Flora Boukri a choisi de dépoussiérer certains mythes de l'antiquité grecque dans lesquels des figures féminines apparaissent : Ariane (celle du fil bien sûr), Penthésilée (reine des Amazones), Méduse (aux cheveux de serpent).
Dans ce premier tome sur Ariane, je dois avouer mon admiration pour l'intelligence avec laquelle ce récit est raconté : je l'ai trouvé assez peu conventionnel – et en cela rafraichissant et stimulant - sans pour autant être d'une originalité exceptionnelle.
La forme de la narration est assez classique : trois parties dans lesquelles un personnage prend le rôle de narrateur chacun à son tour : Ariane, Thésée puis Pasiphaé (la mère d'Ariane – et du Minotaure bien sûr). Des intermèdes sont pris en charge par Dionysos.
Les noms utilisés sont les noms grecs écrits à la grecque et/ou selon leur prononciation grecque (Ariadnê, Phaidra, Théséus, Dionusos), d'où parfois une accentuation qui peut sembler étrange. Cela colore le texte d'un certain exotisme et ravira sans doute, si ce n'est les élèves, au moins les enseignants de langues et civilisations de l'Antiquité et les quelques jeunes passionné.es ;-)
Ce que je trouve remarquable, c'est le fond de l'histoire, ses péripéties, la nature, les pensées et la destinée des personnages, qui sont fondés sur une connaissance précise et réfléchie de la mythologie et de l'histoire grecques, d'où un arc narratif que j'ai trouvé assez inattendu, sur lequel j'ai parfois un peu grincé, mais qui au final m'a conquise grâce à la dernière partie.
Flora Boukri propose une vraie relecture du mythe de Thésée et le Minotaure avec son fil d'Ariane, qui désarçonnera sans doute certains lecteurs mais cette version pose intelligemment et réellement, en mettant Ariane au centre, la question du statut de la femme, de la fille, dans sa famille, dans sa lignée, dans les carcans sociétaux. Je trouve que c'est fait de manière assez douce et subtile, pas revendicative ni belliqueuse, ce qui est agréable.
On peut prendre cette jeune fille comme exemple de femme forte, ce qui est très dans l'air du temps, mais elle ne se départ pas de sa dimension mythologique, si bien que ce roman a une vraie valeur sur le plan de l'étude de l'histoire et des mythes, amenant même à interroger sur des problématiques très liées à l'Antiquité (même si on peut également les considérer de nos jours), telles que la nature divine, l'idée de destin, l'importance des rites, la notion d'honneur, de « patriotisme » etc.
Par ailleurs, l'autrice fait régulièrement référence aux vestiges archéologiques de la cité de Knossos (architecture et fresques) pour peindre son décor, je vous conseille donc vivement de faire quelques recherches au préalable pour mieux comprendre, voir et profiter de cette oeuvre – à moins que ce ne soit en cours de lecture ou en prolongement – de ce fait, cela me semble un excellent support pour étudier avec des élèves, cher.es collègues de LCA ;-)
En résumé : une réécriture du mythe de Thésée et le Minotaure qui met Ariane à l'honneur dans sa dimension de femme autant qu'elle met en scène et interroge l'histoire et la mythologie, le tout dans un récit intelligent et vif (et bien écrit). Fantastique !
Et c'est sans mentionner le travail remarquable d'édition : couverture, habillage du texte etc.