Citations sur L'Heure présente/La Longue Chaîne de l'ancre/Le Digamma (14)
"Mon nom n'en finit jamais, dit-elle. Quand ma nourrice vient me réveiller le matin, cela lui prend si longtemps pour dire mon nom qu'il y a toujours quelque chose pour l'interrompre. Et moi je n'entends donc pas tout mon nom, et je ne sais donc pas tout ce que je suis [...]"
LE PEINTRE DONT LE NOM
EST LA NEIGE
II
Ce peintre qui est penché sur sa toile, je le touche à
l’épaule, il sursaute, il se retourne, c’est la neige.
Son visage est sans fin, ses mains sans nombre, il se
lève, il passe à gauche et à droite de moi, et au-dessus
de moi par milliers de flocons qui se font de plus en
plus serrés, de plus en plus clairs. Je regarde derrière
moi, c’est partout la neige.
Son pinceau : une fumée de la cime des arbres, qui
se dissipent, qui le dissipent.
p.82
LA DÉRISION DE CÉRÈS
Par amitié pour les mots de sa fièvre
Il regarda par la vitre embuée
De son sommeil. On se parlait, dehors,
Il entrouvrit sa porte, il faisait nuit.
Ah, peintre, qu’est-ce donc que cette main
Que tu prends dans la tienne quand tu dors,
Pourquoi la retiens-tu, cette main d’enfant,
Comme si sa pression te délivrait
D’une peur qui ravage tes images ?
Moi, je rêve que tu en guides la confiance,
Jusqu’à celle qui juge, qui condamne,
Mais qui aime, et qui souffre. Que tu réconcilies
L’enfant et le désir. Qu’il n’y ait plus
D’étonnement dans l’un, de vindicte dans l’autre.
p.112
UNE PIERRE
Il voulut que la stèle
Où graver la mémoire de ce qu’il fut,
Ce soit une des plaques de safre clair
Qu’il remuait du pied, dans le ravin.
Leurs entailles, leurs mousses rouge sombre,
Ce désordre qui fait, indéchiffrable,
Que chacune est unique, bien que la même
Que toute autre : ce serait là son épitaphe.
Il rêva, il mourut. Où est sa tombe?
Passant, si tu te risques sur ces pentes,
Percevras-tu les mots qu’il crut porter
Dans la pierre gélive? Entendras-tu
Sa voix, parmi ces bruits d’insectes ? Pousseras-tu
D’un pied distrait sa vie dans plus bas encore ?
p.125