Citations sur La Voyeuse interdite (39)
Le reste n'existe plus ; au loin, il y a juste un port sans lumière qu'animent des sirènes lugubres, un lieu d'arrêt entre le rien et le rien, une passerelle jetée dans le vide dont personne ne connaît le bout.
« Près de ma chambre, il y a un jardin d’hiver. Paradoxal penserez-vous dans ce pays où la chaleur ne fait jamais défaut ! A l’origine le jardin d’hiver était une belle terrasse ensoleillée ; un beau matin, mon père décida, seul, de la condamner. Motif ? Les homes de la rue pouvaient nous apercevoir !
« Ils m’attendent. Je le sais depuis longtemps. A la main crispée de ma mère lorsque nous sortions, à ses épaules voûtées afin de dissimuler les moindres attributs féminins, à son regard fuyant devant les hordes d’hommes agglutinés sous les platanes de la ville sale, j’ai vite compris que je devais me retirer de ce pays masculin, ce vaste asile psychiatrique. Nous étions parmi des hommes fous séparés à jamais des femmes par la religion musulmane, ils se touchaient, s’étreignaient, crachaient sur les pare-brises des voitures ou dans leurs mains, soulevaient les voiles des vieillardes, urinaient dans l’autobus et caressaient les enfants. Ils riaient d’ennui et de désespoirs. p.21
A mon tour, je baissais les yeux devant les jeunes garçons qui descendaient leurs braguettes en nous voyant ; ma mère, muette, laissait courir sur son corps cinq doigts étrangers. On ne pouvait rien dire, les femmes qui sortaient dans la rue étaient des pouffiasses ! p. 22
Mon avenir est inscrit dans les yeux sans couleur de ma mère et les corps aux formes monstrueuses de mes sœurs : parfaites incarnations du devenir de toutes les femmes cloîtrées ! p.16
« Le corps est le pire des traitres, sans demander l’avis de l’intéressé, il livre bêtement à des yeux étrangers des indices irréfutables : âge, sexe, féconde pas féconde ? Pubère, il m »a rendue inapprochable, dans le royaume des hommes je suis la souillure, sur l’échiquier des dames, le pion en attente caché derrière une reine hautaine qui choisira seule le bon moment de se déplacer. »
« Nous, filles, étions sa douleur, nos visages, nos corps lui rappelaient sa faiblesse, notre sexe, son sexe amputé, et si elle avait toujours l’air triste c’est parce qu’elle savait l’absurdité de notre existence à part qui nous éloignait un peu plus des hommes et de nos semblables »
« Il roulait, il rebondissait, se cognait contre les formes qu’il avait lui-même rendues inhumaines, sa tête enfouie sous une aisselle où pendait une dentelle rousse, s’inventait un corps plus désirable et moins fatigant. Plein d’envies inassouvies, il se vengeait sur le ventre de ma mère en lui administrant des coups violents et réguliers avec une arme cachée dont il était le seul détenteur. »
Ma maison est le temple de l'austérité. La tendresse, la joie, ou la pitié sont scalpées par le regard inquisiteur de mon père et la haine de ma mère. Les rares éclats de rire ou de désespoir s'en vont vite rejoindre derrière un meuble les poussières du quotidien ; là, entre le bois et le plâtre, se meurent nos tentatives d'émotion. Je n'ose parler d'amour. Invention insensé, miasme importé d'Occident, illusion mensongère, perversion de la jeunesse !
Incipit
Ce matin, le soleil est plus haut. Hautain je dirais. Juché sur un trône invisible, il déverse son énergie dans ma rue qui se détache orgueilleusement du reste de la ville. Épicentre de l'aventure, c'est ici que tout se passe pour cette femme cachée derrière sa fenêtre, pour cet épicier rougeaud assis sur son tabouret, pour cet homme guettant un rideau clos, pour ces petits et petites qui courent dans un rectangle bien délimité par des bâtisses sombres et anguleuses.