Il ne pouvait expliquer à cet enfant si petit, si ignorant, qu'il avait enfin trouvé la force de s'arracher à sa propre enfance et que, s'il ne partait pas maintenant, il ne pourrait jamais devenir un homme. C'était comme ça : cruel et nécessaire.
Luis vint s'accroupir à ses côtés.Sans comprendre la raison de ses pleurs, il éprouva une compassion extrême;Quoi, cet homme, cette brute, ce type inculte et taciturne pleurait!
Les choses de ce monde étaient donc si étranges que l'on l'on puisse assister à pareille scène?
En regardant cet assassin d’hommes essayer de sauver à tout prix la vie d’une vieille chèvre, Paolo se sentit comme happé par un tourbillon. Comment de telles choses étaient-elles possibles dans ce monde ? Comment pouvait-on comprendre l’univers si on ne comprenait même pas les agissement de ceux à côté de qui on vivait ?
Sans aucune notion du temps, crachant et criant dans l'obscurité, malade de lui même et du monde ; à cet instant, il aurait voulu être un autre!
N'essayez pas, lui recommanda Ricardo.
S'il y a une chose que la vie m'a apprise, c'est accepter le bonheur, même le plus fou, le plus impensable qui soit.
Acceptez le bonheur et faites silence.
Toutes les questions que vous vous posez sont vaines ...
Il y a des métamorphoses très discrètes, poursuivit le vieux bûcheron.
Celles qui se passent dans notre âme, par exemple, ne sont pas toujours visibles.
J'aime les métamorphoses, soupira t-il en faisant tourner le vin dans son verre.
Le bois qui devient livre.
L'hiver qui devient printemps.
Le raisin qui devient vin.
Paolo possédait quelque chose d'inestimable : un endroit sur cette terre où il était vraiment chez lui et qui, par sa rudesse, remettait d'emblée l'homme à sa juste place dans l'univers. (p.224)
Et soudain, les violons envahirent la pièce, tous ensemble, avec les violoncelles. C'était une note étirée, appuyée par les pulsations lentes d'un orgue d'église.
Paolo ne bougea pas.
Les cordes ondulèrent, montèrent, descendirent, tournoyèrent, s'élançant et se croisant, tandis que l'orgue poursuivait sa marche grave et lente de cortège funèbre. Cette musique semblait mélancolique et pleine d'espoir à la fois. Terrestre et céleste, pesante et légère ; elle résumait à elle seule tout ce que Paolo avait compris de la vie ces derniers temps.
Il tremblait, assis sur sa chaise, le regard brouillé.
Dans les notes de cette musique il reconnaissait la douceur de son renard, la chaleur de la brebis, mais aussi la trahison de Luis, et toutes les pierres, toutes les caillasses des chemins qui vous font trébucher et qui vous fatiguent. Il ne voyait plus ni Angel, ni Ricardo, ni les meubles de bois ciré, ni les bougies. Les souvenirs surgissaient devant lui, au gré de la musique, comme si chaque note était un hameçon qui repêchait les choses enfouies dans son âme et les sortait de lui. Comme s'il était devenu une mer, une rivière."
L'existence, c'était ça : la naissance incertaine de l'aube, le souffle d'un enfant endormi, et un homme aux grosses mains d'assassin, assis dans le noir, en train de souffrir.