Citations sur Le pays oublié du temps (33)
Il avait toujours pensé que les gauchers étaient plus intelligents que les autres, ou du moins qu’il portaient un autre regard que le commun des droitiers sur les êtres et les choses.
(Actes Sud, p.88)
Une main dépassait de la manche du veston. Une main crochue et froide. Une main que la vieillesse avait lentement séchée.
Michel de Palma recula de deux pas, l’esprit tout chamboulé. L’homme était mort dans son fauteuil. Un masque de fibres végétales, dont la forme dessinait un cœur rouge, cachait son visage. La couleur avait passé. Deux yeux blancs, fantastiques, saillaient, grands ouverts et séparés par une cloison noire. D’une bouche en losange pendaient des filaments blancs.
— Quelle est ta mort ? s’interrogea de Palma à voix haute.
« J’aime celui qui rêve l’impossible …» cria-t-elle dans le souffle salé. C’est une phrase de Goethe.
(Actes Sud, p.108)
- Va falloir se touiller les méninges, ce ne doit pas être bien compliqué. Paulo n'a jamais préparé Polytechnique et encore moins l'école des télécoms...
- Ça risque de prendre du temps parce que nous non plus !
— Cet homme sur la rive, entre ces deux grands sagoutiers. Il porte un grand collier de cauris, tout blanc ! Tu ne l’entends pas ?
— Non.
De ses yeux de chasseur, le guide scrute la rive. Rien ne peut lui échapper.
— Je ne vois personne.
— Regarde mieux… Il court sur la berge.
— Il n’y a personne, Robert. Personne.
Kaïngara enfonce sa pagaie dans l’eau noire et pousse de toutes ses forces, comme s’il voulait fuir.
— Ferme tes yeux, Robert. Un grand malheur pèse sur celui qui voit un esprit.
Ballancourt ferme les yeux. Il frissonne malgré la chaleur.
Sur la rive, un guerrier observe les étrangers, sa coiffure de plumes d’oiseau de paradis, carmin et or, vibre dans le vent léger. Il a peint son visage de traits jaunes et rouges très vifs, le reste de son corps est enduit de graisse de porc noircie à la fumée. Il lève sa lance dans leur direction et jette des imprécations.
— Qu’est-ce qu’il crie ? demande Ballancourt.
— Qui ? interroge à son tour Kaïngara.
— Cet homme sur la rive, entre ces deux grands sagoutiers. Il porte un grand collier de cauris, tout blanc ! Tu ne l’entends pas ?
— Non.
Au loin, entre les maisons montées sur des pilotis faméliques, un chant étrange perce le rideau des cris d’oiseaux. Des lamentations de femmes. Un clan est en deuil. Un homme important est mort.
— Il faut partir à présent ?
— Oui, dit Kaïngara d’une voix obscure.
Cette nuit, deux guerriers prendront le relais des femmes et joueront des flûtes sacrées, ces longs tubes de bois qui produisent un son aigre et ensorcelant. La voix des esprits.
— Est-ce qu’une tête coupée possède un pouvoir ?
Big Man ferme ses yeux cernés de rouge et inspire profondément.
— Pour eux, oui, répond Kaïngara. Grâce à elle l’esprit cesse d’errer. Il retrouve l’apparence humaine. Big Man dit qu’il te la vends parce que les missionnaires nous interdisent de posséder ces objets et veulent qu’on les détruise.
— Et celle-ci ? demande Ballancourt en désignant un crâne beaucoup plus élaboré.
— C’est une tête d’ancêtre, répond Kaïngara sans traduire. Sans doute un Big Man de la même importance que celui qui nous accueille. Elle est beaucoup plus belle.
Un œil est sculpté à partir d’une spirale, un autre fait un trou parfaitement rond. Des traits de peinture noirâtre, fins comme des tatouages, partent de la base du nez et des commissures des lèvres et remontent en de grands motifs sinueux jusqu’au haut du front. Kaïngara explique que ces traits rappellent les tourbillons du fleuve Sepik, l’endroit où demeurent les esprits.
Les anciennes pratiques ont disparu, mais pas les rancœurs.