En choisissant une héroïne métisse, l'auteure met sur le devant de la scène la communauté amérindienne souvent oubliée et toujours victime de préjugés dans un thriller où se mêlent vapeurs de meth et enquête fédérale
Daunis, moitié ojibwé moitié blanche américaine. Dans le Michigan, à la frontière canadienne, ce n'est pas facile d'avoir cette double part en elle : Gardien-de-Feu par son père et Fontaine par sa mère.
À tout juste 18 ans, alors qu'elle se prépare pour ses études de médecine, elle a l'air d'avoir déjà beaucoup vécu et elle raconte : la mort brutale de son oncle retombé dans ses addictions, l'AVC de sa grand-mère, le meurtre sous ses yeux de sa meilleure amie. « Les malheurs se produisent toujours par trois », disait sa Mémé Pearl. Mais non, en creusant, ça peut être bien pire. Et elle continue de raconter, sans amertume avec une certaine résilience.
La réserve amérindienne vit au rythme des matchs de hockey disputés par les lycéens. Tableau de l'Amérique classique sauf que la drogue gangrène la jeunesse. Alors le FBI s'en mêle et c'est là que Daunis va devoir se positionner. Elle veut aider, elle ne veut pas que sa tribu brûle à petit feu. Sa famille ou la loi ? Jusqu'où ira-t-elle au risque de tout détruire et de se perdre elle-même dans les bras d'un agent infiltré trop beau pour être sincère.
Qui pourra l'aider ? Son demi-frère capitaine vedette de l'équipe, son ancien entraîneur qui la laissait jouer avec l'équipe masculine, sa tante remplaçante d'une mère dépressive, les Aînés qui l'entourent…
Les traditions comme socle, seules choses qui l'aident à résister : chaque matin, un peu de tabac déposé au pied d'un arbre ou jeté dans la rivière, une prière en « anishinaabemowin », des gestes rituels répétés pour l'apaiser. La communauté prend vie dans les paroles de Daunis émaillées de nombreuses expressions amérindiennes.
Le texte percutant est toujours juste et ne s'en va jamais dans la mièvrerie que pourrait avoir un livre autour d'une bande d'ados. Au contraire, la droiture et la rage de Daunis rythment l'enquête. Une rage qui est celle de ce peuple partagé entre le Canada et les États-Unis, à qui on a quasiment tout pris en échange de l'argent des casinos et de quelques dollars octroyés pour la pureté de leur sang.
L'auteure,
Angeline Boulley, est elle-même Autochtone, du Clan de l'Ours, et ce récit est une façon de faire connaître son peuple en lui donnant, chose rare dans un roman, la première place avec le personnage de Daunis. Une lointaine anecdote d'agent des stupéfiants infiltré dans le lycée d'une amie et l'intrigue est née. Et avec, elle saura déplier une palette d'émotions et de thèmes qui rongent son peuple et l'Amérique : la drogue, la violence, les dépendances, le racisme, le rejet, le deuil. Un roman à vocation quasi historique, et rien que pour ça, on lui dit merci.
Chi Miigwetch.