Le repas terminé, la comtesse se leva et prit sa canne pour se rendre à sa chambre. Je la rattrapai dans le couloir.
« Excusez-moi, j'ai quelque chose à vous dire en secret. C'est exact, je ne viendrai pas cette nuit, mais, en quelque sorte, je mettrai quelqu'un à ma place.
- Un de vos camarades?
- Un magnétophone.
- Mon Dieu! qu'est-ce que c'est? J'ai entendu ce mot; je ne sais pas ce qu'il désigne.
- Un appareil qui enregistre tous les bruits... qui captera la voix du fantôme.
- Et en quoi cela me protégera-t-il?
- Si l'inconnu reparaît, si la bande magnétique enregistre sa voix, cela nous aidera à percer le mystère. »
Je devais avoir l'air convaincu car la comtesse poussa un soupir de soulagement.
« Et ce... ce magnétophone, comme vous dites, où le mettrez-vous? D'abord, est-ce volumineux?
- Pas plus gros qu'une boîte à sucre. Je le placerai tout à l'heure sous votre lit. Vous n'aurez pas à vous en occuper... Un conseil : laissez la porte de votre placard et celle de l'armoire entrouvertes. »
La vieille dame ouvrit des yeux étonnés :
« Pourquoi?
- Pour que le fantôme sache bien qu'il n'y a personne avec vous. Il se méfie, à présent, après ce qui s'est passé la nuit dernière! A quelle heure vous levez-vous le matin?
- Je suis matinale comme la plupart des vieilles gens... Vers sept heures.
- A quel moment votre servante fait-elle votre chambre?
- Après avoir servi les petits déjeuners vers neuf heures.
- Alors, je viendrai reprendre l'appareil vers huit heures, mais pas un mot, n'est-ce pas? »
La pauvre femme ne comprenait pas ce que je voulais faire. Elle ne sut que maudire cette boîte de conserve qui avait rendu mon chien malade et la privait de ma présence. Elle se résigna tout de même à aller se coucher. Un quart d'heure plus tard, je vins placer le magnéto sous son lit. Après quoi, je rejoignis mes camarades.
« Pourquoi tiens-tu à enregistrer la voix du fantôme? me demanda Bistèque. Elle a quelque chose de particulier? Tu penses reconnaître quelqu'un?
- Je voudrais que vous l'entendiez, vous aussi. Tous les cinq ensemble, nous découvrirons peut-être quelque chose...
- Quoi? »
Je pris prétexte des soins à donner à Kafi pour me taire. Le remède conseillé par le vétérinaire, administré sous forme de gouttes diluées dans de l'eau, commençait à faire son effet. Kafi était moins abattu; ses nausées s'estompaient. A plusieurs reprises, il avait essayé de se lever, mais il tremblait encore sur ses pattes. Je lui fis une place sur mon matelas, à côté de moi. Nous avions si peu dormi, les nuits précédentes, que nous tombions de fatigue. Gnafron, le premier, sombra dans le sommeil, ronflant presque aussi fort que la comtesse...
Nous dormions tous profondément quand des coups frappés violemment à la porte nous firent tressaillir. D'un bond, nous fûmes tous debout. C'était Jacqueline, échevelée, en robe de chambre, qui appelait encore à l'aide.
« Venez vite! Le fantôme! Mme Mathilde vous demande. La comtesse se trouve mal... »
Chapitre premier
Une curieuse photo
J'avais rendez-vous avec les autres compagnons dans notre fameuse "caverne"
de la Rampe des Pirates, au coeur du vieux quartier de la Croix-Rousse. Je dégringolai les cinq étages de mon immeuble, rue de la Petite-Lune, en compagnie de Kafi, le chien loup que j'avais eu tout petit et que mes camarades et moi avions dressé en chien policier.
"Qu'est-ce que ça représente? demanda la Guille, avec son air ingénu.
-Comment?... Tu ne vois pas?... Un fantôme!..."
La photo, probablement prise de loin et ensuite très agrandie, était cependant assez nette pour qu'on put reconnaître, entre les arbres bourgeonnants d'un parc ou d'une forêt, un de ces fantômes qu'on voit en image ou dans les cauchemars, silhouette claire sur la forêt sombre, avec deux trous noirs à l'emplacement des yeux.