la ville, c’est différent. Chacun a sa chance. Reg arde ton patron : il a misé sur toi, et il a eu raison.
Le démon me souffla alors une de ces rêveries abominables dont il avait le secret : ma poitrine, mon dos, mes bras, mes jambes, et jusqu'aux parties les plus inavouables de mon être devenaient ce parchemin sur lequel elle faisait courir sa plume agile, me recouvrant de savantes périodes et de sentences profondes, chatouillant mon épiderme de ses caresses, susurrant les mots à mesure qu'elle les écrivait, enrobant mon âme et mon enveloppe mortelle de toute la douceur et de tout le savoir du monde. Je touchais à la perfection de l'existence . ( p. 298).
" Mais quelle comparaison peut-on faire entre les plus beaux livres et le cerveau d'un homme savant ? Sans doute ce cerveau est un recueil infiniment plus précieux et d'une belle invention que le livre. C'est dans ce petit réservoir qu'on trouve à point nommé toutes les images dont on a besoin. On les appelle; elles viennent. On les renvoie; elles se renfoncent je ne sais où...(...)"- Fénelon, Démonstration de l'existence de Dieu
Avant de replonger dans les ouvrages sortis des caisses que le charron avait bien voulu ouvrir une fois de plus à ma demande, Lotte me demanda de lui conter la vie de ce saint qui savait apprivoiser les oiseaux. Elle m’écouta avec attention, subjuguée.
– Je voudrais moi aussi parler la langue des oiseaux. Il me semble qu’elle ne connaît pas la méchanceté des hommes.
– Cette grâce n’a été donnée qu’à ce grand saint. Il parlait à toutes les créatures que Dieu a faites, du loup au renard, de l’aigle à l’ours.
– N’est-ce pas là ce qu’on appelle le jardin d’Éden ?
Je dus lui réexpliquer que le paradis terrestre était une réalité fort lointaine, que l’histoire de l’homme avait commencé avec sa chute et son éloignement de Dieu, qu’il devait depuis lors expier. Elle parut déçue.
– Tout de même… Je ne comprends pas que l’on dise des méchants qu’ils se comportent comme des bêtes. Jamais un animal n’aurait fait ce que j’ai vu certains faire.